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La question malienne va dominer les rencontres franco-algériennes de début décembre

par Pierre Morville

L'Egypte approuve «totalement» la position de l'Algérie vis-à-vis de la situation dans le nord du Mali, a déclaré, mardi 23 octobre à Alger, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Mohamed Kamel Amr, qui a précisé rejeter «les mouvements séparatistes au Mali»,

lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue algérien, Mourad Medelci.

L'Algérie privilégie une solution négociée au Mali voisin tout en n'excluant pas une intervention militaire qui, selon elle, doit être exclusivement africaine. Jeudi, le premier ministre algérien Abdelmalek Sellal avait réaffirmé que la position d'Alger sur le Mali était «très claire», insistant sur le fait qu'Alger demeurait attaché au principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays. «Nous pensons qu'il est fondamentalement utile d'aider et de conforter le gouvernement [malien] pour qu'il puisse recouvrer son intégrité territoriale», avait-il ajouté, notant que la position d'Alger prenait notamment en compte la lutte contre le terrorisme et les narcotrafiquants.

Pour le journal Le Monde néanmoins, l'Algérie concède un feu vert à une opération militaire au Nord Mali : «L'Algérie ouvre la porte à une opération militaire au nord du Mali». Le journal s'appuie sur des «sources de la défense» qui affirment avoir reçu «un premier accord tacite de l'Algérie pour soutenir une opération visant à chasser les groupes terroristes islamistes qui ont annexé le nord du Mali, accord qui va jusqu'à tolérer l'inévitable présence à terre de quelques unités étrangères, notamment françaises».

INTERVENIR OU NON AU NORD-MALI ?

La sécession du Nord-Mali, à la suite d'un coup d'état surréaliste et aujourd'hui sous l'emprise de radicaux salafistes, accroît la déstabilisation du Sahel et interpelle l'ensemble des partenaires régionaux. L'Union Africaine et la Communauté des Etats africains de l'Ouest (CEDEAO) ont immédiatement manifesté son inquiétude.

L'EUROPE EGALEMENT

Sur cette question sensible, Paris et Alger ne semblent pourtant pas sur une position commune. La question a été encore compliquée par l'impuissance chronique des instances internationales. « Il a fallu attendre le 14 septembre et la supplique à l'ONU du président malien par intérim Dioncounda Traoré, revenu aux manettes après avoir été presque battu à mort par des manifestants. Deux jours plus tard, lors d'une réunion sur le Sahel à New York, François Hollande réclame «au plus vite une nouvelle convocation du Conseil de sécurité de l'ONU» pour répondre à la menace terroriste » raconte Gael Cogné de France TV international. Le président français intervient au Conseil de Sécurité le 26 septembre. Le 15 octobre, le Conseil de sécurité adopte la résolution 2071. Laquelle demande au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, de présenter un rapport «sur la base duquel le Conseil de sécurité pourra autoriser dans 45 jours le déploiement d'une opération africaine au Mali», écrit le Quai d'Orsay.

LES RETICENCES D'ALGER

A Alger, on rappelle, non sans raisons, les principes de non-ingérence et les risques d'une intervention militaire, occidentale de surcroît.  Et ce d'autant que l'Algérie partage 1300 km de frontières avec le Mali et que de nombreuses populations Touaregs coexistant dans ces régions. Le gouvernement algérien aurait pris langue avec les islamistes maliens d'Ansar Dine, issus de ces populations touareg tout en refusant tous contacts avec l'Aqmi (Al Qaida au Maghreb islamique) issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dirigé quasi exclusivement par des radicaux algériens !

« Sur le Nord-Mali, la France a obtenu que la Russie et la Chine soutiennent un texte proposé par Paris, placé sous le chapitre sept de la charte des Nations unies.

C'est un succès diplomatique (comparé au blocage sur la Syrie), même si une éventuelle opération militaire reste remplie d'incertitudes » note de son côté Pascal Boniface, le patron de l'institut de géopolitique IRIS.

« LES INCERTITUDES » MILITAIRES SONT EN EFFET NOMBREUSES

Le gouvernement français parie sur un conflit court, basé sur des forces de l'Afrique sub-saharienne, dirigée par l'UA et la DEDEAO, avec un appui logistique pour l'essentiel français : en janvier 2013, «consolidation de la souveraineté malienne sur le sud du pays et sa capitale», puis «mise à pied d'œuvre de trois ou quatre bataillons maliens sur lesquels les armées africaines et leurs alliées européennes pourront compter» et, après la reprise de plusieurs villes, «stabilisation du nord» en mars. Des bombardements auraient lieu. Selon Jeune Afrique, le plan s'inspire du modèle testé avec succès en Somalie à partir de 2010, avec «regonflage du moral des soldats», et européanisation de la coopération. L'essentiel des opérations se dérouleraient au 1er semestre 2011, avec une coopération militaire de logistique (surveillance aérienne, drones) franco-américaine.

Côté incertitudes, il y a bien sûr la taille du pays (le seul Nord Mali est un peu plus grand que la France), la difficulté des combats en zones désertiques, l'impréparation actuelle des troupes maliennes et des contingents des pays d'Afrique de l'Ouest qui pourraient intervenir, la mobilisation internationale de la mouvance islamiste? On sait quand on commence une guerre, on sait rarement quand elle se termine.

HESITATIONS INTERNATIONALES

Le contexte régional complique encore l'affaire. Une intervention militaire franco-américaine au Mali se produirait quelques mois après une offensive militaire des forces occidentales en Libye. Sous le couvert de mettre à bas un « méchant dictateur », quelles étaient les motivations réelles des Etats-Unis, de l'Angleterre et de la France. La construction par la force de la Démocratie ? On peut penser qu'un nouveau partage des concessions pétrolières (dont la France fur curieusement exclue) fut un motif plus puissant. Le gouvernement libyen actuel n'est d'ailleurs pas sans sympathie pour la mouvance salafiste. Les séparatistes du Nord-Mali se sont puissamment armés avec les pillages effectués dans les entrepôts militaires de Monsieur Kadhafi. Il faut également rappeler que depuis trois ou quatre décennies, les Etats-Unis sont vigoureusement intervenus dans des pays arabes ou musulmans, contre des régimes plutôt laïcisants (ce qui ne signifie en aucun cas, démocratiques) qu'il s'agisse du gouvernement prosoviétique afghan, du Baas irakien, de la Libye et aujourd'hui de la Syrie. Les régimes qui succèdent à ces interventions sont le plus souvent animés par des tenants d'un islamisme fondamentaliste et très volontiers virulemment antioccidental. Quelle est la cohérence de cette grande pensée stratégique ? L'amitié avec l'Arabie saoudite et aujourd'hui le Qatar en semblent des ressorts très puissants.

La nouvelle intervention militaire au Nord-Mali se fait-elle en soutien d'au pays ami de la France et de l'Europe ? Le gouvernement allemand, pourtant très prudent en matière de conflits, l'affirme : «La communauté internationale doit soutenir le Mali pour reprendre le contrôle du nord du Mali», a déclaré mardi le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle, soulignant qu'une «stabilisation durable ne peut se faire qu'à travers un processus politique». «Nous sommes extrêmement préoccupés par la situation, tant au regard des droits de l'homme que de la situation humanitaire ou des questions de sécurité», a ajouté le ministre qui souhaite éviter que cette région «puisse devenir un havre pour le terrorisme mondial». Toutefois, «L'Allemagne, l'Europe sont prêtes à agir, mais il ne s'agit pas de l'envoi de troupes de combat», a précisé M. Westerwelle, en référence à la décision de l'Union européenne prise vendredi de planifier une mission militaire d'entraînement de l'armée malienne. «Il ne doit pas y avoir d'erreur d'interprétation, nous parlons d'une mission placée sous la responsabilité des Etats africains sur la base d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU», a-t-il ajouté, parlant de «mission d'entraînement», de «formation».

De son côté, le président burkinabé Blaise Compaoré, médiateur de l'Afrique de l'Ouest dans la crise malienne, a estimé mardi que la guerre n'était «pas nécessairement» un choix «utile» pour le Mali. «Les Nations unies ont encouragé ce processus de dialogue qui doit se mettre en place et nous sommes en contact avec les parties, les mouvements [armés] comme le gouvernement [malien], pour, dans les jours à venir, entamer cette phase qui est capitale pour la stabilité du Mali», a-t-il déclaré. «Car la guerre n'est pas nécessairement le choix premier utile, ni pour le Mali ni pour la région», a poursuivi M. Compaoré, interrogé par la presse à Ouagadougou. «Si par le dialogue on a une solution, les militaires» vont «rester chez eux», a-t-il insisté. Bref, tout le monde est ennuyé de ne rien faire ou d'agir, préférant les solutions politiques aux offensives militaires tout en sachant que celles-ci s'imposeront in fine, avec des conséquences inconnues à ce jour.

LES ENGAGEMENTS DE FRANÇOIS HOLLANDE

58e des 60 engagements de François Hollande dans le projet électoral du Parti socialiste : « Je développerai la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d'un projet économique, démocratique et culturel. Je romprai avec la Françafrique en proposant une relation fondée sur l'égalité, la confiance et la solidarité. Je relancerai la Francophonie. ».

Croyons le réel engagement de François Hollande dans ses promesses électorales. Il est très fermement attaché à une réforme profonde de notre politique extérieure. Mais le contexte est difficile :

- La crise ouverte en 2008 rogne le budget gouvernemental et réduira les marges de coopération ou de financement de plans amitieux dans ce domaine. La coopération européenne Nord/Sud de la méditerranéen reste à de balbutiements, sans oublier des calculs allemands complexes.

- Plus généralement, sur le plan économique, la redistribution des cartes s'opèrent : Entre 2000 et 2010, la part de marché de la France en Afrique est passée de 16,2 % à 8,9 % au profit des États émergents, notamment la Chine qui voit sa part de marché passer de 3,4 % en 2000 à 12,5 % en 2010.

- La France bénéficie de relations fortes avec un certain nombre de pays, notamment en Afrique mais également en Asie, au nom d'une histoire parfaitement paradoxale et détestable qui fut celle du colonialisme et son cortège des pillages et de guerres. A l'inverse les liens crées subsisteront avec leur cortège d'ambiguïtés. Qu'ils s'agissent de la Francafrique ou de la francophonie. François Hollande a l'avantage et le désavantage de succéder à Nicolas Sarkozy. Côté avantage, Hollande a réalisé un premier parcours sans faute en s'adressant au sommet de la Francophonie qui s'est tenu récemment dans la république démocratique du Congo, commenté par Pascal Boniface : « Le voyage de François Hollande en Afrique était semé d'écueils. Assister au sommet de la francophonie sans donner un blanc-seing au régime du Kabila. Prononcer un discours à Dakar sans paraître obsédé par le désir de se démarquer de celui de Nicolas Sarkozy cinq ans plus tôt. Prendre ses distances avec la Françafrique sans verser dans la démagogie incantatoire (?) Le premier déplacement de François Hollande en Afrique subsaharienne depuis son élection n'a pas donné lieu à des envolées lyriques ou à des gestes spectaculaires. Il a été sérieux, empli de promesses qui restent à confirmer dans les faits, mais qui ont été bien reçues sur le continent ».

Enfin, les élites françaises sont obnubilés par la question européenne, le règlement de la crise économiques et l'élection américaine, elles négligent nos relations régionales et notamment avec l'Afrique comme le note Yves Gounin, Conseiller d'État et auteur de « La France en Afrique : le combat des Anciens et des Modernes ». Dans les relations régionales intercontinentales, notamment au sud de la Méditerranée le nouveau président français devrait pouvoir compter sur des alliés sûrs de longues durées où après des explications claires, les relations peuvent être amicales, confiantes et durables. On peut penser notamment à l'Algérie et à la Turquie. Cela signifie : pourquoi pas un Traité d'amitié dans le 1er cas, une position volontaire de soutien à l'adhésion à l'Union européenne dans le second ?