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LE DOLLAR FORT DECRYPTE

par Akram Belkaid, Paris

Où en est le dollar étasunien ? Pour nombre d’experts, cette devise est structurellement affaiblie du fait des mauvaises performances de l’économie américaine avec, notamment, un déficit commercial qui se transforme année après année en gouffre. Du coup, l’une des idées les plus communément admises sur les marchés des changes est que le billet vert va tôt ou tard connaître une grave crise de crédibilité et que sa valeur ne cessera de s’éroder par rapport à d’autres monnaies concurrentes dont l’euro et le franc suisse.

«A STRONG DOLLAR» : FORT OU PREDOMINANT ?

A ces affirmations, les autorités de Washington (Maison-Blanche, Secrétariat au Trésor et Réserve Fédérale ou Fed) ne cessent de répliquer que l’intérêt des Etats-Unis est que le dollar «reste fort». Même s’il paraît clair, ce propos n’est pas dénué d’ambigüité car il ne cadre pas totalement avec la réalité. D’abord, il y a le fait que les Etats-Unis œuvrent actuellement pour affaiblir le dollar par rapport à d’autres devises. En ces temps de crise, cette faiblesse permet, entre autres, de relancer les exportations, notamment en zone euro et dans les pays émergents, et de limiter la dérive du déficit commercial. Ensuite, cela contribue aussi à lutter contre les tensions inflationnistes qui restent, même si elle privilégie d’abord la croissance, l’une des préoccupations de la Fed.
Alors, faut-il n’accorder aucun crédit à l’expression «dollar fort» régulièrement répétée par Washington ? En réalité, l’affaire est plus compliquée que cela. Certes, le gouvernement étasunien et les autorités monétaires fédérales agissent en sous-main pour affaiblir le billet vert et améliorer la compétitivité des exportations «made in USA». Mais, dans le même temps, l’expression «dollar fort» (strong dollar) est à comprendre autrement. Elle signifie que les Etats-Unis entendent faire en sorte que leur devise continue d’être incontournable quelle que soit sa valeur.
De fait, l’arrivée de l’euro n’a pas (encore) remis en cause la prédominance de la monnaie américaine. Le dollar reste la principale monnaie de transaction sur les marchés internationaux à commencer par ceux du pétrole et des matières premières. C’est aussi la première monnaie d’émission dans le monde (entrées en Bourses, émissions d’obligations) et, plus important encore, cela reste la monnaie de réserve préférée de tout ce que la planète compte comme Banques centrales. Même si les rendements sont proches de zéro, l’obligation du Trésor américain demeure ainsi le titre incontournable en matière de placement comme c’est le cas pour la Chine mais aussi l’Algérie.
L’expression «dollar fort» est donc à prendre au sens de la prédominance. C’est à cela que Washington est attaché. On sait que les Etats-Unis bénéficient d’un incroyable avantage, celui de pouvoir emprunter dans leur propre monnaie. Cela est possible, entre autres, parce que la demande mondiale en dollars ne faiblit pas (acheter des obligations du Trésor américain revient à acheter du dollar). Dès lors, on comprendra la nervosité de l’administration américaine quand un pays se met en tête de remplacer le dollar par d’autres devises comme ce fut le cas avec l’Irak de Saddam Hussein pour les exportations de pétrole… Tout risque de marginalisation du billet vert est vécu comme une atteinte à la sécurité américaine.

LA DOLLARISATION, AUTRE PILIER DU DOLLAR FORT

L’une des autres manifestations de la prédominance du dollar est l’importance de cette devise dans les secteurs économiques, qu’ils soient informels ou non, de nombreux pays. Si le Maghreb échappe à la dollarisation de ses économies de part sa proximité avec la zone euro, ce n’est pas le cas d’autres pays. Par exemple, au Liban, comme en Egypte ou même en Syrie ou en Turquie, le dollar est désormais omniprésent dans les circuits monétaires et constitue même la devise de référence. Plus édifiant encore, c’est aussi le cas en Iran où la monnaie locale est en chute libre et où le taux de change au marché noir entre le rial et le dollar est le principal indicateur de l’état de plus en plus délabré de l’économie locale (le rial a perdu 80% de sa valeur en un an par rapport au dollar). Le pouvoir à Téhéran a beau considérer Washington comme son ennemi juré, il ne peut éviter que son économie soit désormais dépendante du billet vert.