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Pour en finir avec la nostalgérie

par Salim Metref

50 ans après l'indépendance de l'Algérie, les soubresauts des partisans de l'Algérie française continuent de siffler à nos oreilles comme les balles assassines de l'OAS et cette situation risque de connaitre des développements inattendus à l'occasion notamment des prochaines échéances électorales en France, où tous les phantasmes seront bons à exploiter dans une future campagne présidentielle qui s'annonce, malgré les apparences, à couteaux tirés !

En Algérie, les prochaines élections législatives du mois de mai 2012, que tout le monde, ici et ailleurs, attend d'un pied ferme, et la célébration du 50éme anniversaire de l'indépendance de l'Algérie constitueront les événements majeurs de l'année 2012.

Le croisement des agendas des deux rives de la méditerranée va?t-il provoquer d'inévitables examens de consciences, de désagréables surprises ou de fracassantes révélations d'autant plus que les archives de la colonisation française et de la guerre d'Algérie seront dés cette année accessibles notamment aux historiens et aux chercheurs?.

La refondation de la relation algéro-française, permettra-t-elle de faire l'économie d'une guerre des mémoires qui a outre-mer, pour reprendre un terme à forte connotation coloniale, déjà bel et bien commencé ? .

Cette célébration voulue, semble t-il, plutôt fondatrice d?une nouvelle relation algéro-française apaisée et tournée vers l'avenir pourra-t-elle empêcher le débat nécessaire afin qu'une fois encore le bilan de la colonisation française de l'Algérie ne soit plus biaisé ?

L'ANNEE 2012 APPORTERA SANS DOUTE DES REPONSES A CES NOMBREUSES QUESTIONS

132 années de colonisation française de l'Algérie laissent bien des séquelles qui survivront encore à de nombreuses générations. Nous devons maintenant, en ce qui nous concerne, dire, qu'il faut que cessent une fois pour toutes ces manifestations malsaines de nostalgérie.

Au début se manifesta la douce et naturelle nostalgie[1] . Elle se métamorphosa ensuite en perspicace nostalgérie qui revêt maintenant l'habit d'une menaçante et conquérante nouvelle croisade des anciens ultras de l'Algérie française. Se pourrait-il donc que le ventre de la bête immonde soit toujours fécond ? Il faut maintenant le dire et le redire. La relation algéro-française ne pourra être rebâtie sur les décombres de notre mémoire et l'oubli de notre combat et de nos martyrs. Le passé est le passé et c'est ainsi. Un jour, un membre influent de l'extrême droite française répondit, en le tutoyant, à un jeune français d'origine algérienne qui lui reprochait son discours xénophobe, de la manière suivante : «Tes parents se sont battus pour avoir un drapeau, alors plutôt que de me faire la leçon, ici, chez moi, sous mon drapeau, retournes plutôt dans ton pays puisque maintenant tu en as un». Bien que ces propos soient prononcés par une personne dont les référents idéologiques ne sont pas les nôtres, il n'en demeure pas moins qu'ils contiennent en soi une part de vérité, qui vue de ce coté-ci de la méditerranée, est l'évidence même.

La France et l'Algérie sont deux pays souverains et distincts. L'histoire, dans ses tragiques péripéties, a fait se croiser leurs destins et le combat pour la liberté les a séparés. Le 18 mars 1962 furent signés, entre la France et l'Algérie, les accords d'Evian qui mirent un terme à une guerre qui aura duré plus de sept ans. Les Algériens consacrèrent la date du 5 juillet 1962, jour de l'indépendance, jour correspondant également à un autre 5 juillet qui vit les forces françaises débarquer en Algérie et prendre possession de la ville d'Alger. Notre indépendance fut reconquise après 132 ans d'occupation française. Ce pays des hommes libres a toujours et depuis la nuit des temps refusé et combattu, sous diverses formes, toutes les occupations. Ce pays est le nôtre. Il est aussi celui de ceux qui l'aiment. Nous l'avons libéré avec notre sang. Nous portons encore dans notre mémoire et dans notre chair les séquelles de toutes les souffrances endurées depuis des siècles. Rien ne nous fera changer d'avis ni ne nous fera douter. Et la realpolitik ne pourra taire cette guerre des mémoires qui aura probablement bien lieu.

Que deviendrons-nous et quel honneur nous restera t-il si aujourd'hui, au nom d'une prétendue équité des mémoires et d'une reconnaissance de toutes les souffrances, nous acceptions que soit mis sur un même pied d'égalité tout ce que 132 ans d'occupation de l'Algérie ont engendré de souffrances avec les regrets des rapatriés d'Algérie qui ont souvent été contraints au départ, excepté celles et ceux qui ont eu les mains rouges de notre sang et qui ont fui, par ces mêmes activistes de l'OAS qui ont pratiqué en Algérie la terre brûlée et infliger aux Algériens la mort et les pires sévices, notamment dans les villes ?

Depuis le départ des plages du Mourillon à Toulon, le 25 mai 1830 vers la conquête de l'Algérie, d'une flotte, constituée sous le règne du Roi Charles X et composée de centaines de navires avec à leur bord des dizaines de milliers d'hommes avec armement et matériel, nous eûmes d'abord droit à la pacification ou comment réprimer dans le sang toutes les révoltes et toutes les contestations du nouvel ordre colonial, au code de l'indigénat, au statut personnel, aux viols, aux assassinats, aux punitions expéditives, aux enfumades du Dahra dans des grottes devenues sans doute et bien avant l'heure la première forme de fours crématoires et aux événements tragiques du 08 mai 1945 à Sétif, Guelma et à Kherrata qui virent les populations algériennes de ces villes, y compris celle qui combattit le nazisme et contribua à la libération de Paris, se soulever et être exécutées en masse. Puis au napalm, à la guillotine, à la torture systématique conçue, ordonnée et mise en place par les plus hautes hiérarchies, à la répression féroce d'octobre 1961 en plein cœur de Paris et dans sa banlieue et ou des centaines d'algériens dont Fatima BEDAR, jetée à 15 ans dans le canal Saint-Denis, furent jetés et engloutis vivants par les eaux de la Seine et du canal Saint-Martin, aux militants français progressistes ou de gauche Jean-Pierre Bernard, Fanny Dewerpe, Daniel Féry, Anne-Claude Godeau, Édouard Lemarchand, Suzanne Martorell, Hippolyte Pina, Raymond Wintgens et Maurice Pochard morts sous les bousculades provoquées par la violence policière à la station de Métro Charonne, à la police de Papon de 1945 puis de 1961, aux archives spoliées et usurpées et détenues ailleurs qu'en Algérie, aux pillages de nos trésors et de nos richesses effectués au gré des humeurs et des conjonctures, aux essais nucléaires dont les effets radioactifs provoquent toujours maladies et malformations, aux millions de mines «déminés» par l'amputation de tant d'enfants et à tout ce que la pudeur nous empêche de dire. Tout cela serait donc identique aux provocations de nostalgiques de l'Algérie française, associations pieds-noires qui rassemblent, semble-t-il, une minorité de rapatriés et dont la représentativité réelle ou supposée est discutable, souvent proches de l'extrême droite, et qui font dans la surenchère, la provocation et l'agitation. Et parce que des lobbies, qui se sont déjà constitués, monnaient leur soutien à des hommes politiques en sursis. Nous pensions que certaines limites étaient infranchissables, que les grandes familles politiques de l'hexagone avaient en commun le souci des principes et valeurs de la République mais la jonction, pour certains, est déjà faite avec les thèses les plus farfelues et avec des initiatives contestables qui ne favorisent pas l'écriture sereine d'une nouvelle page entre les deux rives de la méditerranée. Les monuments érigés à la gloire de l'Algérie française et de l'OAS ne peuvent être assimilés qu'à des manifestations de nostalgie et ne feront pas oublier Francis JEANSON, Maurice AUDIN, Daniel TIMSIT, Henri ALLEG, Fernand YVETON, Nicole DREYFUS, et tous les autres justes qui se sont sacrifiés pour l'Algérie, ont porté la cause algérienne ou encore défendu ses militants arrêtés, parce que le combat du peuple algérien était un combat légitime. Il y'a certes l'importante communauté algérienne qui vit en France, les destins croisés, les nouvelles générations qui ont certainement d'autres repères, les initiatives du tissu associatif, l'opportunité de la circulation des personnes et des biens, la densité des échanges économiques, les visites des cimetières et des tombeaux vénérés, les centaines de milliers de détenteurs de la double nationalité, les mariages mixtes et les célèbres enfants qui en sont issus, Piaf, Mouloudji, Adjani et tous les autres, le business et le pragmatisme des affaires, les petits arrangements entre amis des deux rives, etc. .. Et tout le reste. Mais tout cela réuni ne pourra suffire à faire oublier le négationnisme en cours et encore moins à lui permettre de triompher.

La nostalgie est certes un sentiment humain et compréhensible et ne dit-on pas que l'on est du pays de son enfance ? Quoique, lorsque l'on demanda un jour, à l'écrivain Vladimir Nabokov (1899-1977) s'il envisageait un jour de rentrer en Russie, il répondit qu'il « n'y retournerai jamais pour cette simple et bonne raison que toute la Russie qui m'est nécessaire est toujours avec moi : la littérature, ma langue et mon enfance russe.».

L'année 2012 sera celle du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Il faudra dés maintenant, pour espérer envisager l'écriture d'une nouvelle page entre les deux rives de la méditerranée, distinguer ce qui participe du travail mémoriel de ce qui appartient à l'idéologie nauséabonde de la négation. Car l'actualité qui caractérise depuis de nombreuses années déjà, le débat dédié à la colonisation de l'Algérie semble évacuer cette dimension de la nostalgie au profit d'une remise en cause pure et simple de notre existence en tant que pays, peuple et nation. Nous serions donc une anomalie de l'histoire que l'histoire devra corriger. Rien que cela!

Le premier acte de ce processus négationniste des souffrances endurées par le peuple algérien fut la promulgation, par l'Assemblée Française, de la loi du 23 février 2005, votée dans son intégralité notamment dans son article 4 qui stipule que «Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française ?». Cette loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» va imposer une lecture de l'histoire , mentionner «le rôle positif de la colonisation» et va, de ce fait, contester, par l'occultation et l'oubli volontaires les nombreux crimes et massacres commis par l'armée française. Ce «rôle positif» va susciter colères et polémiques notamment en France ou un collectif d'intellectuels notamment d'historiens conteste ce dérapage et ce dévoiement de l'histoire. Des associations et des citoyens protestent et dénoncent le travestissement du passé et aussi la sollicitude dont l'actuelle majorité à fait preuve à l'égard de l'OAS. Ils refusent également à ce que l'histoire soit désormais tenue en laisse par les politiques parce qu'il appartient aux historiens de la dire. Des élus notamment des Antilles, déclarent, à propos de cette loi, que la colonisation, ou qu'elle ait sévi, qu'il s'agisse de l'Indochine, de l'Afrique du Nord, de l'Afrique Noire, des Antilles.. a toujours été porteuse de souffrances, de supplices, de viols, de vol des richesses, de massacres. Cependant, après maints remous provoqués et vives protestations exprimés, l'article 4 de cette loi a été abrogé, sous la mandature du Président Jacques CHIRAC, par le décret du 15 février 2006.

En Algérie, la colère et la réprobation ont été dans un premier inaudibles. Nous ne sommes pas nous aussi indemnes de tout reproche puisque nous avons parfois longtemps maintenu dans l'oubli, pour des raisons injustifiées, certains segments de nos luttes et de notre passé.

Mais l'idée d'une loi criminalisant le colonialisme va apparaitre dans le sillage de cette loi du 23 février 2005 et il faudra tout de même attendre de nombreuses années pour qu'elle soit déposée sur le bureau de l'assemblée populaire nationale. Le but de cette démarche, conduite en janvier 2010 par un nombre appréciable de députés est d'aboutir à ce que la France exprime son pardon pour les crimes commis en Algérie et qu'elle consente des indemnisations à tous les dommages causés. Ces conditions sont, selon les initiateurs de cette action, incontournables pour espérer écrire une nouvelle page des relations algéro-françaises. Cette initiative n'aboutira pas puisqu'elle ne sera pas présentée au parlement et ce pour des raisons d'ordre «diplomatique et juridique» selon les propos exprimés par une déclaration faite le 25 septembre 2010. Mais depuis l'année 2005, en France, les nostalgiques de l'Algérie Française, eux n'hésitent pas et en rajoutent même. Ils inaugurent places et monuments à la gloire du passé. Les stèles érigées à la gloire de l'Algérie française, au nombre de 15 en 2002, sont plus de 60 aujourd'hui. Ainsi le 25 mai 2006 est célébrée à Toulon, ville ou 30000 pieds-noirs sont revenus d'Algérie en 1962, la commémoration du départ en 1830 de l'expédition d'Alger. La sphère nostalgérique regroupe de nombreuses villes et s'agrandit. Carnoux-en-Provence, Aix-en-Provence, Marignane, Avignon, Théoule-sur-Mer, Le Cannet, Nice, Toulon, Hyères et Perpignan entre autres, ont leurs lieux de «recueillement» et de «mémoire» notamment pour certains ceux dédiés à l'OAS. Le 25 novembre 2007, un «mur des disparus morts sans sépulture en Algérie » a été inauguré à Perpignan dans l'ancien couvent des Clarisses. Ce mur contient les noms de milliers d'Européens. A l'exception, bien entendu, des Français qui ont soutenu la cause de l'Indépendance de l'Algérie. Ces manifestations sont souvent soutenues, au début en catimini puis publiquement par la suite, par des personnalités proches de l'actuelle majorité au pouvoir en France et même encouragés par des parlementaires de la même obédience. Il faut ratisser large pour espérer remporter les élections présidentielles qui se profilent à l'horizon et les législatives qui leur emboiteront le pas. Le 19 octobre 2010, «la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d'Algérie, des Combats du Maroc et de Tunisie» prend ses quartiers au sein de l'hôtel des Invalides, à Paris. Depuis, et en ce mois de janvier 2012, un représentant du gouvernement Français, s'exprimant devant une assemblée de rapatriés réunie à Aix-en-Provence et dont le poids électoral avoisinerait, semble-t-il, le million et demi de voix, déclare « par respect pour les victimes, par respect pour vous, la nation ne peut pas se rassembler le 19 mars 2012». Cette sortie médiatique, sans doute également inspirée par des inquiétudes quant à l'issue des prochaines présidentielles françaises, traduit néanmoins une tendance lourde de la conception de certains milieux politiques français de la colonisation de l'Algérie, celle du refus de reconnaitre les exactions commises par l'armée française en Algérie. Le 11 février 2012, des historiens dont un universitaire algérien participant à un colloque sur la fin de la guerre d'Algérie, organisé par la ligue française des droits de l'homme à Cimiez (un quartier résidentiel de Nice) sont apostrophés par des activistes de l'Algérie Française. Et cela risque de s'amplifier tout au long de cette année.

La célébration du 50éme anniversaire ne doit être ni timide et ni discrète car les compromis ne sont pas les compromissions. Notre glorieux passé et notre indépendance devront être célébrés comme il se doit. 2012-1962, c'est 50 ans d'une indépendance chèrement reconquise et cela suppose une célébration exceptionnelle.

Ironie du sort ou hasard du calendrier, deux événements majeurs auront lieu le mois de mai prochain aussi bien en Algérie qu'en France.

En Algérie auront lieu les élections législatives. Ces dernières, si elles sont transparentes et honnêtes, et nous espérons qu'il en sera ainsi, permettront l'émergence de la première assemblée véritablement représentative qui siégera à Alger et la sortie de crise politique tant attendue et tant espérée.

En France, l'élection présidentielle verra, sauf surprise politique majeure de l'élection de Madame Marine Le Pen à la magistrature suprême, l'arrivée probable aux commandes de la gauche socialiste et de ses alliés.

La célébration du 50éme anniversaire de notre indépendance accueillera avec estime et respect, dans ses prolongements, les manifestations de sympathie, de soutien et les contributions de toutes celles et de tous ceux, d'ici ou d'ailleurs, qui ont l'Algérie au cœur et qui ont soutenu sa cause et qui veulent construire de véritables passerelles entre les deux peuples des deux rives de la méditerranée, développer de vrais partenariats équitables et mutuellement avantageux et tisser d'authentiques liens d'amitié. Bref une relation adulte qui doit se substituer au paternalisme malsain et au sentimentalisme de mauvais gout qui n'ont jamais rien auguré de bon .

[1] La nostalgie doit être comprise, sur le plan de l'étymologie, dans le sens profond qu'elle revêt, c'est-à-dire comme un sentiment de tendresse pour sa terre de naissance et un sentiment de tristesse pour cette terre devenue lointaine. Les racines grecques de ce mot sont nostos (retour) et algos (souffrance).