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Bilan et perspectives du système national de santé

par Mohammed Brahim Farouk*

1ère partie

Cinquante années d'indépendance constituent une durée infinitésimale dans l'histoire d'une nation.

Le cinquantième anniversaire de l'indépendance, c'est aussi une date symbole, une occasion pour un bilan objectif des réalisations, non pour critiquer ou glorifier un régime, mais pour mieux construire, tous ensemble, l'avenir.

La santé, en raison de sa nature humaine et sociale, est un facteur essentiel de cohésion sociale. Le système national de santé doit être érigé en lieur privilégié d'expression de la solidarité nationale. C'est pourquoi le bilan du système national de santé qui cernera ses faiblesses et ses points forts ne doit être fait ni sur une base partisane, ni avec des arrières pensées politiciennes.

Mon expérience de prés de 40 années comme acteur de santé publique, m'a permis d'être un observateur privilégié de l'évolution de notre système de santé. Aussi je souhaite avec beaucoup d'humilité, apporter ma modeste contribution à l'amorce d'un profond débat sur le système de santé. Ce débat se limite actuellement, que le système de santé est en crise, à des slogans aux relents populistes des uns et des autres.

Pour amorcer ce débat, en cette année du cinquantenaire de l'indépendance, il me semble important de faire un historique de l'évolution de notre système santé, afin de situer le moment de sa dérive, il faut mettre en exergue tant les aspects positifs que négatifs, en, en analysant les causes avec objectivité afin d'avancer des perspectives réalistes et réalisables, s'inscrivant dans le cadre du développement socio-économique à venir, en tenant compte de nos possibilités.

HISTORIQUE

Période pré-indépendance :

A la fin de la colonisation française L'Algérie comptait deux hôpitaux universitaires, l'hôpital MUSTAPHA PACHA, dont la mission de formation lui fût assignée dés sa création, et l'hôpital d'ORAN, devenant CHU par ordonnance 58-1373 du 30 décembre 1958. Deux hôpitaux régionaux (Alger et Constantine), 112 hôpitaux polyvalents, 14 hôpitaux spécialisés. Ainsi le secteur public comptant 38000 lits, soit un lit pour 300 habitants, aux quels s'ajoutaient environ 10000 lits privés.

Cependant il faut souligner que la majorité de la population algérienne du fait de son statut de colonisée, auquel s'ajoutaient les sept années de guerre, était exclue de ce système de santé, ce qui explique le drame au plan sanitaire, de l'Algérie au lendemain de l'indépendance.

Période de 1962 à 1973 :

Au lendemain de l'indépendance tous indices de santé étaient au «rouge»: une espérance de vie de moins de 50 ans, une mortalité infantile supérieure à 180 pour milles, les maladies transmissibles sévissaient à l'état endémique.

Pour couvrir les besoins en santé de la population le pays disposait de 500 médecins dont 280 Algériens. Pour faire face à cette situation dramatique l'état prend des mesures urgentes :

- Renforcer le corps médical par l'appel à la coopération étrangère et l'instauration d'une mi-temps obligatoire dans le secteur public pour les praticiens du secteur privé.

- La lutte contre les maladies transmissibles par la mise en œuvre de programme de santé. Parmi ces mesures, la vaccination obligatoire de tous les enfants en est la mesure phase.

Les résultats de cette politique vont très vite apparaitre par la facilitation de l'accès aux soins des populations vulnérables, notamment grâce aux brigades mobiles, et le succès de la campagne d'éradication du paludisme.

- Période de 1974-1989:

Cette période peut être considérée comme «l'âge d'or» de la santé, grâce à une décision politique, avec laquelle l'on peut être ou pas d'accord au plan idéologique. Il s'agit de la loi N°73-65 du 26 décembre 1973 portant institution de la médecine gratuite dans les secteurs de santé. L'Etat en complétant cette loi par l'ordonnance 76-79 du 23 octobre 1976 portant code de la santé publique et la loi N°85-05 du 16 février 1985 relative à la protection et la promotion de la santé, inscrit la santé au rang de ses priorités. Les actions entreprises dans le domaine de la santé, se sont déroulées dans un contexte de recouvrement de droit sur le pétrole, une croissance économique élevée et de distribution équilibrée des richesses en termes de revenus aux différentes couches de la population. Parallèlement, des progrès important ont été enregistrés au niveau de l'emploi et des revenus, de l'éducation et la formation, des logements et des commodités (eau, électricité, gaz, égouts?).

Simultanément à la décision de la gratuité des soins, celle de la «démocratisation de l'enseignement» est prise. Il s'agit de la réforme touchant l'enseignement supérieur, en particulier les études médicales, visant à la fois une amélioration qualitative et quantitative, et le renforcement de l'encadrement. Cette décision va permettre de disposer d'un grand nombre de praticiens.

Les résultats positifs de cette double décision, gratuité des soins et démocratisation de l'enseignement, vont très vite être palpables.

- La dépense nationale de santé (DNS) par rapport au PIB est multipliée par trois en 15 ans (1,6 % en 1973 à 5,5 % en 1988).

- La construction de nombreuses structures de santé et l'érection de 13 CHU. Le nombre de lits passants de 42500 en 1973 à 62 000 en 1987.

- La formation des praticiens dont le nombre passe de 6715 en 1979 à 19 528 en 1988.

- Grâce à la mise en œuvre des programmes nationaux de santé, l'on note une éradication ou baisse notable des maladies transmissibles, un recul de la mortalité infantile et un allongement de l'espérance de vie.

Enfin en cette fin des années 80 on constate une amorce de la transition démographique.

C'est pendant cette période que la recherche en sciences médicales connaitra un essor considérable. Les médecins hospitalo-universitaires Algériens brilleront dans les congrès internationaux par des communications de haut niveau.

- Période à partir de 1990 :

Depuis la fin des années 80, le système national de santé est en crise et est soumis par les Algériens à de sévères critiques.

- Incapacité à les prendre en charge quand ils ont malades.

- La qualité des prestations faiblit à tous les niveaux.

- Exclut de plus en plus les citoyens à faible revenu et même ceux à revenu moyen.

Pourtant ceux ne sont pas les états d'alerte qui ont manqués, provenant de la société civile mais aussi du ministère de la Santé.

Dés janvier 1990, «un rapport général sur l'organisation de la santé» fait par une commission inter-sectorielle, sous l'égide du ministère de la santé, énonçait: «les insuffisances de la politique du système de santé basée sur des objectifs précis à atteindre? cet état de fait a abouti à la désarticulation de ses principales composantes». Dix années après, soit en MAI 2001, dans un rapport émanant du ministère de la santé intitulé «développement du système national de santé: stratégie et perspectives» énonçait «la situation actuelle est caractérisée par une accumulation de problèmes, évoluant depuis la fin des années80, et conduisant à une destruction progressive du système de santé». Et ceci bien que un processus d'adaptation à l'évolution socio économique ait été entamé et des réformes dans le cadre de la santé aient été initiées, dont on citera:

- L'ébauche de la régionalisation sanitaire

- La mise en place de structures de soutien à l'action du MSP

- Révision des statuts des établissements de santé

- Redynamisation de la politique du médicament.

- Valorisation des ressources humaines.

Dans le cadre de l'économie de marché une ordonnance ouvre le secteur de santé au privé et une autre libérera le marché des médicaments. Enfin on ne passera pas sous silence la décision du «temps complémentaire» pour les praticiens de la santé publique et les hôspitalo- universitaires en particulier. Comme nous le verrons plus loin, ces décisions n'auront pas l'effet escompté sur l'amélioration du système santé.

Durant cette même période, il est important de souligner la confirmation de la transition démographique et épidémiologique, avec la persistance de certaines maladies transmissibles, caractéristique des pays en voie de développement, et l'émergence des maladies caractéristiques des pays développés, (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaires) nécessitant une prise en charge lourde et onéreuse qui va greffer le budget de la santé..

Au plan économique pendant cette même période, la DNS passe de 5,5 % du PIB en 1987 à 3.6% en 2001 à titre comparatif pour la même année le DNS est respectivement de 4 % au Maroc et 5,9 % en Tunisie. La dépense de santé par habitant estimée à 165 USD en 1990 est réduite 58 USD en 2001. Toujours à titre comparatif elle est passée pour la même période de 24 à 49 USD au Maroc et de 76 à 105 USD en Tunisie. Quant au budget de la santé, il est en 2002 d'un peu plus de 49 M de dinars, soit seulement 3,38 % du budget global (cependant en nette augmentation par rapport à celui de 1992).

La DNS en cette année 2000 est financée à hauteur de 39,4 % par les ménages, 35,1 % par le SS et 25,5 % par le budget de l'état. On remarque que le financement par les ménages est passé de 25,8 %en 1979 à 39,4 %. Il ne va cesser d'augmenter dans les années à venir, ce qui va exclure de larges pans de la société de l'accès aux soins.

Comment le système national de santé, qui se plaçait dans le peloton de tête des pays en voie de développement avec ses atouts, et ses potentialités, au lieu d'aller en s'améliorant est entré en crise ?

Est-ce une crise de croissance ?

Les tentatives d'explications de cette dégradation du système de santé par «la médecine gratuite», par «l'économie de marché», par «les injonctions des organismes financiers et banquiers internationaux» ou par «le manque de ressources financières», ont conduit à un certain fatalisme induisant une inertie, empêchant ainsi un débat sur le système national de santé «basé sur les réalités d'aujourd'hui et structurant sa transformation dans une perspective débattue, claire et transparente».

REFORME DU SYSTEME DE SANTE OU REFORME HOSPITALIERE ?

En ce début des années 2000, les citoyens, l'ensemble des acteurs de la santé et les pouvoir publics sont conscients de l'impérieuse nécessite d'agir pour améliorer le système de santé. Ainsi le gouvernement inscrit dans son programme comme priorité «la reforme hospitalière» renonçant à une reforme profonde du système de santé.

Il énonce dans son programme, «?Apporter les correctifs indispensables pour une réelle adaptation des structures de santé aux changements socio-économique ainsi qu'à l'évolution épidémiologique? C'est dans la réforme des structures publiques de santé que réside le nœud gordien de l'amélioration du système national de santé ». Décision louable pour la réalisation de laquelle est installée une « commission nationale de la réforme hospitalière». Le travail de cette commission est à saluer pour d'abord son écoute de l'ensemble des acteurs de la santé. La nouveauté est que ce débat s'est déroulé pendant une année via internet avec plus de 4000 interventions. D'une manière méthodique la commission organise la réflexion autour de six dossiers, besoins de santé et demande de soins, structures hospitalières, ressources humaines, ressources matérielles, financement et intersectorialité. Cette commission fera preuve d'une grande honnêteté dans l'analyse des lacunes de notre système de santé, en notant en observation «en l'absence d'un système d'information validé, les chiffres cités dans ce rapport doivent être considérés avec réserve».

Avec une grande lucidité, la commission mettra en exergue l'ensemble des dysfonctionnements et fera pour chaque dossier sus-cité des propositions pertinentes et urgentes en énonçant à chaque fois les avantages et les inconvénients.

Mais le point le plus important de cette reforme est le concept de «contractualisation» : contrat ministère-hôpitaux, hôpital-service, hôpital - CNAS, Cahiers de charge-praticiens, praticiens-patients.

C'est dans les conclusions du rapport final de la commission que l'on retrouve en filigrane, la réponse à la question posée en tête de chapitre. Il est dit que «la reforme hospitalière doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale de la santé», et d'ajouter «les capacités du secteur de santé de la population s'améliorent à condition que les contraintes externes soient levées». Et tout est dit dans la phrase qui termine le rapport « à la condition que la volonté politique soit au rendez-vous».

Si je me suis appesanti sur ce rapport, c'est pour démontrer sa pertinence et la justesse des recommandations. Malheureusement à ce jour ces recommandations, pour la plus part, sont restées lettres mortes, et la mesure phare qui était la contractualisation piétine. L'on ne peut que regretter de n'avoir pas vu, les professionnels de la santé, la société civile et les partis politiques, se mobiliser pour la concrétisation de cette réforme hospitalière, premier pas vers une réforme profonde de notre système de santé. D'autant plus que l'Algérie laissait derrière elle la décennie noire, et commençait à connaître une embellie financière.

A Suivre

*Professeur de Chirurgie Cancerologique.(chuoran)