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S&P OU LA FIN DE LA DEMOCRATIE

par Akram Belkaid, Paris

La récente dégradation de la note souveraine de la France par l’agence Standard & Poor’s (S&P) démontre une nouvelle fois la perte de pouvoir de la sphère politique au profit du pouvoir et des marchés financiers.
Mais commençons par relever un premier point. Ce n’est certainement pas un hasard si cette dégradation a été connue un vendredi. En termes de stratégie de communication, c’est le jour où la publication de mauvaises nouvelles est le mieux amortie. En effet, le lendemain, les ventes de journaux sont moins importantes, les gens ont la tête à autre chose et les vedettes des journaux télévisés sont en week-end. Damage control… On est donc en droit de se demander d’où est venue la fuite - c’est le Financial Times qui a donné le premier l’information - sachant qu’en matière de notation, le gouvernement concerné est toujours informé en premier par l’Agence. On peut aussi relever que l’effet d’une telle dégradation est certes négatif pour le gouvernement français, mais il est évident qu’il aurait été bien plus dévastateur si la décision de S&P était tombée en mars ou en avril, c’est-à-dire au plus fort de la campagne électorale. Mais passons…

LES AGENCES : DES ERREURS IMPUNIES

On ne peut s’indigner de l’influence exorbitante que détiennent aujourd’hui les agences de notation, si l’on ne rappelle pas dans le même temps que c’est bel et bien le pouvoir politique qui est complice de cette situation. Au début des années 2000, de nombreuses voix se sont fait entendre pour que le fonctionnement de ces acteurs - payés par l’entité (Etat, entreprise, collectivité locale ou ville) qu’ils notent ( !) - soit plus transparent, mieux encadré et soumis à de vrais contrôles et pare-feu. Que l’on se souvienne du scandale Enron aux Etats-Unis ou de Parmalat en Italie. Que l’on se remémore aussi les errements boursiers des n’importe-quoi.com, sans oublier, plus près de nous, l’incroyable dossier des subprimes notées au plus haut par les agences alors qu’elles ne valaient rien. Et le pire, c’est que rien n’a été fait pour réformer ces agences. Rien n’a été fait pour diminuer leur capacité de nuisance. Et l’on ne peut que se sentir accablé en entendant le Premier ministre de la France suggérer au candidat socialiste François Hollande d’aller présenter son programme à Standard & Poor’s, comme si cette dernière était le grand juge faiseur de présidents ! S&P plus importante que le suffrage universel ? Adieu la démocratie…

UNE AUBAINE POUR LE POPULISME

Mais quel est l’homme politique qui va avoir le courage de dire que les agences de notation ne font rien d’autre que d’émettre des opinions qui n’engagent personne d’autre qu’elles ? Au lieu d’affirmer leur pouvoir et donc leurs responsabilités, les classes politiques européennes se retrouvent dépendantes du bon vouloir de deux ou trois analystes surchargés de boulot, noyés dans des chiffres et des statistiques manipulables à souhait. L’enjeu est de taille. C’est de l’avenir de la démocratie dont il s’agit. On ne change pas un chef de gouvernement pour faire plaisir aux marchés et aux agences de notation (cas de l’Italie). On ne conçoit pas un programme électoral en tenant compte de la réaction possible de S&P, de Moody’s ou autres émetteurs d’opinions (cas de la France). La nature a horreur du vide. A force de se décharger de leurs prérogatives, les dirigeants européens sont en train de faire le lit de forces politiques, certes populistes, mais décidées à remettre la finance et les marchés à leur place, fût-ce au prix d’autres régressions, notamment en matière de droits et de libertés. En refusant de dire «maintenant, ça suffit !», Sarkozy, Monti, Merkel et compagnie préparent des jours difficiles à l’Europe.