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Pourquoi la Syrie ?

par A. Benelhadj

2ème partie

Un temps pris au dépourvu, les intérêts occidentaux et les classes sociales locales qui ne prisent que modérément les révolutions printanières, car elles auraient tant à y perdre, avec la collaboration des pays du Golfe (le Qatar et l'Arabie Saoudite en tête) se sont attachés à endiguer politiquement et économiquement ces mouvements en quête de plus de prospérité et d'équité5 . Ce fut laborieux, en Egypte notamment, mais ils y sont semble-t-il parvenus. Aujourd'hui, la Tunisie et la Libye exportent « leur révolution » en Syrie, réclament en chœur une intervention militaire occidentale pour hâter la chute de Assad6 . Le CNS (Conseil national syrien), lancé officiellement le 2 octobre 2011 à Istanbul a été aussitôt reconnu par les nouvelles autorités libyennes.

19 islamistes tunisiens qui combattaient aux côtés des « rebelles » ont été capturés en Syrie. Tunis, embarrassé par cette prise, et au fait des ingérences militaires de ses concitoyens dans ce pays, a tenté de la mettre sur le compte de prédicateurs tunisiens qui contreviennent aux injonctions du gouvernement7 . C'est faire peu de cas des choix de la Tunisie qui a été le premier pays pressé de rompre ses relations diplomatiques avec la Syrie.

Tout cela conduit à un constat élémentaire : la Tunisie néo-bourguibiste, mâtiné de wahhabisme, ne sent plus le jasmin de Ben Arous, de Sidi Bouzid et de Kasserine. Mieux, la normalisation en Tunisie est allée à un point où ce pays devient un des rouages de la contre-révolution au point de participer à la déstabilisation d'autres pays arabes tels que la Syrie qui fait face à des actions qui n'ont rien à voir avec le « printemps ».

LA CONJECTURE BRAHIMI.

« Jamais on ne commence une mission dans une situation où l'on sait que l'on va réussir. » Lakhdar Brahimi.

Après le départ du prédécesseur de Brahimi, Kofi Annan, sur ce qu'il faut bien appeler un échec, personne ne donnait une chance à une intercession des Nations Unies dans conflit syrien voué à la guerre jusqu'à ce que l'un où l'autre des belligérants abandonne la partie. Le retour de Brahimi sur le devant de la scène, tiré d'une retraite méritée, à un âge bien avancé (78 ans), constitue une énigme dont on ignore encore le fin mot. Il apparaît dans des conditions insolites. Insolites à plus d'un titre.

Il arrive, conjointement mandaté par l'ONU et par la Ligue Arabe, à l'instant même où les tous derniers observateurs de l'ONU chargés de surveiller une trêve qui n'a jamais été appliquée quittent la Syrie : Une centaine d'hommes de la Mission des Nations unies de supervision en Syrie (MISNUS) dont le Conseil de Sécurité a annoncé la fin de mission.

Tout se passe comme si le dialogue syrien pour la paix n'était qu'un trompe-l'œil. Brahimi débarque dans un théâtre d'ombres. Le problème posé à Brahimi n'est pas une conjecture théorique. La situation est en effet clairement et complètement bloquée :

- L'opposition exclut tout dialogue avant le départ du pouvoir de M. Assad, dont la famille gouverne le Syrie depuis plus de quatre décennies. Reçus à l'Elysée ce mardi 21 août les membres du Conseil national syrien (CNS) ont déclaré étudier « la formation d'un gouvernement de transition », à l'issue d'un entretien avec le président François Hollande.8

- À Moscou le vice-Premier ministre et ministre du Commerce syrien Qadri Jamil, lors d'une conférence de presse organisée après un entretien avec le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a très bien résumé le dilemme récursif sous lequel se présente l'affaire : « La démission (de M. Assad) comme condition pour ouvrir un dialogue signifie qu'il est impossible d'ouvrir le dialogue ». (AFP, mardi 21 août 2012, 23h39).

- Lakhdar Brahimi, avait suscité la colère de l'opposition syrienne en refusant de prendre position sur la question d'un départ de M. Assad.

- Le gouvernement Assad de son côté lui reproche de parler de « guerre civile » alors qu'il s'agit selon lui d'une agression extérieure soutenue par l'Occident et les pays du Golfe.

L'équation est plus difficile à résoudre si les parties en conflit ne sont pas d'accord sur les termes du différend et récusent la légitimité de leur vis-à-vis. La formalisation du problème fait elle-même problème ? comme c'est le cas très souvent en de semblables circonstances. C'est ainsi qu'on constate que la traduction n'est pas de l'ordre du langage mais de l'action. En l'occurrence, de l'exercice d'une coercition violente des belligérants les uns sur les autres. Mais cela est une autre affaire.

LA DIFFERENCE ENTRE L'ANE ET L'ELEPHANT ? LE SOURIRE D'OBAMA?9

«Sur chaque problème, le choix que vous avez ne sera pas juste entre deux candidats ou deux partis. Ce sera un choix entre deux chemins différents pour l'Amérique. Un choix entre deux visions fondamentalement différentes pour l'avenir.» Il est à craindre que ce mot d'Obama à Charlotte, pour la convention démocrate le 07 septembre 2012 ne couvre une profonde difficulté de l'exécutif américain à ne rien pouvoir changer dans leur politique que la forme.

Les Etats-Unis ont eu, à propos de la nomination de Brahimi, une attitude publique très diplomatique, teintée de duplicité tactique : La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a salué la nomination de M. Brahimi, déclarant qu'il « continuera à rechercher une fin au conflit et une transition pacifique en Syrie ». « Mon message à l'émissaire spécial Brahimi est simple: les Etats-Unis sont prêts à vous soutenir et à assurer une paix durable qui fasse respecter les aspirations légitimes du peuple syrien à un gouvernement représentatif », a continué Mme Clinton de manière très évasive.

Mais, comme il se doit depuis le retour des démocrates à la Maison Blanche, l'Amérique se donne le beau rôle de la puissance paisible, le langage soft et pacifique, et confie à ses « alliés » le « sale boulot » pour exprimer exactement à l'opinion mondiale et à ses ennemis, de quoi il retourne au juste. Damas se trompe si peu d'adversaire que c'est Washington seul qu'il pointe du doigt.

En effet, il semble bien qu'entre les Etats-Unis et Damas, s'interposent et s'imbriquent plusieurs structures placées en couverture, derrière laquelle opère Washington ou ceux que Washington couvre de son autorité. L'opposition syrienne occupe dans ce dispositif une place de choix, sans laquelle toute l'opération, à défaut de légalité, est dépourvue de légitimité. Par tradition, c'est à la Grande Bretagne des Churchill, des MacMillan ou des Blair que ce rôle était dévolu10 .

Bien que Cameron ne soit pas en reste, depuis son retour au sein du Commandement militaire intégré de l'OTAN (en avril 2009) c'est la France de Sarkozy puis de Hollande qui semble prendre le relais11 . D'abord, dans la chute de la Libye de Kadhafi et maintenant dans le sort réservé à la Syrie de Assad. Paris, très réservé sur la portée de sa mission, n'a prononcé aucune parole d'encouragement de circonstance à Brahimi. Bien au contraire, le gouvernement français a réitéré son soutien indéfectible à l'opposition syrienne. Qu'on en juge :

Cela commence par Gérard Araud, ambassadeur de France à l'ONU et actuel président du Conseil de sécurité, qui retire -avant même qu'elle ait été entamée- toute chance de réussite à l'entreprise en soutenant fort peu diplomatiquement que « le poste de représentant spécial est une mission impossible ». Autant déclarer Brahimi est inutile. Même si cela est probable, le coup est rude.

De passage en Turquie après une tournée à la frontière syro-jordanienne, le ministre français des Affaires Etrangères assène dans des termes singulièrement crus, inhabituels dans la bouche d'un diplomate : « La position de la France est claire: nous considérons que Bachar al-Assad est le bourreau de son peuple, qu'il doit partir et que le plus tôt sera le mieux » (AFP, J. 16 août 2012, 17h03)

Pour éviter toute ambiguïté, il précise le lendemain : « Je souhaiterais le plus vite possible que Bachar el-Assad tombe ». « Le régime syrien devrait être abattu et rapidement » (AFP, V. 17 août 2012, 19h43). Annonçant au sein du régime syrien de prochaines « défections spectaculaires » (qui n'ont toujours pas eu lieu, au moment où l'on écrit ce papier), il conclut, lapidaire : « ?je suis conscient de la force de ce que je suis en train de dire : M. Bachar al-Assad ne mériterait pas d'être sur la Terre ».

EST-IL BESOIN DE COMMENTER ?

De son côté, à l'ouverture de la XXe conférence des ambassadeurs de France à l'Elysée, le président français tient ce singulier propos : « La France demande à l'opposition syrienne de constituer un gouvernement provisoire, inclusif et représentatif, qui puisse devenir le représentant légitime de la nouvelle Syrie. (?) Et la France reconnaîtra le gouvernement provisoire de la nouvelle Syrie dès lors qu'il aura été formé » (AP, L. 27 août 2012, 19h29).

Sans s'assurer (et si oui comment ?) de sa représentativité ? Le plus surprenant suit.

Solennel, Hollande déclare : « La France inscrit son action dans la légalité internationale et je confirme ici que notre pays ne participe à des opérations de maintien de la paix ou de protection des populations qu'en vertu d'un mandat et donc d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies ». Mais, équivoque, il ajoute aussitôt : « Faut-il encore que ses membres prennent leur responsabilité pour lui permettre de prendre des décisions. Car le blocage du système conduit soit à son contournement, soit à son impuissance ».

Le « contournement » (qu'il condamne d'autant moins qu'il en fait porter par avance la responsabilité à la Russie et à la Chine ?) ne revient-il pas précisément à un viol de « la légalité internationale » qu'il fait pétition de respecter ? Ne serait-il pas déjà en œuvre ? La Turquie, inquiète de l'augmentation du nombre de réfugiés syriens sur son territoire, demande la création d'une « zone-tampon », dont elle a négocié discrètement la faisabilité avec des stratèges américains la semaine précédente.

Ce projet est rejeté par les Russes et les Chinois lors de la réunion au Conseil de Sécurité convoqué par la France le 31 août qu'ils ont d'ailleurs boudée: « Nous voulions une résolution sur la question humanitaire, mais nous avons essuyé un double refus », explique un diplomate français sous le sceau de l'anonymat. Echaudés par le précédent libyen, « Moscou et Pékin nous ont répondu qu'une résolution de ce genre aurait été biaisée. »

Sans résolution ni communiqué, la réunion s'est achevée sur des menaces à peine voilées : « ?si le conflit se poursuit, alors nous devons examiner plusieurs solutions. Nous devons être réalistes. » Le réalisme auquel fait allusion L. Fabius est plus explicite dans les couloirs de l'ONU : plusieurs pays pourraient intervenir en dehors de l'autorité des Nations Unies, comme cela avait été le cas au Kosovo en 1999. Par exemple, pour venir en aide à de soi-disant zones « libérées » qui échapperaient à Damas. En fait, c'est ce qui se passe un peu déjà. Les pays auxquels il est fait allusion sont d'autant plus connus qu'ils revendiquent clairement un soutien matériel et financier considérable aux opposants syriens. Sur commande américaine à peine voilée, l'Arabie Saoudite et le Qatar se distinguent le plus.12

UN MOT-CLE, « LEGITIMITE »

Comme nous l'avons noté plus haut, par nécessité, Fabius grossit le poids réel de l'opposition à Assad, ainsi portée à bout de bras. Malheureusement, les prête-noms se disputent et se dispersent. Bassma Kodmani, porte parole du CNS et d'autres membres de ce conseil improvisé ont claqué la porte cette semaine, mettant à nu les dissensions au sein de l'opposition et les véritables architectes de cette tragédie. Son verdict est sans appel : «Il n'est plus possible de soutenir la révolution syrienne à l'intérieur du CNS, qui n'a pas réussi à construire une plus grande légitimité, notamment dans ses relations avec le terrain» (Le Temps.ch, jeudi 30 août 2012).

Tout cela montre que le bricolage à peine voilé d'une instance hâtivement « légitimée » au sein de l'opposition syrienne, revient en fait au bricolage d'une légitimité à une future intervention extérieure contre la Syrie hors du cadre d'un Conseil de Sécurité paralysé.

La légitimité - un simple opérateur rhétorique - n'est pas une condition sine qua non.

A voir celle des régimes que l'Occident soutient, au Proche Orient, et ceux qu'il a lui-même installés, en Afghanistan et en Irak, sans revenir aux dictatures militaires sud-américaines qui ont servi ses intérêts depuis leur indépendance formelle à fin du XIXème siècle.

A l'évidence, Brahimi n'a que peu de chance d'accomplir sa tâche et d'amadouer ceux qui veulent en finir avec le régime syrien. Si peu que l'ancien ministre algérien des Affaires Etrangères, opposé à une intervention militaire (pour le moins incompatible dit-il avec le choix de la voie diplomatique) a ? handicap supplémentaire - un CV « chargé ». Est-ce pour cette raison que son mandat a été prestement modifié ?13

Personne en Europe, et surtout pas en Amérique et en Israël, n'a oublié ses accusations à l'époque où il était missionné en Irak, en tant qu'émissaire spécial des Nations Unies, pointant du doigt la véritable source de désordre dans la région : « Les problèmes sont liés. Il n'y a pas de doute que le grand poison dans la région, c'est cette politique israélienne de domination, la souffrance qui est imposée aux Palestiniens, la perception que l'ensemble de la population de la région et au-delà a de l'injustice de cette politique, du soutien aussi injuste et, du point de vue de ces populations, totalement inconsidéré des Etats-Unis à cette politique ». « Je crois qu'il y a un apprentissage de nous tous à voir comment on peut cohabiter sur cette petite planète avec cette hyperpuissance » avait-il ajouté.14

L'« hyperpuissance », et le « grand poison » n'ont sûrement pas oublié ces propos et celui qui les avait proférés. Surveillé du coin de l'œil, on le laisse à ses consultations? Mieux, pour illustrer le caractère ardu du problème et l'insolite de l'initiative, c'est Brahimi lui-même qui se donne peu de chance d'aboutir à un résultat. « C'est une mission extrêmement complexe et très, très difficile », confie-t-il à peine investi à Associated Press le 18 août. « Effrayé » se dit-il le 24 août, par la tâche qui lui a été confiée.

On en conçoit le pessimisme, mais ? aussi grand soit sa résolution et son expérience - son engagement laisse perplexe. Certes, ce que l'on sait de lui incline à la réserve. Il serait prudent de ne formuler aucun pronostic définitif sur les chances de succès d'un homme de défis. Voilà en quels termes il est décrit par ceux qui l'ont connu : « Brahimi a une réputation incroyablement bonne à l'ONU, mais il est aussi connu pour ne pas recevoir d'ordres des grands pouvoirs, ni s'inquiéter outre mesure de l'attention des médias », a estimé Richard Gowan (directeur associé du Centre sur la coopération internationale à l'Université de New York - NYU) dans un courriel à Associated Press. « Ça pourrait être précisément ce qui est nécessaire aujourd'hui en Syrie: un médiateur endurci mais indépendant, qui persistera dans ses efforts diplomatiques même s'il doit affronter les critiques s'il échoue à trouver un accord rapide ».15

« LE PIEGE DU PLAN ANNAN »

Déstabiliser un pays, c'est encore mieux si l'on y parvenait avec l'aval et la bénédiction des Nations Unies qui en cautionnent moralement et juridiquement l'exécution. Les réseaux médiatiques mondiaux s'occupent du reste, amplifiant un son de cloche uniforme au seul avantage des « rebelles », via un obscure Conseil général de la révolution syrienne (CGRS) et un énigmatique « Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) » basé à Londres16 .

Une vraie guerre des images et des communiqués digne de la « Guerre Froide » La chaîne El Jazira, elle, s'occupe de formater le monde arabe monolingue. Un black-out de plomb est posé sur toute information venue de Damas : Le paysage médiatique mondial est organisé en sorte que l'agence Sana soit strictement inaudible hors de la Syrie.

S'il semble prématuré de répondre à la question « Pourquoi Brahimi ? », posons-nous la question, « Pourquoi un représentant des Nations Unies ? » Et considérons l'ordre des événements : Un représentant de l'ONU s'est imposé dès lors que le Conseil de Sécurité ne pouvait produire une résolution similaire à celle qui renversa le régime de Kadhafi. Pour éviter le vote d'un texte à partir duquel il eut été possible de dériver une interprétation capable de légitimer une intervention militaire occidentale, la Russie et de la Chine ont bloqué toutes les initiatives trois fois de suite. 17

En diverses circonstances, les pays arabes ont été sollicités pour trouver un consensus local et de rédiger un succédané de résolution qui aurait pu faire office de? Malheureusement, il ne fut pas possible de trouver une unanimité à même de compenser celle de l'ONU18 . Devant ce blocage le plan Annan est sorti d'un chapeau en une sorte d'alternative. On découvre les termes de ce plan (et en même temps mesurer la difficulté de la mission de L. Brahimi) grâce à un papier publié en mars dernier de Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, qui a recueilli les confidences d'un « diplomate occidental ».

Les six points du plan de sortie de crise tenaient lieu de piège tendu à la Syrie. Il a été concocté par l'ancien secrétaire-général de l'ONU, soutenu par la Ligue arabe et les Nations unies, au centre de la conférence des « Amis de la Syrie » le week-end du 31 mars à Istanbul.19

Le point le plus important consistait à exiger du régime syrien le retrait de ses troupes des centres urbains permettant ainsi le retour des manifestants dans les rues et les places des principales villes syriennes et la réédition du scénario de la « Place Tahrir » au Caire qui aboutit à la chute de Moubarak. Assad n'aurait plus alors le choix qu'entre deux solutions :

- Soit partir (comme Ben Ali et Moubarak), sous le poids des images mondialisées.

- Soit : « Face à une telle marée humaine, le régime devrait recourir à la force en tirant sur la foule. Dans ces conditions, les vetos russe et chinois à toute action contraignante contre Damas deviendraient intenables, escomptent les partisans de cette stratégie. » (?) « Ou alors, rapporte Malbrunot, que devant un tel bain de sang, la Turquie voisine se décidera à avancer en territoire syrien pour y créer une zone libérée à partir de laquelle les opposants syriens se regrouperaient, rejoints par les nombreux militaires sunnites qui hésitent aujourd'hui à déserter. »

Pour les tenants du plan Annan, la phase de dialogue entre pouvoir et opposition, prévue par le médiateur, ne devait venir qu'en fin de processus. Lorsque la situation en Syrie serait devenue ingérable pour un gouvernement Assad définitivement ferré. D'où la conclusion du diplomate précité : «La question n'est pas de savoir si, mais quand Bachar [allait]-il rejeter le plan Annan ?». «Pour nous, ajoutait le diplomate, le moment de vérité sonnera lorsque Kofi Annan viendra devant le Conseil de sécurité de l'ONU exposer les raisons de son échec, c'est-à-dire lorsque l'armée aura tiré sur des manifestants pacifiques qui défilaient dans les rues des principales villes syriennes».

Malheureusement, pour ces architectes, les événements ne se sont pas déroulés selon ce plan20 .

Et Malbrunot de conclure : « Pendant le ramadan, en août dernier [2011], les services de renseignements syriens redoutaient déjà un afflux massif de manifestants dans le centre de Damas, qu'ils n'auraient pu contenir. D'où la tactique adoptée alors, consistant à fermer hermétiquement les accès à la capitale. Un verrouillage qui porta ses fruits : la forteresse damascène, solidement protégée par la IVème Division de Maher el-Assad, le frère du président, est restée sanctuarisée, même si des échanges de tirs éclatent sporadiquement dans certains quartiers. »

Il fut convenu, cela tombe sous le sens, de mettre sur le compte des vetos sino-russes l'échec de la mission Annan.

LE RETOUR DE L'INUSABLE « QUI-TUE-QUI ? »

Depuis, les escarmouches succèdent aux escarmouches et la guerre des communiqués se substitue à l'absence d'informations crédibles. Des massacres sont régulièrement dénoncés par l'OSDH accusant le régime d'en avoir été l'auteur. Probablement un aperçu de la stratégie escomptée ci-dessus.

Le tout dernier date de ce dimanche 26 août. Les corps de 32 civils ont été découverts dans les rues de Daraya, au sud-ouest de la capitale Damas, où les forces syriennes ont lancé une vaste opération contre les insurgés.

A défaut d'observateurs fiables et impartiaux, pour reprendre les termes des communiqués frileux des agences de presse, on se contente de renvoyer les protagonistes dos-à-dos. On peut disputer au régime syrien son respect des principes démocratiques auxquels il a lui-même souscrits. Cela, sans verser dans quelconque « un droit d'ingérence » universel qui porte sous un humanitarisme de façade, la marque unilatérale de la belligérance et du parti-pris.

En l'absence d'instance mondiale, autonome, omnipotente, légitime et vertueuse (pour l'instant de l'ordre de l'hypothèse improbable), le respect des souverainetés nationales demeure quoi qu'on dise le socle principiel des relations internationales, fortement perturbé il est vrai par l'émergence de conglomérats transnationaux privés dont le poids économique et financier dépasse, et de loin, les moyens des Etats, dont certains sont ainsi désignés par défaut.21

Il n'est pas fatal cependant que le monde soit éternellement réduit au dilemme obsolète d'une hyperpuissance globale et d'autocrates locaux, le tout régulé par des instances qui échappent à toute légitimité démocratique.

En tout état de cause, l'on peut douter que l'armée régulière syrienne (qui, comme toutes les armées n'est pas formée d'enfants de chœur) s'adonne à l'exécution massive de femmes et d'enfants, des « assassinats de sang froid, par balle à bout portant », pour les punir d'un invraisemblable soutien aux rebelles. L'opposition armée au régime de Assad, tous les observateurs sérieux en conviennent, reste le fait d'une minorité puissamment assistée par l'étranger.

Les peuples qui souffrent de l'oppression de dictateurs de par le monde ne manquent pas. Les moines-soldats du « droit d'ingérence humanitaire », ont le choix parmi les satrapes et les tyrans, en particulier parmi les pays amis de l'Occident, en distinguant particulièrement ceux qui lui doivent leurs pouvoirs et les moyens de les conserver. Par ailleurs, à constater une décennie après, les « bienfaits » des « guerres justes et morales », entreprises en Afghanistan et en Irak pour tirer leurs peuples des griffes de leurs abominables despotes, qui en voudrait aux Syriens de tenir à leur « dictateur » ?22

D'identiques réquisitoires avaient été dressés, dans les années 1990, à l'encontre du gouvernement algérien et de son armée, dans leur lutte contre les groupes islamistes, les accusant tantôt d'avoir massacré des populations civiles, tantôt d'avoir laissé faire des groupes terroristes « manipulés ». L'armée syrienne, comme l'armée algérienne, formatée pour faire face à des conflits internationaux, a une expérience limitée de la guérilla urbaine qui exige une intelligence militaire appropriée et un long apprentissage. Ne serait-ce que pour éviter d'alimenter la subversion par une réaction militaire disproportionnée, brutale et indistincte23 .

Avec cette différence que l'Algérie n'était par assiégée par une si impressionnante adversité. Ceux qui ont vécu la tragédie algérienne, mesurent ce qu'endure le peuple syrien.

Sous le slogan « qui-tue-qui ? » (qui resurgit de temps à autre, selon les péripéties des relations de l'Algérie avec ses partenaires occidentaux), une campagne insidieuse avait été déployée pour peser sur le pays et sa politique. De temps à autre, une preuve ou un témoin de plus surgi opportunément pour relancer, dans les médias en France, le débat sur les « véritables auteurs » de la mort des « Moines de Tibhirine ».

En attendant, la Syrie vit un statu quo incertain et mortifère. On a approché le « comment ». Il est temps d'en venir à la question du « pourquoi ».

POURQUOI LA SYRIE ?

La situation peut être simplement résumée : Bloquée au Conseil de sécurité, la crise syrienne est aussi bloquée sur le terrain. En sorte qu'en l'état actuel de son évolution, il n'y aurait que deux possibilités à considérer :

- Soit Assad finit par subir le même sort dévolu à Hussein (pendu à la sauvette un jour d'Aïd entre chiens et loups) et à Kadhafi, assassiné à la sortie d'un égout.24

- Soit les enjeux géostratégiques impliquant la Russie (et la Chine qui lui est associée pour des raisons particulières) rendent cette solution inenvisageable.

Si la première hypothèse devait se réaliser, la position de Brahimi deviendrait alors très inconfortable et pour ainsi dire sans objet. Par ricochet, celle de l'Algérie aussi, elle qui s'est opposée dans les coulisses, pour diverses raisons (le respect de la souveraineté des Etats, notamment) au soutien d'actions subversives contre la Syrie, en dehors de la stricte légalité internationale quelque soit la forme sous laquelle elles sont entreprises.25

Davantage qu'en Tunisie ou en Egypte, la crise syrienne s'avère autrement plus compliquée. Le pays est au cœur d'une multitude entrecroisée d'enjeux géopolitiques majeurs qui débordent largement les controverses intérieures et locales.

A suivre...

Note :

5 Pour le détail de ces événements observés au plus près, on peut relire les chroniques que l'auteur leur a consacrées dans Le Quotidien d'Oran du 20 au 23 janvier 2011, du 19 au 26 février 2011 et du 16 août 2012.

6 Le parquet de Paris vient de rejeter une plainte pour « actes de torture et barbarie sur des enfants » contre Bachar El Assad déposée par une association de protection de l'enfance? marocaine (AFP, L. 03 septembre 2012, 13h14). L'Algérie ne s'épargne pas semblable ridicule. Des militants des droits de l'Homme, des avocats et des membres de la société civile algérienne, ainsi que des opposants syriens avaient lancé en août 2011 un appel à l'expulsion de l'ambassadeur de Syrie en Algérie. Cet appel, sous l'égide de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH), « se veut comme une action de solidarité avec le peuple syrien meurtri et confronté à la violence du régime de Bachar el-Assad », avait expliqué Me Mustapha Bouchachi, président de la LADDH (Associated Press, S. 06/08/2011 à 18:21). Des démarches invraisemblables portées par une sensiblerie humaniste suspecte, au mieux naïve. De quoi désespérer définitivement de la miséricordieuse « fraternité » arabe?

7 Le porte-parole de la présidence tunisienne s'en est pris aux imams qui incitent les jeunes Tunisiens à partir au djihad en Syrie. « Je demande à ces imams d'arrêter. La Syrie a besoin d'aide politique, pas de djihadistes. Nos jeunes avaient peut-être de bonnes intentions, mais il est possible qu'ils soient tombés entre les mains de manipulateurs. » (AP, V. 08 juin 2012, 18h41)

8 François Hollande, critiqué à droite pour son indolence sur ce dossier, est descendu sur le perron de l'Elysée pour accueillir en personne les représentants de l'opposition syrienne. Il a « encouragé le Conseil national syrien à organiser un large rassemblement de toutes les forces de l'opposition, en particulier les réseaux locaux de coordination, les conseils révolutionnaires et les représentants de l'Armée syrienne libre. Les représentants légitimes de la nouvelle Syrie pourront ainsi préparer la transition vers un régime démocratique dans les meilleures conditions possibles », recadrait un communiqué de l'Elysée. (AP, mardi 21 août 2012, 19h25)

9 En vérité, Obama ne sourit pas. Son visage arbore le rictus électoral, la mimique pavlovienne standard commune à tous les professionnels de la politique, sous quelques bannières ou latitudes qu'ils se présentent.

10 On peut dater le début de cette subordination « spéciale » (qui donne à la Grande Bretagne le sentiment de participer à une œuvre qui dépasse le cadre des nations et de noyer sa dépendance dans une fusion globale baptisée UKUSA), de la conférence tenue secrètement entre le 9 et le 12 août 1941 sur le Potomac au large de Terre-Neuve, entre Churchill et Roosevelt.

11 C'est à la tribune du Congrès des Etats-Unis, le 07 novembre 2007, et non devant les représentants du peuple français, que le président Nicolas Sarkozy annonce le projet de réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Il conditionne toutefois celle-ci par une avancée sur une Europe de la défense qui n'a jamais eu lieu, sauf au sein de... l'OTAN.

12 Une question se pose sur les liens qu'il y aurait entre la ferveur de l'engagement politique et militaire français et les multiples investissements réalisés ces dernières années par le Qatar en France. En quoi ces différentes opérations militaires servent-ils les intérêts de la France, si on laisse de côté les intérêts privés de quelques lobbys influents, par exemple pétroliers, qui ne contribuent pas du reste au budget du pays ? Après un fugace regain de sympathie sous la présidence Chirac-Villepin, l'image de la France s'est notablement dégradée dans le monde et pas seulement au Proche Orient. Il est peut-être opportun de souligner le creusement déficits français (budgétaires, commerciaux, financiers, sociaux). La différence avec les performances allemandes pèse autant sur la stabilité de l'Euroland que sur la crédibilité de la politique internationale de la France.

13 Au point que, curieusement, la Maison Blanche a demandé des précisions à ce sujet, dès sa nomination.

14 Sur France Inter, par téléphone. (Reuters, mercredi 21/04/2004, 10:41).

15 Lakhdar Brahimi fait partie des « Elders » (Anciens), un groupe d'anciens dirigeants internationaux travaillant à la paix mondiale dont Nelson Mandela fait partie. A ce titre, il a publié un communiqué commun le 10 août dans lequel il estimait notamment que le Conseil de sécurité de l'ONU et les Etats régionaux devaient « s'unir pour assurer une transition politique le plus tôt possible. Des millions de Syriens réclament la paix. Les dirigeants mondiaux ne peuvent pas rester divisés plus longtemps, faisant fi de leurs appels ». (AP, id.).

16 Le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères affirme que l'observatoire ne serait composé que de 2 personnes, Rami Abdel Rahmane et son secrétaire-interprète. Il précise : R. Abdel Rahmane n'aurait pas de « formation journalistique ou juridique ni même d'instruction secondaire » (Wikipedia.org, entrée : « OSDH »).

17 Les Etats-Unis s'étaient déclarés disposés à intervenir en dehors du cadre de l'ONU. Mais on sait qu'une opération telle que celle échafaudée contre l'Irak n'a que peu de chance d'être réitérée. De plus, en année électorale Obama prendrait un risque incalculable.

18 L'Assemblée Générale a fourni une Recommandation « acceptable » le 03 août, après la démission de K. Annan, dépourvue cependant de toute valeur juridique contraignante.

19 Le Figaro, S. 31 mars 2012, 09h40.

20 Le diplomate demeurait malgré tout lucide, puisqu'il confie au journaliste : « Même si Bachar el-Assad a donné son accord au plan Annan, il paraît peu probable que Damas tombe dans le traquenard. »

21 Exemple saisi au fil de l'actualité financière : Apple (60 000 employés) a atteint cette semaine en bourse une capitalisation de 633 Mds$, soit 3 fois le PIB de l'Algérie (37 millions d'habitants). La comparaison de deux grandeurs économiques différentes peut être théoriquement discutable. Mais elle illustre pertinemment le propos.

22 Les Irakiens, tout en demeurant critique à l'égard de son régime, regrettent l'époque de Saddam Hussein.

23 C'est ainsi que l'armée française, au Viêt-Nam d'abord et en Algérie ensuite, a facilité la prise de conscience et la mobilisation populaire aboutissant à un basculement massif en faveur de la libération nationale. Ce qui a été fait par la suite des indépendances est une autre question? qui ne saurait en aucune manière créditer les occupations coloniales dont les « bienfaits » ont prioritairement bénéficié aux métropoles.

24 La sommaire exécution, sur ordres de la CIA, de Che Guevara ?figure christique universellement encensée ^par-delà les cultes- tient lieu de paradigme. Une occurrence en a été esquissée dans le film « Under Fire » (R. Spottiswoode, 1983). L'image des libérateurs dont on exhibe misérablement le corps pour en tuer l'esprit et la cause, se retourne invariablement contre le parti des assassins. Une constance historique : à quelques rares souverains éclairés, dont notre époque est fort dépourvue, la puissance est toujours une fonction inverse de l'intelligence. L'une étouffe l'autre.

25 Les débats et les délibérations au sein des instances arabes sont connus pour leur opacité. Les pays résolus à la disparition du régime de Assad sont identifiés. On peut le déduire de la gestion de l'attentat qui a emporté la vie de Rafiq Hariri. On connaîtra un jour le détail des échanges et des disputes qui les a opposé aux autres pays.