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Le peuple est majeur

par El Yazid Dib

On peut voter à 18 ans, mais l'on ne peut à cette chronologie voyager seul. Bizarre évaluation d'une franche notion de majorité. Elire des programmes, des idéologies qui sont censés refléter votre aura exige de vous seulement la faculté d'avoir déjà consommé en plein ses 18 tiges. Alors que pour s'affranchir d'une tutelle paternaliste et couvrante et aller se balader en extra-territorialité, la loi en rajoute une autre. 19.

La politique tient ainsi en l'état la liberté individuelle. En fait être indépendant c'est de ne plus avoir de contrainte ni de lien d'assujettissement. Nombreux sont ceux qui limitent l'indépendance à la liberté. Les deux arguent-ils sont forcement une antinomie. Apres 50 ans d'indépendance le peuple est-il en plénitude de sa majorité ? Qui est en totale dépendance après 50 ans d'indépendance ? Cette situation se discernait en 1962 comme la grande victoire contre une ignominie. Contre une proscription de tous les droits humains élémentaires. Le peuple ne mangeait pas alors à sa faim.

La famine plus qu'un fléau n'était qu'une décision coloniale. Le bonheur n'avait pas d'ancrage dans la vision de pouvoir de loin voir les autres européens déguster la vie et ses amabilités. Tous ce que le génie militaire français avait concrétisé n'avait pas comme péroraison la satisfaction d'un besoin social de la population autochtone.     Les cinémas furent faits pour eux. Les routes, les casernes, les bâtiments, les infrastructures furent l'œuvre de nos parents. Le muscle algérien a fait des miracles. Que ne vienne pas cette nostalgérie des années révolues où certains pensent qu'il y faisait bon vivre. Il faudrait s'immiscer dans les annales journalières et fatidiques de ces longs moments pour toucher de près le ressentiment qui gerçait par haine le désir d'être libre chez soi.

Les colons n'admettaient pas cet état d'esprit libertaire que pouvaient afficher certains centres déjà imbus de nationalisme. Un vieux citadin me racontait qu'il leur était interdit même de passer par là où les terrasses de cafés rassemblaient des pléiades de colons. « Ils nous crachaient dessus » me disait-il forcé de me convaincre que présentement si ce fait est impossible il n'en demeure pas moins que l'humiliation existe sous d'autres formes. « Personne ne te crache dessus, mais l'on peut le faire sur tes droits » insistait-il à mon adresse.

Le pays se pare pour célébrer cette fête de conquête et de recouvrement de l'indépendance. Les rues sont ornées, les placettes embellies. La zorna siffle ses sons aux odeurs du baroud, les guirlandes chancellent aux rythmes des musiques enfouies dans des salles calfeutrées. Le festival n'est pas totalement populaire.

Le bon de commande a fait cette fois-ci son implacabilité dans les finances publiques. Tous se sont mis à la caisse pour glorifier cet anniversaire. Pour débourser évidemment. La culture, ah ce traitre mot ! qui aurait dit « quand j'entends parler de culture je sors mon revolver » ? Le ministère qui s'en charge la charge davantage d'obstacles rameux. Ce ministère gère de gros paquets de milliards et en dit mot, alors il en dit beaucoup lorsqu'un maire se permet de concocter un gala local. La culture chez ce ministère est une jalousie maladive. Elle est un monopole dans la lettre, le son, l'image et la parole. Bolchevique jusqu'aux bureaux, elle s'étend en Kominterm jusqu'aux festivals. Le ministère est presque un club.

Tout le monde, le petit n'y a pas droit d'accès. À quelques exceptions rares le folklore est sorti des salles, des palais et des maisons pour s'installer dans la rue. J'ai vu des enfants, des familles sur les allées Benboulaid à Batna, chanter, danser, siffler en étant loin d'un protocole d'invitation et de rang préétabli. La liesse en cette veille cinquantenaire, dans le bastion de Novembre n'est pas uniquement une affaire d'Etat. Comme la révolution elle est devenue une affaire de citoyenneté. L'Etat par ses démembrements exécutifs, forcé à le faire semble ne s'arroger le droit qu'au titre de la supervision.

La distraction, ses contours, ses jubilations, ses euphories sont l'apanage de groupes de jeunes. Rappeurs, monologues, skateboard, à eux seuls ils ont su animer les soirées caniculaire auréssiennes. Pour bien incruster dans la postérité l'événement, la collectivité locale a érigé une stèle unique en plein centre ville. Le mausolée de « l'esplanade du cinquantenaire » est l'œuvre bénévole de l'architecte Khalil Benboulaid, fils du héros de la révolution de 54. D'une hauteur de 22 mètres symbolisant la réunion des 22, le monument s'élève pour dominer une structure dédiée en galerie d'exposition que des figurines exprimant la procession de la nation viennent gaillardement garnir le pourtour. « L'œuvre est une chiffrologie » m'affirme l'architecte. Elle est une simple équation à plusieurs inconnues. Tous les chiffres liés à l'histoire y sont matérialisés. 132 mètres carrés couverts (durée de la colonisation) ,11 mètres en longueur (novembre), 54 marches (1954), 50 étoiles (âge de l'indépendance). Cette signature 2012 est là pour rappeler que le pays ne s'est pas fait par pur hasard. La photo des six (inédite encore selon le fils Benboulaid) est mise en valeur par un émaillage hautement artistique et qui fait la base de cette gigantesque reconnaissance.

Sur un autre plan, il ne suffit pas de crier à chaque anniversaire pour asseoir une hypothèse d'aisance sociale. Les problèmes que vivent les gens sont en eternel recrudescence. Le 5 juillet dans son essence originelle est une date phare dans la procession nationale.

Depuis 1830 à nos jours, soit en 182 ans nous n'aurions vécu que 50 ans en autogestion. Sans présence physique étrangère. Sans torture, sans flagellation, mais avec beaucoup d'interdictions et d'inaccessibilités. L'indépendance n'est pas exclusivement une autodétermination ou un mode de gestion collective. Elle est l'objectif imputrescible de toutes les litanies subies depuis le débarquement illégal à Sidi Ferruch. Des générations ont été sacrifiées au fur et à mesure que la France coloniale corroborait sa fermeté que ce pays conquis sera leur province. Encore une énième. De colonies à un grenier, de terre vierge et naturelle à un banc d'essai nucléaire, de peuple amazigh à un béni-oui-oui, sommes-nous totalement indépendants de ces pugilats ?

Mes pensées en ce jour vont vers ceux qui ont laissé leurs familles, enfants et parents et ont octroyé gracieusement leur âme aux douceurs clémentes du grand martyre. Ces hommes et femmes partis au cours d'un septennat sanglant et honnête. Meurtrier et solidaire.ils n'étaient pas affiliés à un club de tennis ou de golf. Ils n'avaient pas d'indemnités de représentation, de bons de carburants. Ils ne pratiquaient pas le footing matinal. Mais ils le faisaient dans les monts et piedmonts. Avec le lot eternel de la faim, du froid et de la menace de mort à tout moment, ces gens ne se privilégiaient pas d'une quelconque immunité. Sauf celle de la coruscante liberté qui allait rejaillir demain.

Ces gens là; a qui nous devons notre liberté initiale, ne sont devenus pour les festivités organisées que des motifs génésiaques et des justificatifs de dépenses.

Il fallait, pour leur mémoire s'investir dans la contrainte de courber la volonté pour un aveu de repentance de ceux qui les ont fait atrocement, prématurément partir. La providence divine et le sort céleste en a ainsi voulu.

En jour, par déférence à ces gens, nous devons faire taire nos lamentations. Nos gémissements sur l'échec de n'avoir pas pu concrétiser en son entièreté le serment ne peuvent absoudre nos tares. L'amoindrissement de la noblesse trahie, font que blâmer les uns revient à ne jamais balmer les autres. La succession des politiques pointées depuis l'indépendance, le règlement de compte individuel sur l'autel de l'histoire, la chicanerie et l'humeur du moment, sont responsables de ce rideau de fer qui n'arrive plus à se relever.

Portant il est de simplicité d'être à l'écoute de ce peuple qui après cinquante années d'indépendance, pense-t-on est majeur.

Il pourra à l'instar d'autres peuples qui par ailleurs n'ont pas fourni de sacrifices autant que lui, aspirer à une vie décente et heureuse. Taisons encore nos griefs, lesquels sont tares nombreux à l'égard de politiques mal faites, de reformes inachevées et de promesses émiettées. Contentons-nous de méditer l'événement et bousculer un tant soit peu l'hilarité grotesque de pontes à création nouvelle, de lubriques et de nouveaux parvenus.  Seules l'égalité et la justice sont à même de garantir l'équilibre de classes. Une transparence et une saine application du Droit sont aussi des cautions pour une harmonie populaire. L'on ne peut persévérer à vivre sur les décombres d'une injustice ou d'une flagornerie mal placée.

Que le peuple fasse son destin, que les citoyens dessinent leurs villes, que les enfants puissent bidouiller leurs jeux dans des espaces propres et hygiéniques.

Que le peule conçoit ses rêves, que son président l'embryonne et que le gouvernement se doit d'être un instrument de réalisation. Pas plus. Bonne fête.