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Les maux sont en amont ; en aval, leurs traumatismes

par Mohammed Beghdad

Ce fut une réelle catastrophe qui survint dans la soirée du vendredi 25 mai 2012 à la cité universitaire Bakhti-Abdelmadjid de Tlemcen, qui a coûté la vie à 8 personnes (7 étudiants et 1 employée) et fait environ une quarantaine de blessés, dont un certain nombre en état plus grave.

La nouvelle s'est propagée telle une trainée de poudre sur Facebook donnant l'alerte à des milliers d'internautes aux aguets devant leur poste en surveillant la moindre information. Aussitôt, un élan de solidarité s'est spontanément constitué à travers ces nombreux appels qui tournaient en boucle sur le célèbre réseau social. Quelques temps après, des images intenables des blessés ont été prises et diffusées à partir des urgences de l'hôpital de Tlemcen où ils ont été évacués devant une foule immense des citoyens accourus de tous les coins la ville en venant offrir leur aide et leur sang.

Le lendemain, selon les médias, sans attendre les résultats de l'enquête, les têtes les plus en vue des responsables directs de ce chaos commençaient à tomber. Ils étaient suspendus de leurs fonctions par les responsables centraux qui se sont déplacés sur place pour s'enquérir de la situation. Comme on le constate fort bien, le mal de l'Algérie est de toujours réagir à chaud sans se soucier guère des causes réelles qui sont beaucoup plus profondes que ne laissent entendre ses premiers soubresauts. L'effet recherché à travers ces promptes décisions est de calmer les esprits en sautant uniquement les fusibles tous désignés avant que les choses ne dégénèrent en montant plus loin dans la filière incriminée. Il faut juste cerner l'incendie et l'éteindre avant que le cercle de sa propagation ne s'agrandit davantage.

S'est-on demandé d'abord qui est-ce qui a pris la peine de nommer ces personnes à ces postes dont le souci principal devrait être au service du pays et non le contraire ? L'Algérie ne dispose-t-elle pas d'énormes compétences remplissant tous les bons critères de nomination ? Elles vivent malheureusement marginalisées dans la société, écartées des décisions du pays car ne partageant pas le mode de fonctionnement du système qui se base essentiellement sur les accointances de leur carnet d'adresses et du coup de pouce de leur parrain. Peut-on imaginer un instant qu'une fuite de gaz qui a été signalée deux semaines avant aux services concernés n'ait pas été réparée à temps si ce n'est de l'imprudence caractérisée à la vie humaine, conséquence de la légèreté à prendre leurs responsabilités en comptant énormément en cas de souci sur une protection qu'ils jouissent de leurs tuteurs ? Est-ce que ces mêmes responsables auraient laissé une seule petite seconde cette anomalie si elle était arrivée en leur demeure ?

Donc si on suit ce raisonnement, combien de dégâts sont commis chaque jour à cause d'un travail mal fait ou fini à la hâte sans un contrôle adéquat des services étatiques ? Les malfaçons apparaissent peu de temps après le faste de l'inauguration en devenant de réels pièges dissimilés à guetter ce genre d'accidents meurtriers. Nous nous rappelons bien les bâtiments construits par nos arrivistes entrepreneurs à Boumerdès qui se sont écroulés sur eux-mêmes dès la première secousse tellurique emportant avec eux des centaines de victimes alors que ceux construits par des entreprises étrangères n'avaient pas bougé du sol. Avait-on recherché ce jour-là qui est responsable de ces constructions en carton bâties par certains promoteurs véreux qui n'ont aucun souci de la vie humaine ? Ils avaient filé à l'anglaise dès que le gros magot ait été encaissé et tan pis pour les dégâts humains et matériels engendrés quelques années après. Le mode d'octroi de ces marchés est à revoir de fond en comble ainsi que celui de nominations sinon la poursuite de la descente aux enfers est totalement garantie. Les limites de l'incompétence et de la médiocrité ont été depuis fort longtemps dépassées sans que les véritables décideurs réagissent à temps aux cris des citoyens très mal gouvernés.

Et de ces imperfections de nos routes où on ne cesse de compter les milliers d'automobilistes qui perdent chaque année leur vie ? La négligence et le laxisme sont devenus monnaies courantes. L'impunité n'est que très rarement sanctionnée. Souvenons-nous, il n'y a pas assez longtemps, 25 citoyens ont péri dans la nuit du samedi 25 mars à dimanche 26 mars vers 2 h du matin dans une descente infernale du côté de Ghertoufa à la sortie de la ville de Tiaret. Si on veut aller plus loin dans l'investigation, on peut trouver tout un ensemble de défaillances qui peut aller du service technique jusqu'au mécanicien ou à la fatigue du chauffeur du bus au moment des faits en passant par les conditions climatiques défavorables qui sévissaient cette nuit là. A chaque étape, les mesures de sécurité n'ont pas été certainement prises au sérieux. On roule au hasard sans s'assurer des simples vérifications d'usage. Et si la faillite surgit, on la mettrait bien évidemment sur le dos du destin sans que l'on s'assure à éviter toutes ses causes. La tragédie de Tlemcen comme d'autres ne sont qu'une succession de problèmes qui s'entassent sans être volontairement résolues à temps. On voit énormément sur nos routes des véhicules fumant de tous les côtés et tu te demandes pourquoi ces dangers roulants n'ont pas été immobilisés par les agents de circulation ou des véhicules roulant la nuit sans aucun feu de route jusqu'à ce que la mort soit au rendez-vous fauchant toute une famille avec leurs enfants à la fleur de l'âge comme on le lit amèrement toutes les semaines dans les journaux. Les responsabilités indirectes de ces accidents incombent-elles à qui dans ces cas là ?

Pourquoi la valeur de l'être humain est très précieuse ailleurs et quasi gratuite chez nous ? Pourquoi leur société est sensible à tout ce qui est vivant et la notre banalise la mort comme une fatalité sans limites. Une simple disparition d'un garçon ou d'une fille fait la une des journaux télévisés en Europe et un drame comme celui-là peut occuper les médias durant des jours et des semaines jusqu'à l'extirpation du mal qui a induit le trouble sans manquer de souligner les remous provoqués chez les responsables politiques avec des démissions en cascade dans l'intention unique est de se mettre au seul service de la justice de leur pays.

S'est-on soucié des dégâts commis au sein de l'éducation nationale avec la dégringolade inversement exponentielle du niveau d'instruction donnant comme mort clinique l'école qui ne cesse de rétrograder d'année en année ? A-t-on cherché les responsables de cette hécatombe ? S'est-on posé la question pourquoi un ministre algérien a consommé jusqu'à aujourd'hui 10 de ses collègues ministres français qui se sont succédés à la tête de l'éducation nationale malgré que leurs bilans soient largement inversement proportionnels à notre indéracinable ? Une photo de cette illustration avait fait un buzz cette semaine sur la toile que tous les facebookiens l'ayant reçue à profusion plus d'une fois.

S'il l'on désire éviter ces désordres, il faut procéder en amont et non en aval où celui qui paie tous les pots cassés serait le dernier maillon de la chaîne. Si cette tragédie s'était survenue dans les démocraties occidentales, le premier visé aurait été le ministre du secteur mais là chez nous, il a été démissionné il y a quelques jours seulement, non pas pour des raisons éthiques mais pour un article de la loi sur les cumuls de mandats. Aurait-il démissionné ou relevé de ses fonctions si jamais il était toujours en place ? En tous les cas, cela relèverait de l'illusion car on n'a pas encore vu ça sauf dans un cas lointain dû à une saute d'humeur.

En attendant le jour d'après qui ne semble pas vouloir venir nous délivrer de ce mauvais sort qui nous est jeté en nous infligeant ses macabres doses chaque jour que Dieu fait et en nous promettant la mort à petits feux.

Quoiqu'endeuillés et afin que le doute ne s'installe pas dans les esprits, on doit assécher nos chaudes larmes et apaiser notre douleur en gardant l'espoir d'une inéluctable résurrection qui puisse se manifester à tout moment, d'une lueur confiante, au milieu d'une nuit très sombre, qui puisse renaitre à partir de tous ces cendres comme le soulignait fort bien Jean Giraudoux, écrivain français (1882-1944) dans une de ses citations : «Les pays sont comme les astres, ils peuvent étinceler et éclairer des siècles après leur extinction.».