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Du gaz ou dégage !

par El Yazid Dib

Le climat parfois n'est pas une épreuve d'altitude atmosphérique mais une preuve d'attitude politique.

« Du gaz ou dégage » est un nouveau slogan de contestation né dans les flocons de la neige qui a enseveli récemment des villages et des âmes. Il ne vise point la gestion démocratique de la mauvaise météo ou son partage équitable selon cette théorie d'équilibre régional tant prônée dans les programmes de développement. C'est un cri de service public. Il est apolitique.

 La neige a certes crée la solidarité mais a désolidarisé l'habitude débrouillarde qui permettait au citoyen de combattre les aléas intempériques et qui faisait feu de tout bois. L'on a subitement oublié la joie, les boules et le bonhomme de neige. Le citoyen d'antan n'avait pas à compter sur Eddoula pour lui assurer le bon gite, clos et chauffé. Le quinquet, le réchaud à pétrole, les buches, le coke, l'anthracite ou le boulet en plus pouvaient faire le bonheur chaleureux de la progéniture que nous étions. Les HLM n'étaient pas des immeubles, mais de simples abris dans une «hara» ou un grand Haouch. Ailleurs nos compatriotes ruraux, excellaient dans le génie de pouvoir transformer des packs fécaux d'animaux tassés préalablement en source d'énergie inextinguible. Le bois de chauffage garnissait en stères les coins de la zriba, à défaut de grange.

La culture vivrière était l'apanage de tout ménage. Les mères, l'eté, comme la fable de la cigale et de la fourmi ; s'affairent à sécher les figues, tomates, poivrons, tout ce qui pouvait servir de provisions d'urgence come blé brut, moulu ou ses dérivés, son, seigle et orge. Les greniers de terre ou matmour constituaient un silo enterré réservé aux rudes journées hivernales. Les animaux également avaient leur stock de bottes de foin, de paille et de fourrage. Le froid à l'époque certes se ressentait dans la gerçure de nos orteils et de nos doigts efflanqués mais se trouvait totalement absent de nos cœurs. L'assistance et l'entraide ne pouvaient alors se fixer dans un hiver rigoureux mais s'étalaient toute l'année. Elle ne se faisait pas devant les objectifs de télévision.

La solidarité en cette semaine n'avait pas à afficher dans le zoom de l'ENTV une image d'abord de kermesse où un wali sert de chronomètre pour un départ vers un mont enneigé qu'il n'a pu daigner en écouter le moindre gémissement depuis l'annonce de la première poudreuse. Ensuite faire du malheur des autres une aubaine pour se mettre en bonne posture de piédestal n'est qu'un populisme de mauvais gout.

La solidarité très salutaire mais ainsi claironnée demeure hélas barbouillée de fourberie et de carence de sincérité. Elle n'est également qu'une signature d'un ordre de mission pour des conducteurs de remorques payés à l'heure, transportant des denrées glanées par la force de la conviction administrative. L'ambiance de fête, l'hilarité des organisateurs, le glousser des badauds que montraient le JT croyant secouer l'apathie des autres, n'étaient pas de nature à accepter cette « enchère » comme un acte profondément de bienfaisance. A contrario il s'assimilait ainsi fait, à de la pure surenchère quand il ne sera pas perçu par les récipiendaires comme une aumône. La neige a fait perdre la tête à certains responsables. Au lieu de prévoir, ils agissent hâtivement et encore après coup. Du rattrapage. Au lieu d'anticiper, ils subissent. Toute cette impulsion serait d'une haute moralité si ses contours n'étaient pas médiatisés à outrance ou devaient servir certains objectifs s'inscrivant sans doute dans les joutes du 10 mai 2012. La générosité exercée dans une discrétion, voire ordinaire et ne gênant pas ceux qui la nécessitent aurait eu tout l'impact religieux et philanthropique qui sied à ses initiateurs. Mais arriver à faire du tapage, par principe ne doit pas stimuler la copie ni inciter l'imitation. À Tizi Ouzou un responsable n'a pas manqué de lancer un SOS. En bonne stratégie gestionnelle, il n'avait pas à clabauder ses pleurnicheries. Lui, il est tout prêt du centre décisionnel. Les gros « engins » sont à Alger. L'armée tout de même l'aurait écoutée. Et puis ? Ce n'est pas à la muette de gazer ou d'engazer les citoyens qui en souffrent du manque.

Et ce dirigeant qui par « foi et mansuétude » aurait pris en charge la petite fille Manel de Mascara, au lieu concomitamment s'occuper un tant soit peu des localités de Macta Menaouer et de Belkhier transformées en bidonvilles, pleins de boue et de gadoue. Quand le douar de Sbaihia à Tighenif ne dispose que de 5 lampes d'éclairage public, le vertige vous prend suite aux bonnes intentions et à la belle parole. Le p'tit bombardier est devenu un supersonique. L'audace est ainsi la pire pathologie des osés. On a vu dans la neige un responsable porteur d'un anorak militaire qui jubile sous ce demi-uniforme de combat sans galons ni motif réglementaire. Est-il un général en réserve ? A-t-il été rappelé dans les rangs pour haute menace sur la sécurité de la nation ? Il nous rappelle de triste mémoire un certain leader des années 90 vêtant sans droit un treillis militaire et se dirigeant vers le ministère de la défense. Trêve de délire ou de fantasmes ! Un autre chef d'exécutif a été vu comme un tour-operator vantant le débordement du barrage de Béni Haroun avec plus de 1 milliard de mètres-cube et au lieu d'assurer l'approvisionnement régulier de sa population secourue par les hélicoptères de l'armée ; il exhorte l'investissement touristique étranger ! Drôle de conception du rôle de l'Etat. Un autre encore a été vu à la télé, arpentant joyeux la domination pittoresque du mont de Chréa s'exposant en un vacancier en facilité d'accès et de villégiature.        Alors que l'on sait que sa population manque de butane. Alors que la RN5 reliant BBA à Sétif reste coupée par la neige, celle de BBA/Msila est doublement coupée. On y exige du gaz butane pendant que la gouvernance s'égosille dans le confort d'un studio radiophonique.

Idem pour Akbou, Kherrata et plusieurs villages de la petite Kabylie. Le wali rassure l'avenir à partir d'un micro tout aussi radiophonique. Communication quand tu nous tiens ! D'autres wilayas par contre touchées à égal ou moins degré par le même phénomène climatique et ayant battu des records d'enneigement ont su en toute mesure et sans cors administrer la crise.

Ils officiaient comme d'altruistes généraux à partir de leur QG. Il suffit d'avoir l'art et la manière, la candeur et la décence. Il suffit encore d'avoir la tête froide quand toutes les autres se chauffent sans combustibles.

Nous aurions vécu en direct un véritable feuilleton. Tous les moyens sont mis en exergue. A deux semaines déjà les idées se bousculent pour le comment émerger du lot.

Nous allons certainement assister à plus de concurrence, à plus d'innovation courtisane. Alors que les populations concernées et cernées par l'épaisseur neigeuse n'entendent pas se voir offert une puce ou un chargeur de téléphone, elles avaient besoin de courant électrique et de combustible. Le gaz butane en premier chef. Si l'on est arrivé à leur adresser des convois de semoule et d'huile 10 jours après, il fallait penser d'abord à leur rétablir ce courant qui les tenait en vie. L'Etat n'a pas failli à ses missions dans l'apparence, son erreur fondamentale se résume en cette insouciance caractérisée dans la gestion des petits chamboulements naturels. La déficience dans le règlement du marché et de la chaine de distribution s'est vite placardée à la liminaire chute de neige. Pris de court peut être, les centres enfuteurs et la société-mère semblent gérer le créneau sans aucune norme statistique de satisfaction du besoin national. Il existe des wilayas à relief accidenté, à climatologie capricieuse, à des altitudes vertigineuses qui ne disposent que d'un unique centre de production de ce précieux liquide en butane. Cette entreprise, dépendant du ministère de l'énergie, qui régente toute sorte de gaz ; se devait de connaitre le fichier national de ces potentiels clients. Y compris ceux qui utilisent ce butane pour un but d'aviculture. Ils sont nombreux ces poulaillers qui pullulent un peu partout dans les zones pourtant déclarées par la tutelle commerciale comme des espaces agro-alimentaires. L'électricité y est mais pas le gaz. Que faire ? Du gaz ou dégage ! L'économique ne peut à lui seul éclipser quand bien même l'utilité du service public, de surcroit par-devant un monopole étranglant et résistant à bras le corps à tout changement ou politique universelle. Il est du domaine du tout-su que le processus des hydrocarbures ; de la prospection, l'exploitation, au raffinage est du ressort de sociétés mixtes.

Seuls le transport et la distribution demeurent une prérogative exclusive de l'Etat. Ceci est en soi une hérésie. C'est un bloc de glace que l'on entretient dans le givre et la frigorification mais qui finira un jour par fondre comme neige au soleil. Sinon comment expliquer que dans un pays producteur de gaz, la bouteille de gaz est distribuée par la force publique ? L'on dirait un état de guerre, clair et non déclarée. Un rationnement qui ne dit pas son nom. La généralisation, pour des propensions populistes du gaz dit de ville est une hérésie. L'on n'en pas idée que dans un douar mal loti, non urbanisé, soit une campagne, un site rustique l'on puisse promettre le branchement au gaz de (ville ?).

Ce gaz liquéfié dans ces contrées ne pourra jamais exprimer une modernité ou une accession au développement. Voilà qu'intervient encore et maintenant une autre enchère populiste promettant « la technologie rurale » ou « le cyber rif ». On y apprendra à une vieille couscoussière comment rouler son couscous et le mijoter sur un feu? de butane. Une autre dissidence techno-naturelle. Du n'importe quoi, quoi ! De grâce laissez la campagne à la campagne en la rendant plus captivante. Généreuse et authentique elle ne sera qu'une mission de retour à la nature. Il faudrait y mettre de la passion et non de la démagogie. Qu'est-ce qu'on aura à perdre, de rajouter une dizaine de millions de centimes pour voir les maisons financées sur fonds publics de l'habitat rural, toutes obligées à porter des tuiles et éviter le gris du béton et des dalles qui balafre le paysage en entier ?

La culture de la catastrophe, soit celle de s'en prémunir ou s'en adapter n'est plus enseignée chez nous. Au moindre accroc c'est la panique et les hurlements. Ni encore celle de la prévision. Les services de l'office national de météorologie viennent à peine de s'installer dans les méninges des populations. Comme Bonatero, on ne l'écoute qu'à l'orée du ramadhan ou lors d'un séisme. Leur BMS n'est ainsi qu'une obligation les déresponsabilisant à adresser aux autorités censées prendre les mesures adéquates. Preuve en est ; que ces BMS se ravisent de signaler des chutes de neige à moins de 200 mètres quand celle-ci est supposée à plus de 900 mètres. Plus de précaution et de prudence exagérée croient-ils les mettra à l'abri de la mauvaise astrologie. Mais à quelques heures de l'ouragan, que peut faire un maire, s'il n'a pas à l'avance prévu la disponibilité des moyens ? On croit savoir que le centre national de climatologie ( ?) pourra d'ici 3 mois dès l'acquisition d'un calculateur ; établir des prévisions sur 5 ans ! Rien de stupéfiant, car les prévisions sont données à l'échelle mondiale sur dix ans affirme son directeur.

Donc à qui ce slogan est-il destiné ? Du gaz ou dégage ! Dans un pays producteur de gaz, la menace est lourde de conséquence. L'on risque une explosion non pas par le gaz mais bel et bien pour le gaz. Nous allons tous « dégager » à la déflagration ! Passons. L'Algérie est en voie d'être déneigée. L'épisode sibérien va s'estomper. Que restera-t-il après la fonte des neiges ? Le malheur, le désarroi des mal-logés et des mal-butanés. Ce malheur justement il faut le comprendre et non l'interpréter. Car le climat parfois n'est pas une épreuve d'altitude mais une preuve d'attitude politique. Là haut, au sommet il neige moins qu'ici bas, sur la terre, les villages isolés, les écoles en vacances forcées, les routes barrées et les interrupteurs grillés. L'altitude du temps d'ici brave clairement la politique d'en haut pour s'installer uniquement dans la météorologie.

L'on ne tend pas à en faire de distinction. On y insiste. C'est une simple question de pelleteuses et de bonbonnes. Croit-on.