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Une brève histoire de la société de demain

par Belhaouari Benkhedda *

« Il y a deux histoires : l'histoire officielle, menteuse, puis l'histoire secrète, où sont les véritables causes des événements. » Honoré de Balzac.

Parfois, les journalistes donnent des définitions plus explicites que celles qui figurent dans le dictionnaire. Selon la journaliste canadienne Naomi Klein, un état de choc ce n'est pas seulement ce qui nous arrive après un drame. C'est aussi ce qui nous arrive lorsque nous perdons nos repères et notre histoire. Dans ce cas, ce qui nous permet de garder le cap et de rester vigilent, c?est le retour vers l'histoire.

LA STRATEGIE DU CHOC

Dans son livre « La stratégie du choc », publié aux éditions Actes Sud en 2008, Naomi Klein consacre tout un chapitre à la torture exercée par le psychiatre américain Donald Ewen Cameron, financé par la CIA à la fin des années 1950. Les études de Donald Ewen Cameron consistaient à provoquer chez un sujet des chocs divers (électrochocs) afin de lui supprimer sa personnalité et de lui prescrire une autre sur une page blanche. Naomi Klein prouve que, de la même manière, Milton Friedman, Prix Nobel d'économie 1976, leader de l'École de Chicago, partisante du libre marché libertarien, soutient qu'il faut créer une situation choquante et chaotique afin de dévoiler les réformes économiques qu'on veut imposer. L'auteur donne plusieurs exemples détaillés, parmi lesquels ceux de l'Angleterre et de l'Irak.

La stratégie a toujours été la suivante : en tout premier lieu, on crée un choc qui mène à une désorientation totale, et, comme dans la désorientation la capacité de résister diminue, on impose ensuite des réformes économiques ultra-libérales. En fin, la répression de l'opposition fera partie du quotidien, dans la confusion elle sera presque justifiée. Une période de crise comme celle que nous vivons actuellement nous impose de réfléchir à l'histoire. Les peuples n'ont jamais choisi les politiques économiques radicales, c'est grâce à des chocs et des crises suivies d'état d'urgence qu'elles ont été imposées. Milton Friedman avait très bien compris la capacité des chocs à créer de véritables mutations.

En Angleterre, Margaret Thatcher a accédé au poste de Premier ministre en 1979. Milton Friedman, au cours d'une conférence, résume le programme de son admiratrice en quatre points : coupe budgétaire, baisse des impôts, désengagement de l'Etat dans le secteur de l'industrie et politique monétaire stable. Dès le début de son deuxième mandat, Thatcher a lancé une thérapie de choc économique. Elle a commencé par fermer les puits de charbon. Le syndicat des mineurs, le plus puissant du Royaume, a engagé alors de vastes mouvements contestataires qui ont duré presque un an, mais qui n'ont pas réussi à faire reculer Madame le Premier Ministre. La Dame de Fer a fini par emporter la bataille. Devenue omnipuissante, elle n'a pas hésité à lancer un gigantesque programme de privatisation. Elle a vendu l'industrie de l'acier, le service des eaux, les compagnies aériennes, les sociétés d'électricité, de téléphone, de gaz et de pétrole. Grâce aux réformes de Thatcher les salaires des PDG ont été multipliés par dix.

En Irak, au lendemain du choc du 11 septembre et la mutation de l'économie américaine qui est devenue brusquement basée sur la peur, une torture de masse allait être appliquée sur les Irakiens, une guerre qui n'a pas de non. Le 24 mars 2003, le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer a annoncé l'Opération Libération Irakienne « Operation Iraqi Liberation », les initiales de l'opération « OIL » veulent dire « pétrole » en français. Le sol irakien a connu un bombardement sans précédent, choquer et effrayer le peuple irakien tel était le mot d'ordre. Suite au reversement de Saddam Hocine, les Américains n'ont pas bougé le petit doigt pour faire cesser le pillage, un conflit sunnite-chiite a jailli de nulle part, et le pays s'est embrasé. En mai 2003, Paul Bremer a été nommé administrateur américain en Irak, il ne connaissait rien à l'Irak, mais c'était sans importance car il connaissait parfaitement le model économique libertarien de Milton Friedman. Quinze jours après son installation, Paul Bremer a commencé à vendre le pays aux enchères. La compagnie de service pétrolier Halliburton a reçu 20 milliards de dollars de contrats, RTI International a encaissé plus de 400 millions de dollars pour ses conseilles afin d'introduire la démocratie en Irak, Créative Associate International a touché plus de 100 millions de dollars pour élaborer des programmes éducatifs... et la liste est longue. Donald Rumsfeld s'est déclaré pleinement satisfait de la gestion de Paul Bremer, fièrement il a annoncé que les nouvelles lois irakiennes en matière d'investissement étaient les plus avancées du monde libre.

LE CHOC PLANETAIRE

A présent, il ne s'agit pas de choc à l'échelle d'un pays, mais à l'échelle planétaire, un chaos total. Tous les symptômes sont là. On est en train de créer un état de désordre généralisé pour instaurer le nouvel ordre mondial, c'est la fameuse expression latine « ordo ab chao ». Dans une interview récente accordée au journal britannique The Daily Squib (le 27 octobre 2011), Henry Kissinger, l'ancien secrétaire d'État des États-Unis a déclaré : « Si vous n'entendez pas les tambours de guerre, c'est que vous êtes sourd. » Ce ne sont pas les propos d'un plaisantin. Henry Kissinger, rappelons-le, est membre du CFR, du Groupe Bilderberg et de la Commission Trilatérale. Selon l'analyse du professeur Pierre Hillard, auteur du livre « La Marche irrésistible du nouvel ordre mondial » paru aux éditions François-Xavier de Guibert en 2007 : « Le chaos permet de rebondir à une étape supérieure, de créer un nouveau système régenté par de nouvelles règles, mais il faut une zone de transition qui bouleverse les structures économiques, politiques et morales. » Visiblement, le processus est bien lancé.

Sur le plan économique, les pays les plus riches sont menacés de faillite, mais la question qu'il faut poser : à qui profite le crime ? Aux super-banques bien sûr. La Réserve fédérale américaine (FED) est de loin le plus grand créancier des USA. Mystérieusement, la FED appartient (depuis 1913) à une poignée de super-banques comme la Goldman Sachs, la J.P. Morgan bank, la Rothschild bank et la Rockefeller bank. C'est la plus grande escroquerie du vingtième siècle. Par conséquent, les USA sont à la merci d'une oligarchie financière.

Sur le plan politique, les USA ainsi que la plus part des pays européens promettent un programme de mesures d'austérité. Un programme d'austérité qui chassera progressivement la démocratie, selon la théorie de la grenouille dans l'eau (tout d'abord, on place la grenouille dans l'eau froide, car si on la met subitement dans de l'eau chaude, elle s'échappera, puis on porte graduellement l'eau à ébullition et la grenouille s'engourdira). Il est à signaler que le sénat étasunien a adopté la loi martiale en janvier 2012. Le crime profite à la même oligarchie. Devenue extrêmement riche, elle influence la plus part des gouvernements, l'exemple le plus parlant est celui de la Grèce et de l'Italie. Des anciens hauts cadres de la Goldman Sachs, sont à la tête des gouvernements des deux pays.

Sur le plan moral, les jeunes n'ont guère de repères. Le crime profite toujours à la même oligarchie politico-financière qui ambitionne de gouverner le monde. Les cultures et histoires des nations ont été sérieusement ébranlées, car l'édification du nouvel ordre mondial est tributaire d'une culture uniforme répondue sur toute la planète. Sans aucun repère, les jeunes gesticuleront, peut-être, mais ne résisteront point, ils seront facilement manipulables. La propagande d'un nouvel ordre mondial, où tous les humains auront la même culture, à travers le cinéma, les séries TV et le livre n'a jamais été aussi puissante. Apparemment beaucoup y croient !

Une fois la zone de transition traversée, les pays les plus riches se déclareraient en faillite, des manifestations sans objectif déterminé éclateront, la seule culture qui sera mise en avant est celle qui réclame le nouvel ordre mondial. Les loups habillés en anions nous diront : « S'il y avait qu'un seul gouvernement, qu'une seule armée, qu'une seule culture, qu'une seule religion, il n'y aurait jamais de crise. » Ainsi les fauteurs se feront passer pour les sauveurs ! Le choc brutal de l'effondrement de la civilisation jettera les populations dans la confusion totale. Le cas échéant, les super-banquiers installeront finalement leur gouvernement mondial. Les nouveaux maitres du monde, depuis une zone verte (comme celle de Bagdad) qui les abritera du chaos extérieur, observeront le peuple crever.

L'un des fervents partisans du gouvernement mondial, Jaque Attali, l'auteur du livre « Demain, qui gouvernera le monde ? » publié aux éditions Fayard en 2011 nous dit que notre monde actuel est en crise et la solution c'est le gouvernement mondial, qu'il faut viser le gouvernement mondial. Il se pose la question suivante : « Est-ce qu'on va y aller avant la guerre ou après la guerre ? » Et il répond : « Je ne sais pas. » Pourtant, le traité de Versailles a eu lieu après la guerre, et c'est le cas de la charte des Nations Unis. Les mondialistes attaqueront-ils les Russes et les Iraniens, les opposants les plus farouches au gouvernement mondial ? Le temps est sage, il révèle tout.

L'ALGERIE DANS TOUT ÇA

L'Algérie n'est peut-être pas aussi puissante que la Russie ou l'Iran, mais il faut garder à l'esprit que seul le peuple résistant est le garant de la force de l'Etat. En tout cas, l'Algérie n'est pas le Qatar. Notre pays a traversé plus de deux mille ans d'histoire, possède une richesse culturelle inouïe et les étudiants représentent 3,5 % de sa population estimée à 37 millions habitants. L'Algérie est parmi les derniers pays résistants au gouvernement mondial. Concrètement, elle s'est libérée du diktat imposé par le FMI et la Banque mondiale, elle contrôle toujours ses ressources naturelles, elle n'a jamais accepté d'accueillir une base militaire américaine, elle continue de refuser le projet supranationaliste de l'Union pour la Méditerranée (issu du Processus de Barcelone) et elle n'a tourné le dos ni à la Palestine ni au Sahara occidental. Les Algériens ont beaucoup souffert pour gagner la première manche face aux mondialistes; malgré l'atrocité de la décennie noire, à tous les niveaux, ils ne se sont pas soumis. Mais les mondialistes n'ont pas encore dit leur dernier mot, la deuxième manche ne fait que commencer.

Le quotidien misérable de la société algérienne représente un champ de bataille propice pour les mondialistes. Ce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir par la force, ils essayeront de l'obtenir grâce à la ruse. Officieusement, l'outil le plus redoutable de la stratégie du choc sera employé encore une fois. C'est le principe du philosophe allemand Friedrich Hegel : « Thèse, Antithèse, Synthèse ». C'est-à-dire créer deux entités opposées, une Thèse et une Antithèse. Les deux entités étant antagonistes, rentrent inévitablement en conflit l'une avec l'autre. La lutte aboutit finalement à un système hybride : la Synthèse, le système qu'on souhaite réellement façonner. Les mondialistes sponsoriseront sans retenue les camps les plus égocentriques (peu importe leurs couleurs politiques ou leurs tendances religieuses), les opportunistes encaisseront des tonnes de chèques et les idiots utiles s'en prendront plein la gueule. Tout trouble et désordre social sera soutenu, les mondialistes sont des chefs d'orchestre très doués. Le brave peuple algérien est sensé rentrer dans un labyrinthe orienté.

Mais cela ne veut absolument pas dire qu'il faut renoncer au combat de la démocratie et de l'amélioration des conditions de vie. Ne rien faire peut être pire. Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent disait Victor Hugo. Tout résistant cependant, plus que jamais, est appelé à faire preuve de lucidité et doit savoir qu'il sera entre le marteau et l'enclume, ou plutôt entre l'opium et le bâton comme le disait notre Mouloud Mammeri. En aucun cas, ni sous aucun prétexte quel qu'il soit, l'Algérie ne doit être trainée vers l'anarchie. Depuis que le monde est monde, nous avons toujours résisté aux impérialistes et ils ont toujours essayé de recruter des mercenaires dans notre entourage, mais nous avons la certitude que nos enfants crieront Victoire. Le petit Omar ne sera pas assassiné deux fois. Je t'aime Omar.

* Enseignant universitaire et écrivain