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Bilan et perspectives du système national de santé

par Mohammed Brahim

Suite et fin

Dans son rapport sur la santé dans le monde et notamment dans le chapitre relatif aux financements des systèmes de santé (2010), l'OMS recommande aux gouvernements de promouvoir l'efficience et éliminer le gaspillage. En fait ce n'est pas tant l'impératif de collecte suffisante d'argent pour la santé, mais la possibilité d'obtenir d'avantage avec les mêmes ressources. C'est l'exigence de garantir que les ressources sont utilisées d'une manière efficiente. Dans ce même rapport l'OMS propose des solutions:

- Obtenir le maximum des technologies et des services.

- Motiver les professionnels de santé.

- Améliorer l'efficience de l'hôpital (taille de l'hôpital et durée de séjour).

- Obtenir immédiatement de bons soins en réduisant les erreurs médicales.

- Eliminer le gaspillage et la corruption.

- Evaluer d'un œil critique les services requis.

 Comment dans notre pays ces recommandations peuvent être traduites sur le terrain ?

Tout d'abord il est nécessaire de trouver d'autres sources de financements. Il faut être imaginatif et trouver des sources qui collent à la réalité du terrain. Le Ministère de la solidarité, celui de l'éducation pour la médecine scolaire, les collectivités locales à titre d'exemple se doivent de participer à l'effort de financement de notre système de santé. Mais aussi à l'instar d'autres pays l'on doit pourvoir mettre en place des taxes adaptées à notre réalité économique. Ainsi le GABON a institué une taxe sur l'utilisation des téléphones mobiles. La THAILANDE des taxes élevées sur les tabacs et les alcools dont une partie est versée pour le financement de la santé. Tous ces moyens de collecte des fonds de la santé doivent être versés dans une caisse commune, tel un fond d'équité en matière de santé, pour couvrir les frais de santé des démunis.

Cependant quelle que soit l'importance d'un budget de santé, il ne peut couvrir la population que s'il est utilisé rationnellement en promouvant l'efficience et éliminer le gaspillage comme on l'a dit plus haut.

 Dans la pratique pour promouvoir l'efficience c'est l'organisation, la structuration rationnelle du système de santé. Il s'agit de la hiérarchisation des soins, la définition des missions des structures à chaque niveau, et l'élaboration d'un cahier de charge évaluable. C'est sur ces bases que chaque structure se doit d'élaborer un plan directeur de développement, évalué financièrement, mais dans le cadre de santé défini par la politique de santé. Pour plus d'efficience il est essentiel, de remettre à niveau les structures et surtout de normaliser les effectifs, pour une meilleure maitrise de la masse salariale qui grève les budgets des structures. Pour éliminer le gaspillage il faut une gestion rationnelle et transparente sur la base d'un programme précis. L'on sait que la consommation financière des médicaments représente une large partie des budgets de fonctionnement des structures de santé, ainsi abandonner les médicaments chers quand des options plus abordables et aussi efficaces sont disponibles. Eviter l'utilisation abusive des médicaments et particulièrement les antibiotiques qui sont chers, par l'amélioration des diagnostics et la prescription d'ordonnances «chargées». Eviter les grandes variations dans les prix, par des négociations entre importateurs et fournisseurs, en créant un mécanisme de contrôle, notamment pour éviter les surfacturations. Dans ce cadre on peut se poser la question légitime de savoir si l'état ne doit pas instaurer un plancher maximum. Pour les importateurs? Les problèmes de définitions des quantités de médicaments importés et leur stockage contribuent en partie au gaspillage.

Tout le monde a pu apprendre par les médias l'élimination d'importantes quantités de médicaments périmés. Enfin l'on a vu plus haut le problème posé par les produits anti-cancereux, qui représentent plus de 50%de la facture des médicaments. Il faut rappeler dans ce cadre que l'OMS dans le rapport de son assemblée générale en 2005, sur la lutte contre le cancer, présenté des programmes pour chaque catégorie de pays en fonction de leur ressources. Le nôtre est classé dans celles des pays à ressources intermédiaires. Si l'on veut que notre programme de lutte contre le cancer, qui reste à élaborer, ne soit pas ralenti ou carrément interrompu par défaut de possibilité de financement, ou de se réaliser aux dépends d'autres programmes nationaux de santé, il faut promouvoir l'efficience et éliminer le gaspillage. Pour cela, dans le choix des protocoles thérapeutiques on ne peut éviter de se baser sur le rapport coût /efficacité. Ce rapport est un critère d'évaluation fondamentale dans toute allocation responsable et optimale des ressources. Il n'est pas inutile de rappeler qu'en plus des maladies chroniques dont le cancer, notre pays doit aussi mobiliser des ressources pour l'éradication des maladies transmissibles. Il faut que chaque acteur de la lutte contre le cancer, fasse un effort sur lui-même pour éviter d'être l'otage d'un quelconque laboratoire pharmaceutique.

 La grande innovation dans notre système de santé sera l'introduction d'une manière définitive de la «contractualisation». Celle-ci va permettre plus de transparence dans l'élaboration des budgets et de leur évaluation.

 Il s'agit d'un contrat qui liera chaque structure de santé, chaque professionnel de la santé, avec le ministère ou une institution nationale ou régionale. Ainsi il faudra passer d'un système de financement de structures à un système de financement par activité. Ce qui implique forcement une révision de statuts des hôpitaux, en leur accordant une liberté de gestion. Ainsi chaque structure négociera son financement sur la base de son programme de développement, en tenant compte des missions qui lui sont dévolues par les textes de lois, en tenant compte de ses possibilités matérielles et humaines. Ainsi sera élaboré le cahier de charge. La contractualisation des professionnels de la santé, permettra un équilibre judicieux de la masse salariale. Ainsi les revendications rentières, à lesquelles on donne des réponses tout aussi rentières, s'élimineront d'elles même : exemple les primes de rendement ne peuvent être uniformes pour tous les personnels, si l'on tient compte de l'activité de la structure et de la pénibilité de la spécialité.

 C'est ainsi que se fera la mobilisation des personnels de santé autour d'objectifs clairs. Dans ce même cadre, l'autonomie de gestion de l'hôpital, lui permettra d'envisager d'autres ressources de mobilisation financières (convention avec des mutuelles pour certaines spécialités, avec des entreprises dans le cadre de la médecine de travail, etc.??..). La négociation du secteur privé avec les assurances maladies relatives aux conventions, au niveau de remboursement lequel doit tenir compte du coût réel des prestations, permettra une meilleure visibilité et un meilleur contrôle financier de celui-ci.

LA REGIONALISATION

En raison d'une très grande centralisation des décisions, les secteurs sanitaires sont plus impliqués dans un travail administratif de routine qui dans l'élaboration et la mise en application sur le terrain des programmes de santé. il n'y a pas ou très peu de coordination avec les collectivités locales, et quand elles existent elles sont conjoncturelles.

 Ainsi la région doit être le cadre de pilotage du système de santé. Pour cela elle doit avoir une existence juridique, qui fait d'elle non une instance seulement consultative mais surtout exécutive. C'est en son sein que se fera la sectorisation de la carte sanitaire, premier instrument de planification régionale. La région permettra en son sein un rééquilibrage entre différents secteurs des moyens humains et matériels. Elle pourra mettre en commun des équipements lourds pour une meilleure rentabilité, de mobiliser les moyens qui lui sont spécifiques pour l'application des programmes de santé. Négocier avec d'autres régions une complémentarité dans la prise en charge de certaines pathologies, notamment en créant des réseaux. C'est sur ces données précises que la région pourra négocier avec beaucoup de poids le budget nécessaire à son développement.

Ainsi la région sanitaire peut émerger en tant que niveau de planification, d'organisation, d'animation et de contrôle au plan régional. Tandis que le secteur sanitaire pourrait assurer au plan intercommunal, le même rôle que la région sanitaire, lorsqu'il s'agit de soins de bases, de prévention, d'hygiène du milieu et de protection de l'environnement.

 L'intersectorialité donnera une dimension stratégique d'efficacité du système de santé. Certains programmes, dans un cadre de complémentarité négociée peuvent être pris en charge avec d'autres secteurs.

LA LOI RELATIVE A LA PROTECTION ET A LA PROMOTION DE LA SANTE

Instituera le cadre juridique où sera réaffirmé le droit des citoyens à la promotion de leur santé, et où les relations d'une part entre les différents professionnels de la santé, et d'autre part entre les professionnels de la santé et le malade, seront définies. Le patient au lieu d'être un acteur passif, sera un acteur actif avec le droit d'être informé, d'être accueilli dignement, et de recevoir des soins conformes aux données actuelles de la science.

LA FORMATION

L'un des facteurs de la réussite d'un système de santé est la formation. L'on ne peut que se féliciter de l'introduction de réformes dans la formation des paramédicaux. Malheureusement il n'en est pas de même pour la formation médicale qui reste académique, et ne répond plus aux objectifs modernes. En un mot il faut une réforme profonde de l'enseignement des études médicales, en relation avec les objectifs du système de santé. Il faut ajouter à cela, une formation continue des gestionnaires, par des stages de perfectionnement dans des instituts étrangers.

LES REGIONS DU SUD

C'est à dessein que nous avons laissé en dernier ces régions, pour leurs spécificités : Climat, étendue géographique, éloignement des villes les unes des autres, épidémiologiques (notamment actuellement avec l'immigration sub-saharienne) et un défaut de développement harmonieux et particulièrement dans le domaine de la santé.

 L'Annonce en décembre 2011, par son excellence le président de la république, de la création de 03 trois CHU(Bechar, Ghardaïa, Ouargla), est un message fort, adressé aux populations des régions du sud, quant à l'intérêt que le pouvoir porte à leurs conditions. Cependant dans l'immédiat il serait impossible que ces 03 CHU, puissent accomplir les missions de soins de haut niveau, de formation et de recherche, au vu du manque de compétences. Des CHU du Nord souffrent actuellement du manque de rangs magistraux dans certaines spécialités. Il est aussi difficile de penser au vu des conditions actuelles de vie dans le sud, de voir des compétences s'y fixer définitivement. Aussi la proposition faite par M. Hamiani président du FCE, dans un quotidien national, est pertinente. Il faut un véritable «plan MARSHALL » pour le sud. Hormis le climat, les personnes pour se fixer dans le sud, doivent pouvoir bénéficier des mêmes conditions que dans le Nord : l'habitat et toutes ses commodités, l'école pour ses enfants, la culture, les loisirs, l'accès facile à la presse, et la facilité des déplacements en développant les transports aériens à des prix abordables. L'on voit bien que les mesures attractives au incitatives n'ont eu que peu d'effet dans tous les secteurs.

 En attendant, seul le service civil, bien compris, constitue la solution adéquate pour la prise en charge au plan santé des populations de ces régions.

CONCLUSION

Dans ce long exposé nous avons humblement tenté de mener une réflexion sur l'avenir de notre système de santé. Une réflexion personnelle même basée sur une expérience de prés de quarante ans dans le secteur, ne peut aucunement remplacer une réflexion collective. La santé est un facteur de cohésion de la société, favorisant la paix sociale, c'est pourquoi l'on ne peut faire l'économie d'un débat national. «L'organisation d'un débat véritable sur la santé suppose le développement d'une démocratie sanitaire réelle avec l'ouverture d'un débat aux usagers, aux mouvements associatifs aux professionnels des secteurs public et privé, aux sociétés savantes, et aux organismes en charge de l'assurance Maladie. Tous doivent contribuer et favoriser l'émergence des conditions et le mode d'expression qui donnent un contenu et un aboutissement concret au débat» Enfin, il faut surtout que tous les participants à ce débat national se départissent du conservatisme et de l'esprit de rente qui induisent l'immobilisme.

SOURCES :

- « Rapport général sur l'organisation du système de santé» (MSP-1990)

- «Développement du système de santé, stratégies et perspectives» MSP 2001).

- Rapport préliminaire sur la reforme hospitalière (2003)

- Note d'orientation relative au projet de loi portant promotion et protection de la santé (2002)

- Données «Banque Mondiale» (2009)

- Rapport OMS sur la lutte contre le cancer (2005)

- Rapport OMS sur le financement de la santé dans le monde (2010)

- Contributions de l'Auteur:

 * Interview in «EL WATAN »sur la reforme hospitalière (2007)

 * Stratégie de prise en charge des cancers en Algérie in «Quotidien d'Oran» (2009)

 * Entretien in «Quotidien d'Oran» sur la contractualisation (2011).

 * La reforme de l'enseignement en sciences médicales» in quotidien d'Oran (2011).

*Professeur de Chirurgie cancerologique.(CHU Oran)