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Mali : contre-offensive rapide de la France, un peu esseulée militairement

par Pierre Morville

L'offensive des troupes islamistes sur Bamako a été à ce jour stoppée dans un conflit qui risque d'être très long.

Contrairement à ses choix initiaux, la France se retrouve dans l'urgence en 1ère ligne dans le combat contre les milices islamiques établies au Nord-Mali. Loin de se contenter et de coordonner les troupes des différents pays africains, au sein de la Misma, nom donnée à la future structure militaire en train d'être construite avec différents pays de la Communauté économiques des Etats de l'Afrique de l'Ouest ( CEDEAO), les troupes françaises sont les seules à affronter aujourd'hui les miliciens d'Ansar Eddine, du Mujao, d'Al Qaida au Maghreb islamique pour ne citer que les composantes les plus connues. L'opération militaire française a déjà son nom de code : Serval, un petit félin du désert.

Ce qui a produit cette accélération et la modification profonde des plans d'intervention initiaux de la France est essentiellement l'offensive menée en début d'année par le front des forces djihadistes sur la ville de Konna au Sud-Mali, mettant Bamako et le reste du pays en danger. Cette accélération guerrière a surpris. Jusqu'en fin d'année, une solution politiquons-diplomatique semblait prévaloir. L'Algérie et le Burkina Faso y contribuaient.

Une des composantes des combattants nord-maliens, le MLNA s'y était ostensiblement rallié, et dans des reportages parues dans la presse internationale, les dirigeants du mouvement Ansar Eddine tenaient des propos plus apaisants.

OFFENSIVE ISLAMISTE SUR BAMAKO

Quels ont été les éléments qui expliquent cette nouvelle radicalisation du mouvement djihadiste ? Certains analystes font valoir à juste raison que ces formations ne pouvaient abandonner si facilement leur orientation stratégique principale, l'installation d'un «califat» dans le Sahel. Les mêmes et d'autres font le constat qu'un temps d'apaisement sur le front aurait donné un délai considérable de préparations aux troupes africano-française, réunies dans la Misma. Pire pour les troupes islamistes, la réponse des organisations internationales, restées très prudentes voire indifférentes en 2012 à la quasi-sécession du pays, pouvaient s'organiser et monter en puissance. Enfin, l'unité du front des mouvements islamiques commençait déjà à se fissurer: les rebelles séparatistes touaregs du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) se sont dit ainsi prêts à soutenir l'intervention française au Mali en combattant les djihadistes dans le nord du pays.

Le MNLA qui réclame depuis longtemps l'indépendance du Nord-mali, a pourtant participé à l'installation des islamistes dans le nord du pays. En janvier 2012, le mouvement s'était allié aux islamistes d'Ansar Eddine (une ancienne scission de mouvement), pour lancer une offensive contre plusieurs camps de l'armée malienne dans le nord du pays.

L'armée malienne désorganisée et peu mobilisée n'a pas su résister. En mars, éclate au Sud-Mali, un coup d'état contre le président Amadou Toumani Traore pour « palier à l'incapacité du chef de l'état à gérer la crise dans le nord du pays ». La confusion qui s'installe précipite le chaos. En avril, le MLNA déclare la fin de son offensive et annonce l'indépendance du Nord-Mali.
 
Entre-temps, des dissensions interviennent parmi les groupes du Nord-Mali, compliquées par la présence de militants ou de groupes djihadistes étrangers. Pour l'Aqmi, l'indépendance du Nord Mali n'est pas une fin en soi, c'est l'ensemble du Mali qui dans un 1er temps, doit être libéré. Le reste doit suivre. L'application de la Charia selon les doctrines les plus rigoureuses et intransigeantes fait également débat. L'ensemble des mouvements du Nord Mali ont, à des degrés divers, deux composantes, l'une ancienne revendiquant l'identité touareg, l'autre provenant de l'islamisme radical. Ces deux composantes se recoupent dans chaque mouvement à des degrés divers et parfois pas du tout. Affaibli, le MLNA a entamé en décembre dernier, des négociations de paix avec les autorités maliennes, acceptant notamment de renoncer à ses prétentions séparatistes pour revendiquer une simple autonomie.

Cet effritement du front des organisations au Nord-Mali, doublé d'une certaine usure de la population, a pu inquiéter les franges les plus radicales et les plus «internationalistes », du Mujao et de l'Aqmi. 

Les groupes armés du nord malien MNLA et Ansar Eddine avaient réaffirmé, le vendredi 21 décembre, à Alger leur engagement à cesser les hostilités et négocier avec les autorités maliennes, selon une déclaration adoptée au terme d'une réunion sous l'égide du gouvernement algérien.

La stratégie qui visait à écarter les membres d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et du Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) a échoué, notamment en raison de querelles internes au sein D'Ansar Eddine. Pour de nombreux facteurs, les mouvements islamistes ont donc décidé de repartir à l'attaque.

SOUS-ESTIMATION DE LA RIPOSTE FRANÇAISE ?

L'offensive actuelle a rapidement buté sur une riposte militaire française qui bénéficie d'un armement puissant et du contrôle de l'espace aérien. Les dirigeants islamistes, imbattables dans une guerre de mouvements invisibles dans de grands espaces déserts, ne pouvaient pas ignorer les rapports de forces qui menaceraient des concentrations de leurs troupes à la frontière entre les deux Mali. Ils ne pouvaient pas ignorer non plus que la condamnation internationale serait très importante comme l'a montré la position unanime du Conseil de Sécurité lundi dernier.

Fort de leur succès en 2012 quand le Nord Mali est tombé dans une indifférence quasi-générale, les forces islamistes ont certainement parié sur la rapidité et le succès de leurs actions face à la pusillanimité des réactions internationales et notamment françaises.

Le gouvernement socialiste français ne souhaitait pas en effet apparaître surtout dans une ancienne colonie française, comme la tête et le bras armé d'un dispositif militaire africain en difficile construction; la perception du président français a pu jouer : François Hollande pâtit, à tort, de l'image d'un dirigeant, mou, hésitant, cherchant perpétuellement la synthèse au détriment de la décision. Dans le cas précis, en tout cas, cela n'a pas été le cas. Reste que la France s'engage dans un conflit qui a toutes les chances d'être complexe, long et difficile. Malgré un large consensus diplomatique, la France reste à, ce jour très esseulée sur le plan militaire. Certes, les forces africaines de la MISMA accélèrent leur formation et l'Algérie qui partage 1376 kilomètres de frontière avec le Mali et qui craint des effets de contagions (il est probable que de nombreux combattants islamistes du Nord Mali soient des ressortissants algériens) a néanmoins autorisé le survol de son espace aérien par des avions français. Certes, la France a obtenu quelques renforts logistiques des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne. L'Allemagne (avec une certaine réticence) et la Belgique ont promis leur appui dans le même domaine. Pas grand-chose du reste de l'Europe. C'est un peu maigre, aujourd'hui pour un conflit qui risque de se prolonger et avec une augmentation des risques terroristes comme l'a montré hier la prise d'otages en Algérie.
 
UNE SOLUTION POLITIQUE EN DERNIER RESSORT

«La décision militaire n'épuise pas le sujet». Invité sur Arte, Hubert Védrine a affirmé: «Je continue à penser que si la France n'avait pas réagi vite, à juste titre, tout cela se serait désagrégé. François Hollande a réagi à une situation d'urgence.» La meilleure hypothèse, selon l'ancien ministre des Affaires étrangères, c'est que les forces françaises puissent «stopper l'avancée des groupes islamistes armés et annihiler les capacités à l'arrière de ces mêmes brigades ; ensuite un soutien politique très clair de la CEDEAO et de l'Algérie».

«Il y a égalementla dimension politique», soit «le travail à faire pour qu'au Mali un accord politique soit enfin trouvé, qui tienne compte de la question des Touareg». Il y aura aussi «une consolidation politique au Mali, dans les pays voisins, un plan de développement économique et agricole qui est vital, à mettre en œuvre dans la région du Sahel. C'est tout un travail qui doit réunir le plus grand nombre de pays». »Dans ce scénario la France doit être de moins en moins seule, chaque jour.»