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L'université algérienne à vau-l'eau...

par A .Slimani *

Le ministre de l'Enseignement supérieur a beau affirmer (sans convaincre personne) que les universités algériennes étaient mieux classées que certaines de leurs paires japonaises et même américaines, la réalité est là, dure, entêtée et tenace: le niveau global de formation à l'université algérienne est devenu bien médiocre.

Et les différents classements mondiaux des établissements universitaires sont là pour le rappeler. Dans le classement des universités mondiales, dressé chaque année depuis 2003 par l'université Jiao Tong de Shanghai (classement connu sous l'acronyme anglais ARWU, pour Academic Ranking of World Universities) -qui est de loin le classement le plus rigoureux quoique certains de ses critères soient contestés (notamment par les institutions «mal classées»)- les universités algériennes occupent des places très peu honorables. Même si le même ministre semble se réjouir du «progrès» de ces universités dans le classement ARWU 2012, il est tout de même curieux que des universités de pays comme l'Arabie Saoudite surclassent les nôtres et de loin : King Saud University figure entre la 201ème et la 300ème place du classement, King Abdulaziz University et King Fahd University of Petroleum and Minerals entre la 301ème et la 400ème place ! La vérité est que ce pays -bien que conservateur- a une politique d'enseignement et de recherche scientifique bien plus efficace que la nôtre, décomplexée et ouverte sur l'international. Le classement Webometrics de janvier 2012 (basé sur la consultation des ressources publiées sur les sites web des universités mondiales) classe l'Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene (USTHB) d'Alger à la peu enviable 2276 ème place, ce qui ne semble pas inquiéter outre mesure le recteur de cette université qui commente la nouvelle d'un rire sarcastique... Combien parmi les «nombreuses» publications indexées revendiquées par l'USTHB depuis 1990 ont été entièrement réalisées en Algérie, avec des moyens nationaux ? Combien, parmi celles-ci, ont été publiées dans des revues prestigieuses telles que Nature ou Science ? La question mérite d'être posée ! Bien plus : on a du mal à comprendre pour quelles raisons l'USTHB est devancée par des universités de pays moins nantis que le nôtre, dans le dernier classement des 100 premières universités africaines! Dans ce classement, l'USTHB figure en milieu de tableau alors que l'université de Dar es Salem (Tanzanie) occupe la 11ème place et celle de Nairobi (Kenya) la 14ème !!!. A noter que le RNB/habitant de notre pays vaut plus de 8 fois celui de la Tanzanie et 5,5 fois celui du Kenya, pour des populations comparables en nombre. «La vérité est ailleurs», selon Platon et une célèbre série télévisée fantastique américano-canadienne... Ainsi, et malgré les moyens financiers fabuleux mobilisés, l'enseignement dispensé dans nos universités et les recherches qui y sont menées sont de piètre qualité et nos institutions universitaires bizarrement distancées par celles de pays beaucoup plus à la traîne, sur le plan économique, que le nôtre. Elle est bien loin l'époque où l'on venait de divers pays africains et arabes entamer ou poursuivre des études supérieures en Algérie, tant le niveau était jugé appréciable !

Le constat de Maître Bouchachi, qui pense que «les universités (algériennes) ne sont plus un lieu de réflexion et de lutte, mais des centres de formation professionnelle,» semble à priori très sévère mais est, en réalité, à peine exagéré. Il ne s'agit pas dans cette contribution de dénigrer les efforts fournis par de nombreux acteurs de la vie universitaire, ni de jeter l'anathème sur toute une communauté mais le but est d'essayer d'étayer les causes principales de ce déclin prévisible.

Comme il n'y a pas de génération spontanée, il n'y a pas aussi de mystère à tout cela. Les causes de la dégradation du niveau de formation et de recherche de nos universités sont réelles, objectives et sont les conséquences d'une absence de vision éclairée, et d'une politique laxiste et non suffisamment réfléchie décidée il y a de cela plusieurs décennies, et qui continue sous une forme plus insidieuse.

Un inventaire non exhaustif de ces différentes causes peut être dressé :

1 Une baisse drastique du niveau de la formation dispensée dans les cycles inférieurs (du primaire au secondaire) due en particulier à des «réformes» du système éducatif inadaptées, à un niveau de formation des enseignants qui laisse à désirer (les ratés du secondaire ont été sommairement formés pour prendre en charge l'application de ces «réformes»). Une politique d'arabisation rapide de l'enseignement non adaptée au contexte et au particularisme algériens, a été menée tambour battant, souvent par des personnels peu qualifiés, certains d'entre eux étant de simples moniteurs de l'éducation. Conséquence : le «produit» débarquant à l'université était au départ mal préparé. Les enseignants des premières années (en particulier ceux de sciences et de technologie) en savent quelque chose, confrontés comme ils le sont à des étudiants perdus entre leur incompréhension d'une langue qu'ils ne maîtrisent point -le français- et les lacunes qu'ils traînent.

2 La politique d'arabisation entamée à l'université a, elle aussi, eu des conséquences désastreuses immédiates, obligeant d'abord des centaines d'enseignants de sciences sociales et humaines formés en langue française, à une reconversion forcée dans un enseignement totalement arabisé. Non pas que la langue arabe n'est pas adaptée aux sciences tout au contraire, et elle a eu à le prouver par le passé, mais c'est l'impréparation et la rapidité dans l'exécution de cette décision (pour des raisons nullement objectives ni impérieuses) qui posait (et pose toujours) problème. Par ailleurs, souvenons-nous de cette assemblée populaire nationale qui avait décrété (pour des raisons purement «politiciennes» et populistes) une décision folle d'arrêter une date butoir d'arabisation complète et totale de tous les cursus à l'université, y compris ceux de sciences médicales ! Heureusement que des Sages avaient réagi. C'est cette même assemblée qui avait décidé l'arabisation des ordonnances médicales ; grâce à Dieu il n'y eut point de suite à cette affaire et nous avions évité une catastrophe sanitaire nationale !

3 A cela il faudrait ajouter le départ massif, d'abord des coopérants étrangers pour diverses raisons (baisse du taux de change dinar/devise au début des années 80, arabisation de plusieurs disciplines, puis problèmes d'insécurité au début des années 90), ensuite le départ de centaines d'enseignants-chercheurs algériens pour des raisons essentiellement sécuritaires au début et au cours de la décennie noire. L'algérianisation totale du corps enseignant tant recherchée par les autorités et le parti-état au début des années 80 (une faute de plus), s'est imposée d'elle-même. Dans toutes les universités qui se respectent, la présence des compétences étrangères dans les rouages de l'enseignement, de la recherche et même de l'administration est ardemment recherchée sinon souhaitée; chez nous, on ne voudra jamais confier une responsabilité aussi minime soit elle à un enseignant universitaire d'origine étrangère, fut-il de nationalité algérienne! La Chine -toujours communiste- qui passait pour un pays conservateur, il n'y a pas si longtemps, a confié, à titre d'exemple, la direction d'un de ses plus importants laboratoires de recherche dans un secteur de pointe à un chercheur étranger ! Le système qui nous gère semble être devenu autiste et totalement déconnecté de la réalité, malgré les changements radicaux que connaît notre monde en termes de globalisation et de révolution des esprits. Même nos voisins, ainsi que certains pays du Moyen-Orient que l'on pensait «plus sous-développés que nous», l'ont bien compris : l'ouverture sur le monde, notamment dans le domaine des savoirs, est devenue une question de survie de la nation. Les enseignants algériens ayant travaillé avec des coopérants étrangers à l'université (algérienne) devaient redoubler d'efforts pour se surpasser devant ces derniers ; un effet d'émulation s'était alors développé qui avait maintenu un niveau plus que satisfaisant de la qualité des enseignements dispensés. Maintenant que l'on se retrouve entre algériens, cet esprit de compétition a disparu au fur et à mesure que le niveau de qualification des enseignants baissait : qui oserait par ailleurs faire la moindre remarque d'ordre professionnel à un collègue sans risquer de se faire tancer par une corporation nourrie à l'aune de la médiocrité ! A l'heure de la mondialisation et de l'internationalisation de l'enseignement supérieur, notre université s'enferme sur elle-même. Nombreux sont les pays, notamment arabes, qui ont permis l'ouverture de campus universitaires et de centres de recherche étrangers réputés sur leur sol. L'université Paris Sorbonne - Abou Dabi inaugurée en 2006 en est un exemple. Bien plus, des institutions bien plus prestigieuses comme la Harvard Medical School et l'Université du Michigan ont créé depuis quelques années des campus à Dubaï. Plus récemment, le 28 octobre 2012 puis le 13 novembre 2012, furent inaugurés en Egypte, le campus international de l'Université Technique de Berlin et un centre scientifique allemand (Deutsches Wissenschaftszentrum) qui a pour vocation d'être une tête de pont pour l'ensemble du Monde Arabe dans les domaines de la recherche scientifique, de l'innovation et du développement de la technologie dans les domaines industriel et universitaire. Pourquoi notre pays n'abriterait-il pas de telles institutions de renommée internationale ?

Cela est possible avec l'aide des universitaires et chercheurs d'origine algérienne établis dans de nombreux pays avancés; mais la volonté pour ce faire n'est à vrai dire pas le souci majeur des décideurs, ceux qui font et défont les destins des hommes dans notre pays...

4 Il est vrai que le départ précipité des coopérants étrangers et d'un grand nombre de compatriotes universitaires, vers d'autres cieux plus cléments, a appauvri le corps enseignant qualitativement mais aussi quantitativement. Si on ajoute à cela l'augmentation massive du nombre d'étudiants à chaque rentrée universitaire, on comprend qu'une des causes de la baisse du niveau de formation est également liée à un ratio nombre d'étudiants/enseignant devenu plus élevé. Pour palier cette déficience en enseignants universitaires, les autorités ont eu recours à la «planche à magisters» pour former des centaines d'étudiants en première post-graduation, sans se soucier véritablement de leur niveau de qualification. On a souvent vu des sujets de thèse d'un niveau à peine plus élevé que celui d'une licence, être proposés aux étudiants et un seul directeur de mémoire diriger simultanément «les recherches» d'une dizaine d'étudiants en Magister,fait éminemment grave en sciences appliquées et en technologie. Et ne parlons pas du «massacre» en sciences sociales et humaines, lettres et sciences juridiques ! Ces étudiants une fois «formés» étaient recrutés à l'université, et se voyaient bombardés maître assistants pour dispenser des enseignements (souvent magistraux) à des étudiants de première et même de dernière année sans aucune préparation pédagogique. Les critères de sélection de ces enseignants sont régis par un barème élaboré par la fonction publique, la notation de l'interview du candidat par les professeurs recruteurs ne dépassant pas le quart de la note globale !

De ce fait, l'université était dans l'obligation de recruter un candidat ayant même reçu zéro à l'entretien mais avec une note globale acquise grâce à d'autres critères de sélection (CV, publications, classement en magister, etc.). Ainsi a-t-on assisté au recrutement d'enseignants à la limite de la débilité mentale, bègues ou ayant des difficultés d'expression et même mal entendants !

A tous ces maux, s'ajoutent l'immixtion excessive de la tutelle dans la gestion des universités et le faible niveau d'encadrement administratif de ces dernières, notamment les nouvelles d'entre elles. La situation s'est aggravée depuis quelques années suite à l'installation d'une nouvelle équipe dirigeante au ministère de tutelle. Les observateurs avertis auront noté l'éviction de plusieurs dirigeants et cadres universitaires reconnus par leurs pairs pour leur compétence, leur intégrité et leur sérieux, ces dernières années. Ces cadres ont, dans leur grande majorité, été remplacés par des militants de l'ex-parti unique «dociles et soumis» (dixit Benbitour) mais peu compétents en matière de gestion administrative et pédagogique. L'adage si cher aux militants de ce parti, «notre mulet plutôt que leur cheval», est scrupuleusement respecté et appliqué ! Les conséquences de cette décision sont maintenant connues : perte des traditions universitaires, collusion avec les organisations étudiantes «affairistes», retard dans l'exécution du programme de développement de l'université (quand il existe), absence d'activités scientifiques et culturelles à l'université, mauvaise gestion des grèves à répétition étudiantes qui font que l'année universitaire se limite à une vingtaine de semaines dans de nombreux établissements, clientélisme et nomination d'arrivistes dans des postes supérieurs (secrétaire général de faculté ou d'université, vice-recteurs, doyens, chefs de départements, etc.). De plus, le népotisme que l'on soupçonne courant et quasi-banal dans d'autres institutions, prend également racine à l'université.

Enfin une autre question cruciale

mérite d'être soulevée : la gratuité totale des études supérieures y compris la prise en charge sociale des étudiants, peut-elle rimer avec une formation de qualité ? Pas sûr...

Il est aberrant de continuer à soutenir financièrement et à 100% plus de 1 300 000 étudiants qui auront du mal à assurer leur avenir parce que assistés, donc déresponsabilisés et non convenablement formés. De nombreux pays ont brisé le tabou de l'augmentation des frais de scolarité à l'université jusque là considéré comme égalitaire socialement. Plusieurs rapports dont celui récent de l'OCDE rendent compte d'une tendance généralisée de l'augmentation du coût de l'enseignement supérieur, seule procédure garante d'une meilleure qualité de la formation. Dans une étude consacrée au sujet et parue dans le Monde Diplomatique de septembre 2012, Isabelle Bruno de l'Université Lille II, note que «les plaidoyers en faveur d'une hausse des droits d'inscription, reposent sur une idée-force : la valorisation des études qu'elle est censée entraîner. Payer ses études responsabiliserait l'étudiant, qui, conscient de sa valeur monétaire, serait plus impliqué et moins enclin à l'absentéisme.» En France, des mesures sont préconisées en faveur des étudiants modestes comme «l'octroi de prêts à taux faible et remboursés à la fin des études à partir de l'obtention du premier emploi», ou encore «un régime de prêts à remboursement contingent au revenu (PARC) consistant à faire rembourser à ces étudiants le coût de leur formation sous la forme d'une imposition spécifique ultérieure.» Il est grand temps que nos responsables se penchent sur cette question épineuse, car il semble peu probable que ce régime de prise en charge totale de la formation de nos étudiants, puisse être maintenu au même niveau, lorsque la rente pétrolière aura sensiblement diminué. Il faudrait peut-être commencer à réfléchir à transformer déjà l'aide indirecte en aide directe et à imaginer un autre mode de gestion des œuvres universitaires, en encourageant, par exemple, l'investissement privé dans un secteur qui saigne atrocement le budget de l'état.

Voila exposé, à notre sens, un aperçu non exhaustif de la situation malheureuse que vit l'université algérienne. Une situation qui résulte d'une fuite en avant des décideurs, qu'on ne peut dissocier de l'état de décrépitude dans lequel se démène le pays tout entier et ses institutions. Seule une authentique réponse démocratique pour contrer cette situation doit être envisagée. Elle doit passer naturellement par l'ouverture d'un débat global et non exclusif de toutes les forces vives et créatrices de la nation, autour des véritables questions existentielles, imposées par un monde qui devient -chaque jour que Dieu fait- encore plus féroce et impitoyable en termes de compétitivité scientifique, technique et donc économique. Les pays dits émergents (et dont l'Algérie aurait dû en faire partie) tels la Turquie, le Brésil, le Mexique et bien entendu l'Inde et la Chine, l'ont bien compris, eux, qui ont misé sur l'économie du savoir.

 Le régime chinois, par essence centraliste, a pu depuis une trentaine d'années «lâché un peu la bride» en opérant de grandes mesures de décentralisation, de déréglementation et de déconcentration des responsabilités et préparer ainsi l'autonomie des établissements universitaires. Ce pays a pu instaurer un «consensus démocratique» autour du concept d'innovation et de compétitivité, pour accroître sa croissance économique et s'imposer comme une puissance (économique) de premier plan. Ces résultats n'ont été possibles qu'avec le développement d'universités et d'institutions de recherche qui acquièrent de plus en plus une notoriété internationale. Le Président Hu Jintao a d'ailleurs fixé comme objectif à moyen terme «d'amener le pays au meilleur niveau mondial dans tous les principaux domaines de la science et de la technologie».Un rapport de la Royal Society (mars 2011)indique que la Chine est devenue le deuxième pays, après les Etats-Unis, à publier le plus grand nombre d'articles scientifiques. Par ailleurs, et avec pour conséquence le triplement du nombre d'articles publiés, un pays comme Singapour investit 2,61% de son PIB à la recherche scientifique alors que l'Algérie n'y consacre que 0,63% du sien (chiffre avancé par le directeur général de la recherche scientifique et du développement technologique). Même en Tunisie, la recherche est passée de 0,03% du PIB en 1996 à 1,25% en 2009 (chiffre à comparer avec le PIB-recherche moyen des pays émergents estimé à 1,5%) !

L'espoir donc de voir nos universités se hisser à un niveau appréciable de formation et de recherche existe ; il dépend d'abord de la volonté de ceux qui, après Dieu, ont le pouvoir de rendre les Algériens heureux après les avoir rendus malheureux ! L'Algérie a plus que jamais besoin de dirigeants éclairés, convaincus et passionnés par l'acquisition du savoir, et déterminés à tout mettre en œuvre pour assurer au pays, prospérité et développement durable, et le projeter dans le 21ème siècle.

* Universitaire