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De la repentance

par Abed Charef

Ne peut se repentir que celui qui a acquis l'intime conviction qu'il s'est trompé, qu'il était sur la mauvaise voie, et qu'il doit faire amende honorable. La repentance, le remords, le regret, ne s'imposent pas. Ils relèvent de l'intime conviction.

Farouk Ksentini est formel. La France doit se repentir. C'est une condition sine qua non pour établir des relations normales avec l'Algérie. Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) a publié un communiqué, à la veille du 1er novembre, pour rappeler que «la colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l'Algérie des relations de qualité ». Cette exigence n'a pas de signification négative, selon le Monsieur Droits de l'Homme du président Bouteflika. Pour lui, «la repentance n'est ni une danse humiliante, ni un aveu ». Dès lors, il « comprend mal les hésitations de l'Etat français » à ce sujet.

Mais M. Ksentini s'aventure sur un terrain déjà occupé par d'autres, comme Mohamed Cherif Abbas et Saïd Abadou, porte-drapeaux traditionnels de cette revendication. Quelle réponse reçoivent-ils ? Côté français, il y a trois types de réaction. Une partie de l'opinion, acquise à l'idée de liberté, a franchi le pas depuis longtemps pour condamner le colonialisme.           Cette frange de la société française aborde désormais la question algérienne sans complexe, dans le cadre d'un universalisme qui permet de dépasser les dogmes patriotiques.

Un second courant essaie de couper la poire en deux. Affichant pourtant une certaine ouverture, il veut se montrer compréhensif. Mais pour des raisons politiques internes à la France, il n'arrive pas à franchir le pas de manière franche et définitive. Il se contente d'un silence gêné, ou de timides avancées.

Le troisième courant, le plus visible, fait quant à lui preuve d'une agressivité haineuse, avec des prises de position d'hommes politiques parfaitement indignes appartenant à la «droite décomplexée». L'exemple le plus récent en a été fourni le 17 octobre, après la déclaration du président François Hollande, rendant hommage aux victimes du 17 octobre 1961, et affirmant que «la République reconnaît avec lucidité ces faits», c'est-à-dire la répression «sanglante» contre des manifestants algériens à Paris. Répondant à François Hollande, Christian Estrosi, maire de Nice, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, a déclaré: «Je n'ai pas à faire de devoir de repentance à l'égard de l'œuvre civilisatrice de la France avant 1962 ». Dans la même veine, Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale française, a affirmé qu'il est « intolérable de mettre en cause la police républicaine et, avec elle, la République toute entière» dans la répression du 17 octobre 1961. Il a demandé à François Hollande de préciser si sa déclaration « vaut reconnaissance de la responsabilité de la France».

Tout ceci est limpide. Malgré la loi du 23 février et toute la polémique qu'elle a provoquée, malgré la décision de l'ancien président Jacques Chirac de changer le volet le plus choquant de ce texte, et malgré les protestations de l'opposition française d'alors, devenue majorité aujourd'hui, un homme politique français en vue considère toujours que la colonisation est une « œuvre civilisatrice ».

Le paradoxe ne s'arrête pas là. Car malgré des propos aussi tranchés, M. Farouk Ksentini continue à s'entêter, et à exiger de l'Etat français pardon et repentance. Pourquoi la France exprimerait-elle sa repentance du moment qu'une partie de cette France, difficile à évaluer, certes, mais bien réelle, considère que la colonisation était une bonne chose, une « œuvre civilisatrice » ? Il faut constater, avec lucidité, qu'une partie de l'opinion française partage toujours ce point de vue. Un point de vue qui ne se limite pas à l'extrême droite, et à son représentant le plus caricatural, Jean-Marie le Pen, mais une France qui comprend une partie de la droite dite républicaine, celle qui gravite autour de Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, celle qui se dit « décomplexée ». C'est une droite qui envisage de casser les tabous et de franchir les lignes rouges. Y compris défendre le pire. Mais pour elle, pas question de repentance, ni d'autoflagellation, selon la formule utilisée par Nicolas Sarkozy lorsqu'il était président. Parler de ces courants pose problème. Leur parler est encore plus délicat. Leur demander d'exprimer une repentance quelconque est une erreur. Ne peut se repentir que celui qui a acquis l'intime conviction qu'il s'est trompé, qu'il était sur la mauvaise voie, et qu'il doit faire amende honorable. La repentance, le remords, le regret, ne s'imposent pas. Ils relèvent de l'intime conviction. Un pays peut s'organiser de manière à promouvoir la liberté et les Droits de l'Homme. Il peut tout aussi bien organiser son système éducatif pour faire partager la conviction selon laquelle l'esclavage, le colonialisme, le racisme et l'injustice doivent être bannis et combattus. Mais quand un peuple, ou une partie d'un peuple, persiste à penser que la colonisation est une « œuvre civilisatrice », cela relève du crime. Cela suppose aussi, et surtout, que le criminel en question est prêt à se lancer de nouveau dans une « œuvre civilisatrice », à coloniser de nouveaux pays si l'occasion se présente ou si la situation l'exige. Le Mali, par exemple, demain. Et pourquoi pas d'autres contrées. A défaut de coloniser, créer une situation de dépendance, pour piller les richesses, comme cela se passe en Irak ou en Libye.

Demander la repentance à de tels criminels, qui pensent encore que la colonisation est une œuvre « civilisatrice », est une absurdité. D'autres chemins doivent être pris : s'organiser pour être forts, pour ne jamais offrir de faille, être capable d'imposer ses intérêts pour ne pas subir ceux des autres. Et ne pas oublier que les autres considèrent comme une « œuvre civilisatrice » ce que l'Algérie a combattu par les armes.