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La violence ?... On me l'a apprise à l'école

par Farouk Zahi

Les effets sont générés par la cause. Mais l'on s'entête toujours à ne traiter que les effets et c'est justement là la cause.

L'année 2010 aurait enregistré plus de 40.000 cas de violence en milieu scolaire. L'information qui tombe, tel un couperet comme toujours, est annoncée par le 19 heures du 10 décembre d'une chaîne radiophonique nationale. Faut-il s'en étonner ou hocher la tête, comme d'habitude, pour encaisser ce nouveau coup du sort ? Yasser, ce jeune apprenti, qui, après son échec scolaire consommé, s'est dirigé à la formation par apprentissage, est marqué, à jamais, par ce qu'il a enduré tout au long des dix ou onze années de scolarisation. Fils unique d'une dame divorcée, employée de banque, il réagit anormalement à toute remarque qui lui est faite ou regard posé sur lui. Son patron, propriétaire de l'atelier qui l'emploie, de passage au centre de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage qui le lui a confié, s'en ouvre au pédagogue chargé du suivi. Celui-ci confirme, seulement, la trop grande réserve de l'enfant et promet de le soumettre à la psychologue en charge de l'orientation scolaire. Et c'est heureux que ce genre d'établissement, à l'inverse des établissements de l'Education nationale, dispose d'un tel profil dans son encadrement.

Le premier cauchemar de l'enfant, âgé à peine de six ans, commença avec l'hirsute et tonitruant concierge de l'école. Brandissant son fouet, sous la forme d'un bout de tuyau d'arrosage, il menaçait les têtes blondes qui piaillaient d'impatience ou qui se montraient trop excitées. Yasser reçut sa première douche froide le jour où Ammi Amar, le concierge, ne voyant pas la mère de l'enfant, lui dit abruptement «Ouin rahi Mm'ouk ?» (où est ta mère ?). Le petit ne put que balbutier: «Elle est repartie !». Le chef d'établissement, immensément grand, au regard à peine visible à travers d'épais verres optiques et la tête dégarnie, lui inspirait plus d'inquiétude que de sérénité. Quand il lui arrivait de passer seul devant le bureau de celui-ci, il pressait instinctivement le pas pour éviter toute mauvaise rencontre. La véritable galère de Yasser débuta en deuxième année primaire dans sa première école. Il ne sait pas, jusqu'à présent, pour qu'elle raison il a subi l'humiliation de ses camarades et le bâton de la maîtresse. La punition consistait à mettre l'élève à genoux, lui faire fermer les yeux et recevoir les coups de ses petits camarades. Les coups tombaient de toute part, les plus douloureux étaient ceux qui tombaient sur les oreilles ou carrément sur le visage. Les petits sauvageons s'en donnaient à cœur joie, assurés de l'impunité induite par la bénédiction de l'enseignante. L'autre séance était celle qu'infligeait la maîtresse elle-même, consistant à demander à l'élève de tendre la main comme s'il allait recevoir le coup de règle sur celle-ci, mais recevait le châtiment ailleurs. Une véritable leçon d'initiation à la fourberie.

Il se rappelle, avec beaucoup de colère, qu'en cinquième année élémentaire, Iman, sa petite camarade, était fréquemment interpellée par le maître et renvoyée au fond de la classe pour on ne sait quel motif. Il n'apprendra que plus tard, quand les gendarmes sont venus à l'école, que leur goujat de maître n'était en fait qu'un pervers sexuel. L'enfant subissait ainsi son deuxième choc psychologique scolaire. Au fil du temps et à mesure qu'il avançait en âge, il ne voulait plus que sa maman l'accompagne ou vienne l'attendre à la sortie de l'école. Les quolibets et les regards entendus de ses compagnons lui firent comprendre que les «durs» ne se font pas accompagner par un parent, encore moins par la mère. H'chouma ! Susurraient-ils. Arrivé au collège, il pensait candidement qu'il était au bout de sa galère. Loin s'en faut. Intégré dans un milieu qui n'était pas le sien, il détonnait par son port vestimentaire et sa parfaite correction. A peine la rentrée scolaire entamée, il se faisait renvoyer par une vieille surveillante, qui voulait certainement affirmer sa domination sur le nouveau venu. Le fallacieux motif était la non-conformité de la blouse, et ce après toute une semaine de fréquentation de l'établissement. Le grand-père, outré par cette inconsciente désinvolture, raccompagna l'enfant à son école et demanda à voir le chef de l'établissement. Affable, celui-ci le reçut dans son bureau tout en déplorant l'attitude de la mise en cause. La protestation de l'aïeul n'était pas sûr le bien-fondé du renvoi, mais sur la manière martiale par laquelle on jette, sans discernement, un enfant dans la rue en l'absence de ses parents qui supposent que leur progéniture est en lieu sûr. Malheureusement, le même scénario s'est répété, mais cette fois-ci avec le chef d'établissement lui-même. Le motif stupide en était: application de gel sur les cheveux. Cet enfant n'en applique presque jamais, sauf en d'exceptionnelles occasions.

Placé au bout de la file d'élèves mal alignés, il recevait, de la même surveillante, deux claques à bras tendus sur les oreilles. Etourdi, il cherchait d'abord l'origine de «l'attaque»: comprenant enfin qu'il s'agissait d'un «raid éducatif», il se retint difficilement pour ne pas l'envoyer au tapis. Il en avait les moyens corporels, mais s'est ravisé par crainte des représailles qui ne pourront être, dans ce cas, que punitives. Une enseignante du même collège, incapable pédagogiquement de maîtriser sa classe, fait appel aux surveillantes pour l'admonestation ou la réprimande avouant ainsi sa déconfiture. Dans ce climat qui rappelle la terreur des anciens pensionnats, avec le sérieux en moins, les ados, à peine sortis de l'enfance, perdent peu à peu les référents d'affection, d'amitié et de solidarité. Ils penseront surtout à survivre au déni de l'injustice, de la partialité et du népotisme. Et oui ! Le népotisme n'est pas que dans l'octroi d'avantages indus, mais aussi dans l'attribution de notes et d'appréciations aux proches. Que de maîtres n'ont-ils pas fait refaire des épreuves à leur rejeton ou réévaluer les premières notes pour les rendre caduques. Placé, en dépit de sa bonne volonté, dans l'œil du cyclone, Yasser perdait de plus en plus confiance en ses maîtres et maîtresses et trouvait un malin plaisir à les incommoder. Sa petite sœur, heureuse il y à peine quelques semaines d'aller à l'école, est présentement terrorisée par sa maîtresse. Le châtiment consiste à aplatir le haut du corps sur la table pour fouetter les fesses sans risque de laisser des traces. Mais les enfants parlent et décrivent bien la posture. L'enseignant qui, en plus de l'utilisation du châtiment corporel, se fond en insultes à l'endroit des élèves, a toute les chances de devoir affronter leur colère ailleurs que dans l'enceinte de l'école. C'est ainsi que Yasser fut présenté au juge des mineurs pour agression caractérisée sur son maître. Le délit fut qualifié de voies de faits sur fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions. Placé dans un centre spécialisé pour mineurs, il en sortait après une année de «rééducation». «La violence ?... On me l'a apprise à l'école». Ainsi, s'achève l'histoire de Yasser, racontée à la psychologue de son centre de formation. Le 11 décembre 2012.