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Le Mali en «transition» et doutes sur les capacités du MNLA: Grenouillage à flux tendu au Sahel

par M. Saadoune

Le chef de l'Etat intérimaire du Mali, le président de l'Assemblée Dioncounda Traoré, devrait être investi aujourd'hui pour engager une transition avec pour question centrale la crise au nord du pays tombé, après la débandade de l'armée, entre les mains de groupes armés. On spéculait encore hier à Bamako sur l'identité du Premier ministre de transition qui devrait, selon l'accord conclu sous l'égide de la CEDEAO, disposer des «pleins pouvoirs» pour accomplir sa redoutable mission de rétablir le lien de l'Etat malien avec le nord du pays. Dioncounda Traoré consultait hier pour désigner l'homme qui sera chargé de diriger un «gouvernement d'union nationale» d'une vingtaine de membres. La junte, qui doit remettre définitivement le pouvoir à l'autorité civile, semble encore tergiverser et cherche à peser sur les choix des responsables. Ainsi, des sources proches de la médiation burkinabée menée au nom de la CEDEAO, des militaires pourraient se retrouver en charge des portefeuilles de la Sécurité ou de la Défense. Les formations politiques qui se sont coalisées contre la junte y voient un signe que les putschistes veulent garder la main malgré l'accord prévoyant le retour à l'ordre constitutionnel et leur accordant une amnistie. De fait, ils ont encouragé la tenue, hier, d'une manifestation de soutien à la junte où les putschistes étaient salués tandis que «les traîtres» et «ATT et ses alliés» conspués, tout comme la «démocratie de façade». De là à penser que les auteurs du calamiteux putsch du 22 mars veulent, derrière un retour à la légalité de façade, continuer à tirer les ficelles, il n'y a qu'un pas?

LE POIDS DU MNLA EN QUESTION

Pourtant, le rétablissement plein de l'ordre constitutionnel est un minimum pour un Etat qui doit trouver les ressources politiques (ou à défaut militaires) pour reprendre la main au nord du pays. Et cela ne sera pas une partie de plaisir. La confusion règne en effet au Nord avec une multiplication d'informations sur la présence de groupes islamistes sur le terrain, le dernier en date étant la redoutable secte BokoHaram, qui vient parasiter une situation déjà compliquée. A défaut d'informations précises, on en est réduit à décortiquer, avec prudence, les bribes d'informations qui viennent pour essayer de connaître l'état des forces en présence. Le constat-questionnement le plus important est celui du poids réel du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) par rapport à Ançar Eddine et aux groupes djihadistes qui gravitent plus ou moins autour de lui. Sur le terrain, les éléments d'Ançar Eddine ont manifesté plus de présence et contrôlent les grandes villes. «Soit ils sont plus nombreux que le MNLA, ce qui serait une surprise, soit, et c'est plus plausible, ils en veulent plus sérieusement que les autres. Et ils sont donc plus offensifs», explique un observateur. C'est cette réalité du terrain qui a conduit le MNLA, par souci de compensation, à accélérer la proclamation de l'indépendance de l'Azawad qui a été fraîchement accueillie par les pays de la région et l'ensemble de la communauté internationale. En tout cas, des doutes s'expriment ouvertement sur le poids réel du MNLA. Le récit de la manière dont ses éléments qui gardaient le consulat algérien à Gao ont cédé face aux djihadistes montre que ces interrogations sont fondées. A telle enseigne qu'à Bamako, des écrits de presse affirment que le MNLA «n'existe que par les médias français» alors que sur le terrain, «il ne contrôle rien».

ARTICLE INSPIRE

Certains à Bamako saluent pratiquement la suprématie des éléments d'Ançar Eddine. «Le seul langage pour le MNLA, c'est les armes. Le dialogue, c'est avec Ançar Eddine dont les éléments, eux, se considèrent comme des Maliens», lit-on sur l'Inter de Bamako qui met vivement en cause la politique française. Le jugement à l'égard du MNLA est probablement excessif mais il reflète de vraies interrogations sur la capacité de ce mouvement «laïc» face à ces alliés-concurrents d'Ançar Eddine. C'est dans ce contexte de faiblesse sur le terrain du MNLA qu'un article «ami», clairement conçu par des services, paru dans Maghreb Intelligence, tente de présenter Ag Ghaly et Ançar Eddine comme des créatures que le DRS a sorties pour affaiblir le MNLA. L'échafaudage plutôt léger de l'article part de l'idée que l'Algérie ne voulant pas d'un Etat azawad a choisi d'affaiblir le MNLA. Sauf qu'Alger n'a pas besoin, ni intérêt, à renforcer un mouvement islamiste, pour s'opposer à la création d'un Etat de l'Azawad qui remettrait en cause le principe de l'intangibilité des frontières. Ces lectures de services qui sont mises sur le marché médiatique sont un signe de plus de l'important grenouillage à flux tendu qui se déroule au Sahel et qui s'accélère au nord du Mali.

UN PANIER DE?SCORPIONS

Rien n'est clair en effet dans ce qui se joue au Mali. Les avertissements sur les risques créés par l'afflux d'armes libyennes dans une région vulnérable n'ont pas été pris au sérieux par ceux-là mêmes qui font mine aujourd'hui de déplorer la crise malienne et invitent l'Algérie à une intervention armée au nord-Mali. Plus gravement, de nombreux observateurs considèrent que le putsch des capitaines de l'armée malienne - à un mois du départ d'ATT ! - a été encouragé en sous-main par certains réseaux de la Françafrique soucieux d'empêcher l'arrivée au pouvoir d'un homme moins favorable à leurs intérêts. De ce point de vue, le rôle de la CEDEAO, complètement dépendante de ses sponsors extracontinentaux, est pour le moins équivoque. Après avoir brandi la menace d'une intervention militaire (avec quels moyens ?) qui n'a effrayé personne, les dirigeants ouest-africains ont finalement obtenu, dans des circonstances inexpliquées, le retrait des militaires moyennant une amnistie complète. Le retour à la raison de ces officiers subalternes a coïncidé avec la capture par un groupe mal identifié (Mujao, BokoHaram, Aqmi ?) d'agents consulaires algériens à Gao. Ces kidnappings viseraient-ils à forcer la main à l'Algérie et l'amener à assumer une intervention militaire dans un conflit aux contours flous ? Quel intérêt aurait l'Algérie à une action armée sans objectif politique consensuel et clairement défini dans un contexte d'incertitude totale et de désinformation massive ? De quelle action armée serait-il question ? S'il s'agit de libérer les otages algériens, il s'agirait d'une action ponctuelle très ciblée, très limitée et, naturellement, très discrète. Au-delà, les risques d'ensablement dans un conflit où les jeux de puissances sont nettement perceptibles derrière les proclamations de principe. Les événements au nord-Mali sont loin d'être achevés, ni les acteurs ni les enjeux réels de cette crise ne sont identifiés. Il s'agit bel et bien d'un panier de scorpions, y mettre la main sans précautions pourrait s'avérer très contre-productif. Tant pour le Mali que pour les populations du Nord et la région dans son ensemble.