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Ali Kahlane: «Un directoire pour Algérie Télécom ou?  une privatisation pure et simple en 51/49»

par Yazid Ferhat

Ali Kahlane, président de l'AAFSI, membre ès qualités du Comité sectoriel permanent de la recherche pour le développement des TIC et de la Commission nationale du haut et très haut débit, revient sur le bilan des TIC en Algérie et les raisons profondes du retard accumulé dans le déploiement de l'Internet. Il suggère un "management contractuel collectif, sous forme de directoire" à la tête d'Algérie Télécom ou une "privatisation pure et simple de l'opérateur dans le cadre du 51/49".

Dans de nombreuses déclarations de responsables des MPTIC et d'Algérie Télécom, le MSAN est présenté comme la solution miracle capable de régler le problème de la connexion de l'Internet en Algérie. Vous êtes d'un autre avis ?

Effectivement depuis 3 ans, tout le monde en parle du MSAN comme étant la solution miracle qui permettrait à l'Algérie de régler définitivement le problème de notre connexion au réseau mondial, et du coup aider le secteur des TIC à sortir de l'ornière. Ces équipements permettraient de donner l'Internet à l'abonné d'une manière native. Entendons par là que la connexion serait bien meilleure, avec des débits plus importants et, surtout, avec la possibilité de rajouter du contenu (TV, vidéo, jeux, téléphonie?) et divers autres services à valeurs ajoutées. C'est ce que dit la théorie.

En 2009, Algérie Télécom acheta un premier lot de 400.000 accès de type MSAN, financé entièrement par le Groupe. Cette première partie du programme était supposée aller dans le sens de la réalisation du Programme «e-Algérie 2013» qui prévoit 6 millions de connectés à l'Internet d'ici 2013. D'après les différentes déclarations des responsables du secteur, trois ans plus tard, moins du tiers de ces accès a été effectivement distribué aux clients de l'opérateur.

Puisque les premiers 400.000 équipements MSAN n'ont pas pu être commercialisés, pourquoi en acheter 600.000 autres juste après ?

Tout à fait. Un an plus tard, en juillet 2010, alors même qu'à l'époque, à peine 6% avaient été distribués sur le terrain, Algérie Télécom signe un autre contrat d'acquisition de 600.000 accès de type MSAN. La différence sur le plan commercial est que cette fois-ci, Algérie Télécom n'en a pas directement financé l'acquisition. Basé sur le système du partage du bénéfice, AT rentre en partenariat avec la compagnie chinoise Huawei, qui fournit gratuitement les équipements en échange de 35% sur les bénéfices réalisés et ceci pendant trois années.

L'objectif de l'opérateur historique était de courir après la réalisation des chiffres fixés par le président de la République et satisfaire ainsi les politiques du secteur avec plus d'annonces pour pouvoir engranger sur leurs effets. Pour les citoyens que nous sommes, ces 600.000 nouveaux accès ne sont toujours pas opérationnels, deux ans après la signature de ce contrat, et encore moins distribués. Toujours d'après les différentes déclarations des responsables du secteur, ministère et opérateur historique réunis, à ce jour uniquement 15% des équipements MSAN acquis en 2009 ont été distribués, et 0% des 600.000 équipements concernés par le contrat signé en 2010 avec l'équipementier chinois !

Les ISP se sont constitués en GIC, Groupement d'intérêt commun, pour proposer un partenariat commercial à Algérie Télécom en mars 2008 et en 2009 qu'est-ce qui est arrivé à tous ces projets ?

Les fournisseurs de services Internet, dont le nombre déclinait régulièrement depuis 2003, ont préféré effectivement se constituer en un groupement commercial pour avoir la masse critique nécessaire pour rentrer en partenariat avec un partenaire tel qu'Algérie Télécom. Touiza Télécom, c'était la raison sociale de ce GIC, avait proposé tout un modèle économique doublé d'un plan d'affaires (Business Plan). Trois partenaires étaient liés pour un partage de bénéfice, chacun selon ses apports, et où le maître-mot était «gagnant-gagnant-gagnant», le troisième gagnant étant le citoyen. Pour l'histoire, j'aimerais rappeler à nos amis journalistes et Google pourrait le confirmer, Touiza Télécom a été la première à utiliser et expliquer l'acronyme MSAN qui était la base du Business Model présenté.

L'idée de Touiza Télécom était basée sur la mise à disposition des équipements MSAN par un ou plusieurs équipementiers qui deviendraient alors partenaires, Algérie Télécom ramènerait son réseau et ses infrastructures de base, alors que les ISP réunis développeront des applications et du contenu, mettraient en place des services à valeur ajoutée, et prendraient en charge la commercialisation et la gestion clientèle, notamment le support clientèle en assurant une véritable qualité de service.

Depuis 2008, trois conventions ont été signées entre Algérie Télécom et Touiza Télécom ainsi qu'avec l'AAFSI. Aucune d'elle n'a pu être appliquée.

Le résultat est là. Un partenariat public-privé, pourtant encouragé par les pouvoirs publics et surtout inscrit dans le Programme «e-Algérie» qui est complétement moribond. Il n'a été ni respecté et encore moins engagé. Quatre ans plus tard, correspondant à l'âge du Plan, des équipements (MSAN) sont achetés, des partenariats sont signés avec des étrangers pour acquérir encore d'autres équipements. Nous sommes, malheureusement, toujours aussi loin des objectifs fixés par le président de la République au MPTIC. Car, encore une fois, on s'est laissé aller à la facilité de l'achat de matériel au détriment du développement du tissu économique du pays. Cela ne va pas dans le sens de favoriser l'avènement d'une véritable industrie de développement de logiciels et de contenu tout en mettant en place la mise en place de véritables services à valeur ajoutée, dont a besoin la plus simple des connexions Internet. Malheureusement, on n'a pas voulu croire aux capacités des entreprises algériennes et aux génies des techniciens et ingénieurs que notre pays forme à grands frais. On peut tout acheter avec l'argent mais certainement pas notre culture. Nous seuls pouvons développer du contenu national et promouvoir un Internet algérien.

Nous sommes manifestement dans une impasse en ce qui concerne le développement de l'Internet, la noria des PDG qui se succèdent à la tête d'AT n'arrange certainement pas les choses. Quelle est votre lecture ?

Une double question ! Une concernant la stratégie des TIC de notre pays et l'autre concernant la gestion d'Algérie Télécom. Comme je viens de le développer plus haut, l'assertion que tout peut être réglé avec l'argent et l'achat de matériel a largement montré ses limites. Avant 2008, nous n'avions pas de stratégie de développement des TIC, si nous avions continué ainsi, ce que nous vivons actuellement aurait été compréhensible. Il se trouve que nous en avons une. Ce n'est peut-être pas la meilleure du monde. Elle a ce mérite indéniable d'exister et un autre mérite, tout aussi indéniable, de ne pas avoir été remplacée par une autre ni déjugée officiellement depuis sa publication sur le site web du Premier ministère en avril 2009. Il aurait suffi de l'appliquer et surtout de profiter des nombreuses erreurs que nous avons dû faire durant ces quatre années, rajoutons encore du pragmatisme mesuré, beaucoup plus de professionnalisme et surtout de moins en moins de politique.

En ce qui concerne la gestion d'Algérie Télécom, j'aimerais utiliser une métaphore. Changer le pilote d'un avion, sans s'être assuré qu'il a le bon nombre d'heures de vol requis pour l'appareil en question et, en plus, sans lui donner le bon plan de vol, ne vous donnera aucune certitude et ni assurance que l'aéronef arriverait à bon port sain et sauf. Il existe bien sûr d'autres solutions pour aider Algérie Télécom à s'en sortir. Comme par exemple un management contractuel collectif, sous forme de directoire ou «coaching» pendant une période renouvelable de 3 ou 5 ans avec une feuille de route et un contrat de performance muni d'objectifs intermédiaires à court et moyen terme. L'autre solution serait la privatisation pure et simple de l'opérateur dans le cadre du 51/49. A l'instar de ce qu'a été fait par l'un de nos voisins, avec beaucoup de bonheur, car non seulement cette entreprise est largement bénéficiaire avec uniquement 30% du capital, tout en ayant récupéré pratiquement tous ses employés et recruté de nouveaux, mais elle s'est payé le luxe d'acheter un opérateur télécom étranger.