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Des nazis dans la Révolution algérienne ou l'art de travestir les faits historiques

par Mohamed Ghriss

«La connaissance historique n'a pas pour objet une collection, arbitrairement composée des seuls faits réels, mais des ensembles articulés intelligibles». (R. ARON. Dimensions de la conscience historique).

Encore une fois des médias français, notamment radios, ont fait écho à l?occasion de la tenue de foires du livre et débats sur l'histoire, de la question de présence d'éléments allemands parmi les combattants de la Révolution armée algérienne. Le fait est certes avéré, mais il s'agissait surtout, selon les historiens, d'un recours nécessaire entrant dans le cadre de l'aide logistique étrangère de divers horizons à la Révolution algérienne, l'assistance allemande n'étant pas de l'importance qu'ont voulu lui accorder certaines parties mal intentionnées. Pour se faire une idée approximative de cette assistance allemande, replongeons-nous, si vous le voulez bien, dans le contexte historique national précis où elle est intervenue.

Avec l'engagement de la résistance - combat mené de longue haleine par le peuple algérien contre l'occupant colonial français, se consolide progressivement l'idéal du nationalisme algérien. Et il importe de signaler, de prime abord, que la notion de nationalisme située dans le contexte précis de l'histoire du peuple algérien qui a engagé un combat nationaliste pour l'affranchissement du joug colonial oppresseur, n'avait absolument rien à voir, ni de près ni de loin, avec la notion obscure de nationalisme chauviniste des ex- puissances conquérantes européennes qui ont asservi des peuples et nations du monde avec leur idéal impérialo- fasciste de domination inhumaine, abjecte : tel le cas du «nationalisme ségrégationniste des nazis ou du régime fasciste mussolinien, coupables d'horribles génocides commis. Ce type de nationalisme nazi, et celui qui s'y apparente par sa volonté d'asservissement et d'avilissement de l'humaine condition, a été incontestablement ravageur, et il serait absurde de le rapprocher de la particularité du nationalisme militant des mouvements de libération nationale comme ont tenté vainement de le faire certains esprits superficiels, dénués d'objectivité et de rigueur analytique, concourant par leurs visées étroites, à favoriser les dangereux amalgames falsificateurs, égarant plus d'un. Ainsi d'aucuns qui ont saisi le prétexte du recours de certains éléments de l'insurrection algérienne à l'aubaine circonstancielle d'une aide allemande tendue en matière d'armement militaire à un moment crucial du mouvement de libération nationale pour vite étiqueter les combattants nationalistes algériens se débrouillant des armes de combat de partout? de pro- totalitarisme ! C'est au grand militant nationaliste et représentant du futur GPRA ( Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) qu'échut le mérite d'avoir répondu comme il se doit à ces fallacieuses allégations, en déclarant d'une manière générale qu'une personne sur le point de se noyer ne peut se permettre le luxe de rester longtemps à philosopher sur les tenants et aboutissements d'une planche de salut tendue in-extrémis !

Pour rappel, le peuple algérien qui a mené une lutte de longue haleine contre l'ordre colonial français, a été aussi parmi ceux ayant fourni de nombreux contingents de combattants qui ont participé parmi les forces alliées mobilisées contre le péril allemand durant la première et seconde guerre mondiale. Les annales de 1914 - 1918 et 1939-1945 sont éloquentes à ce propos, témoignant de ces milliers d'Algériens «indigènes» enrôlés par l'armée française et acheminés vers le front anti -allemand en terre européenne où beaucoup y sont tombés en défendant l'idéal sacré de la liberté (au moment même où en leur patrie algérienne, les leurs subissaient les affres de l'oppression, persécution, déportation, spoliations, emprisonnements, etc., traqués par la soldatesque d'occupation coloniale, et plus particulièrement un certain 8 Mai 1945 à Sétif, Guelma, Kherata, à l'heure où les cloches célébraient en Occident les festivités de la grande libération, le massacre perpétré ne faisant pas de quartier, ce jour-là, parmi la population civile algérienne?pour avoir osé manifester ce désir ardent de jouir , Elle également, de ce droit légitime à la libération du joug des bottes étrangères).

 Et pour rappel encore, c'est bien connu que durant la lutte de libération anticoloniale, la Révolution populaire armée algérienne s'est appuyée également sur l'apport des soutiens étrangers, de diverses provenances internationales : et c'est dans cette logique conjoncturelle de procuration indispensable de moyens de luttes adéquats, etc., que s'explique dans ce contexte le recours aux aides d'élément allemands ou des pays d'ex- Yougoslavie, URSS, de Chine, d'Amérique Latine, etc. Et bien sur toute aide étrangère dans ce contexte d'urgence apparaissait visiblement comme la bienvenue, étant question de vie et de mort et de la destinée de toute une nation à sortir, au plus vite serait le mieux, de ce bourbier de l'aliénation coloniale.

En d'autres termes, cette assistance de guerre obtenue de certains particuliers allemands - (à l'instar d'autres particuliers ou instances d'assistance à la cause nationale de diverses nationalités, durant la guerre de libération nationale et non pas du temps du Nazisme (1939- 1945) - a été employée dans le sens noble du combat d'un peuple luttant pour sa libération du joug de l'oppression étrangère et non pour l'imposition de ce dernier ! Et si, alors, des particuliers allemands sont signalés du coté des patriotes anticolonialistes algériens par certains esprits se prévalant du souci d'objectivité historique, - pour se plier à la logique de leur raisonnement biaisé et sournois- pourquoi donc ces derniers avaient-ils particulièrement insisté sur le fait d'éléments allemands pro- révolution algérienne et parallèlement passé sous silence le fait symptomatique d'autres éléments ? mercenaires allemands qui s'étaient enrôlés dans le camp opposé des colonisateurs français ? Et si en ce qui concerne les quelques éléments allemands passés du coté algérien, on peut se faire une idée de leurs motivations, ayant peut-être voulu (pour le dire au passage au cas où il s'avérerait qu'ils étaient vraiment d'ex nazis ) se racheter d'un passé lourd en s'autorisant à soutenir sans condition le juste combat libérateur d'un peuple colonisé, que peut-on dire des éléments allemands passés du coté de l'armada coloniale française qui, eux, avaient des motivations exclusivement d'ordre matériel ?

En tout état de cause, il appartient à la Justice et à l'Histoire d'établir les procès et chefs d'inculpation à l'encontre de qui que ce soit d'incriminé par les faits avérés, ultérieurs et postérieurs. Mais force est de constater que dans ce contexte algérien précis de guerre de libération nationale, la Révolution algérienne en recourant effectivement à l'assistance de certains sympathisants allemands appuyant le combat de sa juste cause, a surtout sollicité l'apport de techniciens n'ayant probablement jamais figuré dans les rangs nazis. Ce n'est pas du tout le cas, cependant, en ce qui concerne le coté opposé de l'ordre conquérant de la soldatesque coloniale française, qui lui, a plus concrètement recouru à une certaine assistance militaire nazie dans le sens le plus abject qui soit de la perpétuation de son «Kampf» oppressif et dictatorial avilissant des peuples contraints à la servitude. Comme en témoigne dans ses écrits, sans ambigüité aucune, le journaliste Albert PAUL LENTIN, un de ces rares témoins de près des «réalités fondamentales et dramatiques de l'Algérie mouvante», notifiant notamment certains détails révélateurs : « Zeralda, 5 mai 1961. (?) cimetière de Zeralda (?) les pierres tombales alignent des noms caractéristiques : Hirschenfeld, Herrenstritt, Feldmayer, Blumenkranz, et au milieu de ce Walhala germanique, une sainte femme s'écrie, avec toute l'émotion et tout l'accent pied ?noir : «Ces Allemands ?là, étaient des Français, des vrais !», l'auteur poursuivant, « Etrange Algérie française qui, après avoir mobilisé l'Espagnol d'Oran, le Napolitain de Philippeville, le Maltais de Bône et le harki arabe, tous «plus Français que les Français», recrute maintenant outre- Rhin, tout en conchiant les «p'tits gars» de Belleville, de Valenciennes et de clermont-ferrand, et qui, se tournant vers Siegfried, crache sur le Limousin ! Siegfried ne répondra pas à l'appel. Du passage du 1er régiment étranger de parachutistes dans l'histoire de l'Algérie, il ne reste plus que ces tombes au cimetière de Zeralda (?)», et plus loin, «(?) un authentique fils de ce régiment(?) revenu à Zeralda (?) pour un pèlerinage aux sources. Il a, au surplus, un certain mal à parler français (?) une enfance et une famille baignée de nazisme. Le baroud et encore le baroud. Le patriotisme légionnaire. «Legio, patria nostra». Toutes les guerres de l'après- guerre. L'Indochine, la Corée, l'Algérie française. Des campagnes, des souvenirs, des convictions (?) Soupir plaintif. Il dit que tout est fini. «Ganz fertig». Tout est consommé. «Alles ist vollgebracht». A la question de l'auteur, «- Y avait-il beaucoup de SS chez vous, au 1er R.E.P. ?», Le soldat répondit : «- Nein, mein Herr, nein?Pas beaucoup. Nicht zu viel, vingt pour cent à peine.». Il dit que non, que les SS maintenant, ils sont trop vieux, qu'ils ont du ventre, des enfants, des Volkswagen, des sentiments démocratiques, bref, qu'ils sont devenus assez répugnants. SS Kaput, Erste R.E.P. kaput , alles kaput. Il ajoute, en termes gutturaux, qu'en refusant de suivre Challe et Salan, la France vient de se conduire comme une salope, «so wie eine Schlampe», que c'est une femelle, qu'elle a perdu l'Algérie, qu'elle est foutue, que toute l'Europe est foutue. «Untergang des Abenlandea.» (Cf. Albert ? PAUL LENTIN, Le dernier quart d'heure, pp. 312- 313, éditions René Julliard, Paris 1963).

Cela dit, il a été donné plus d'une fois de relever dans les témoignages de l'Histoire de quel coté opérait activement l'idéologie accablante du fascisme totalitaire voisin du colonialisme aliénant aux antipodes de l'idéal nationaliste d'un Mouvement de Libération Nationale tel que celui de la Révolution algérienne du 1er Novembre 1954 qui se proposait, - à l'opposé des fascistes desseins de conquête impérialiste au prix d'injustes dépossessions illégitimes et d'innombrables boucheries abjectes, avilissantes de leurs auteurs, - le projet noble d'un combat pour la libération nationale et la dignité humaine, passant nécessairement par le recours imposé aux armes et leur indispensable procuration de partout en vue de l'atteinte de l'objectif assigné du rétablissement de la souveraineté du pays et liberté sacrée de son peuple injustement asservi et spolié de ses biens. Bref le nationalisme algérien militait pour la liberté des êtres et des peuples et non pour l'asservissement des gens et des peuplades de l'humanité et leur ignoble écrasement.

 La raison pour laquelle la particularité fondamentale du nationalisme anticolonial algérien apparaît, absolument sans commune mesure, aucune, avec l'idéologie totalitaire du nationalisme ségrégationniste et chauviniste des anciennes puissances coloniales et expansionnistes européennes, ou celles des alliances fascistes- nazies, responsables, en 1914-18 et 1939-45, des crimes contre l'humanité et asservissements et spoliations des peuples et nations du monde de leurs sources de richesses. D'où la condamnation historique des fondements idéologiques racistes et antisémites de ce type de nationalisme inhumain et anti ?libertaire.

Aussi, le nationalisme conjoncturel dans le contexte précis de l'histoire du peuple algérien qui a engagé un combat nationaliste libérateur du joug colonial oppresseur, et qui n'a, donc, rien à voir avec la notion de nationalisme européen des ex- puissances européennes, se définit-il comme une étape «nationalitaire», patriotique, divergeant radicalement, et allant à contre-courant du machiavélique dessein «négatif» de l'ordre impérialo - fasciste des puissances dominatrices et ségrégatives. Et l'idéal nationaliste - libertaire de la Révolution algérienne, a été tel, - ce qui a échappé souvent aux historiens - que dans la proclamation du 1er Novembre 1954, et contrairement à l'habitus traditionnellement consacré chez les musulmans algériens ,en général, la formule religieuse inauguratrice souvent usitée dans l'en- tète de documents officiels ,c'est-à-dire la rituelle «Bism'Allah?» introductrice ( l'Au Nom de Dieu Miséricordieux), ne figure point dans ce document originel historique, dans le souci, vraisemblablement, d'éviter tout risque de réduction du mouvement révolutionnaire novembriste à une quelconque tendance restreinte réformiste- religieuse, ou algérianiste assimilationniste, ou ouvriériste internationaliste, ou toutes autres tendances politico-sociales prônées par les partis algériens d'avant 1954 : l'objectif majeur du mouvement de novembre 1954 étant, apparemment, de signifier la très large ouverture sur tous les courants politiques et culturels de l'époque, ou sensibilités diverses perceptibles au sein de la population algérienne, conviées à rejoindre à titre individuel et massivement le front commun de lutte anticoloniale de tous les Algériennes et Algériens des diverses couches populaires nationales, sans distinction de langues, de race, de sexe, de religion et de convictions. La large mobilisation populaire autour de l'objectif de l'indépendance algérienne touchant, ainsi, les femmes et hommes de toutes sensibilités et des diverses catégories sociales de la nation. Et d'autre part, il y avait ce souci d'interpellation du concours inestimable, dans ce contexte, des militants, sympathisants, organismes, institutions, Etats et diverses instances de soutiens internationaux au profit de la juste cause algérienne.

Cette autre préoccupation de l'appui également de l'extérieur interpellant la communauté internationale des instances politiques et diverses organisations militantes et humanistes universelles, prises à témoin des décisions historiques décrétées en haut lieu de l'historique direction politique FLN- ALN, contribuait nul doute à conférer au message d'avant- garde de la proclamation du 1er Novembre 1954, une dimension transnationale très étendue, voulue, qui s'est inscrite depuis, dans le sillage de l'Histoire Universelle des peuples et nations du monde en lutte, depuis la nuit des temps, pour le recouvrement de leur liberté et souveraineté nationale?

 A l'heure où se développent les dialogues de coopérations internationales dans le nouveau paradigme transcontinental des échanges multidimensionnels planétaires, les adversaires des diverses entreprises communicationnelles - initiées à différents niveaux entre les nations évoluées, pays émergents et peuples de l'humanité, en général, - trouvent bien évidemment un intérêt certain à court-circuiter ces nouveaux rapports en tentant de diaboliser, à leurs manières, des faits de l'Histoire sans douter un instant que la vérité finit toujours par les rattraper un jour ou l'autre?