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LES DEFIS DE L’ECONOMIE TURQUE

par Akram Belkaid, Paris

Le deuxième trimestre de l’année 2012 n’a pas été étincelant pour l’économie turque. Son Produit intérieur brut n’a progressé que de 2,9% sur un an et de 1,8% par rapport au premier trimestre. On est loin des 8,5% de croissance enregistrés en 2011 et qui ont placé -certes, de manière provisoire- la Turquie au rang de deuxième économie émergente derrière la Chine (quinzième rang mondial). Pour autant, la situation est tout sauf catastrophique. Même si elle est en train de ralentir, l’économie turque reste dynamique et, surtout, le pays devrait éviter la récession contrairement à ce qui s’était passé en 2009 (-4,7%).

UNE FORTE DEPENDANCE A L’EUROPE

A l’époque, l’activité avait été frappée de plein fouet par la crise subie par l’Europe. Il faut rappeler que, sans faire partie politiquement de l’Union européenne (sa demande d’adhésion n’en finit pas d’être examinée par Bruxelles), la Turquie est déjà un pays européen au sens économique. De fait, près de la moitié de ses exportations sont à destination du Vieux Continent lequel compte pour 80% des investissements directs étrangers (IDE) en Turquie. A titre d’exemple, ce pays est désormais le premier hub européen en matière de fabrication automobile (il a détrôné la République tchèque) et sa production est exportée à 70% dans le monde entier avec le label «made in Europe».
Dès lors, on comprend pourquoi tout ralentissement de l’activité en Europe a un effet immédiat sur son économie. Consciente de cette trop grande dépendance à l’égard d’un marché qui semble enlisé dans une longue phase d’atonie (la croissance moyenne dans l’Union européenne -UE- ne devrait pas dépasser les 2% en 2012), Ankara s’est engagée depuis plusieurs années dans un programme de diversification de ses débouchés économiques. Proche-Orient, Afrique du Nord et Asie centrale font partie des zones prioritaires ciblées par les exportateurs turcs d’autant que leur pays multiplie les accords de libre-échange (une démarche dictée aussi par la lente progression des négociations avec l’UE).
Bien que très médiatisés, y compris en Europe, ces efforts de diversification n’ont pas encore donné tous les résultats escomptés comme en témoignent les chiffres décevants de la croissance au deuxième trimestre. Mais cela n’inquiète pas les dirigeants de l’AKP, le parti au pouvoir depuis le début des années 2000. Pour eux, le basculement vers l’Asie, marqué notamment par un rapprochement avec la Chine (Ankara et Pékin envisagent de libeller leurs échanges commerciaux en yuans), se fera de manière progressive sans pour autant que soit remis en cause le lien privilégié avec l’Europe.

D’AUTRES FRAGILITES STRUCTURELLES

En réalité, la trop forte dépendance au marché européen n’est pas le problème le plus urgent que doit affronter l’économie turque. Il y a d’abord la situation explosive dans la Syrie voisine qui inquiète nombre d’investisseurs étrangers. Or, la majorité des capitaux extérieurs investis en Turquie le sont à court terme et pourraient rapidement quitter le pays en cas de crise régionale majeure. Les Turcs n’ont pas oublié que la dernière grande crise vécue par leur pays avait été aggravée par une importante fuite de capitaux et plusieurs analystes soulignent la fragilité structurelle toujours persistante de la balance des paiements (déficit équivalent à 6% du PIB). Ensuite, il y a les effets habituels d’une forte croissance. En dix ans, le PIB par habitant a pratiquement quadruplé (de 3.500 dollars à 15.000), ce qui a dopé les importations et la consommation interne (laquelle contribue fortement à la croissance). Résultat, l’inflation est élevée (près de 10%) et le déficit commercial reste important malgré le dynamisme des exportations. Une réalité qui pousse la Banque centrale turque à être très vigilante vis-à-vis des grands équilibres financiers du pays. Le dernier trimestre 2012 va donc être déterminant pour l’avenir à court terme de l’économie turque même si la majorité de ses fondamentaux restent bons.