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LE MONDE EN CRISE, LES DERIVES DE LA FINANCE

par Akram Belkaid, Paris

Il n’est nul besoin de rappeler que le mot «crise» est l’un des plus employés en ce moment par les médias du monde entier, notamment ceux d’Europe et des Etats-Unis, les deux régions les plus touchées par le ralentissement économique. Mais si ce terme est omniprésent, la compréhension du phénomène est de plus en plus difficile d’autant que cette crise est polymorphe. Elle détraque les économies réelles, creuse les finances publiques et affecte la solvabilité des secteurs bancaire et financier tout en limitant l’investissement mondial à long terme.

UNE CRISE VENUE DE LOIN

Il est donc utile de revenir aux sources de cette crise et d’en comprendre les développements successifs. C’est ce que permet l’ouvrage très détaillé de l’expert international Mustapha Bensahli qui vient d’être publié aux éditions Casbah (*). Spécialiste de finance et de fiscalité, l’auteur décrypte d’abord les «mécanismes déclencheurs de la crise financière», ces derniers résidant essentiellement dans l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis puis en Europe. Mais, on le sait, ce catalyseur que fut l’immobilier n’a pas été la cause structurelle d’une crise qui est loin d’être achevée. Et c’est vers les incroyables dérives de la finance internationale que nous invite à regarder Mustapha Bensahli. Spéculation, obsession du court-terme, sophistication poussée à l’extrême (comme l’a montré le développement spectaculaire de la titrisation et des produits dérivés, à l’image des désormais fameux «Credit Default Swaps» ou CDS) ont miné et la finance mondiale et corrompu l’économie réelle.
Bien entendu, tout cela n’aurait pas été possible sans une dérégulation à tout va, symbolisée par l’abrogation aux Etats-Unis du Glass-Steagall Act, cette loi instaurée après la crise de 1929 pour cloisonner banques d’affaires et banques de détail. Initiée par le duo Reagan-Thatcher, assumée par des gouvernements dits de gauche comme celui de Bill Clinton aux Etats-Unis, de Lionel Jospin en France ou de Tony Blair en Grande-Bretagne, la déréglementation a vu ses effets pervers démultipliés par le contournement des lois restées en vigueur. L’un des meilleurs exemples en la matière a été «l’ingéniosité» des banques à habiller leurs bilans et à passer à travers les mailles du filet des normes comptables internationales. L’auteur détaille aussi les mécanismes de contagion qui ont permis le passage de la crise financière vers l’économie réelle.
Il explique comment cette crise a exigé la mobilisation de capitaux importants, notamment pour se porter au secours des banques, ce qui, au final, a généré une débâcle quasi généralisée des finances publiques européennes mais aussi étasuniennes et japonaises. L’un des chapitres de l’ouvrage dresse, par ailleurs, un panorama détaillé des solutions mises en place pour sortir de la crise ainsi que de leurs conséquences immédiates, à l’image de l’impressionnante série de dégradation des ratings souverains par les agences de notation. Mustapha Bensahli relève aussi le fait que le recours à des dévaluations plus ou moins officielles a été l’un des moyens d’atténuer la crise, ce qui a débouché sur une guerre des grandes monnaies mondiales.

DES SOLUTIONS

L’auteur décrit enfin les différents scénarios de sortie de crise, qu’ils soient conçus par les tenants d’une économie libérale ou par ceux qui défendent un retour en force de l’Etat, non pas comme acteur économique, mais comme force régalienne. Un troisième scénario, plus neutre, est aussi présenté avec, tout de même, ce jugement selon lequel il ne peut y avoir de solution à la crise sans remise en cause ou ajustement en profondeur du dogme du «laisser-faire».
Voilà un ouvrage qui est à la fois didactique et exhaustif et qui a le mérite d’expliciter les mécanismes de ce qui est d’ores et déjà considéré comme étant la grande crise du début du XXIe siècle.

(*) Le monde en crise. Les dérives de la finance. Préface du professeur Hocine Benissad. Casbah Editions.378 pages, 750 dinars (prix indicatif).