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EUROPE : POIDS DES MARCHES ET REFORME INSTITUTIONNELLE

par Akram Belkaid, Paris

Outre l’ascendant croissant des marchés sur les gouvernements (et donc sur la démocratie), l’une des manifestations majeures de la grave crise de la dette que traverse actuellement l’Union européenne (UE) est le fait que nous sommes en train d’assister à une profonde modification de l’environnement institutionnel du Vieux Continent. Il ne s’agit pas simplement de savoir si la Grèce et d’autres pays vont rester ou non dans la zone euro. La question est bien plus grave et touche au «squelette» de l’UE.

VERS UN MINI-TRAITE POUR REMPLACER CELUI DE LISBONNE ?

En effet, il faut se demander si l’organisation actuelle de l’Europe des Etats, c’est-à-dire ses institutions, ses textes et ses traités, va résister à la furie de la spéculation dont le but évident est de tester les limites extrêmes de la résistance de l’euro (par le biais notamment de l’augmentation des taux d’intérêts exigés pour acheter de la dette européenne). Le Traité de Lisbonne existera-t-il encore dans un an, voire dans six mois ? On le sait, nombreux sont les dirigeants européens qui estiment qu’il est urgent de réformer ce texte adopté le 13 décembre 2007 par les vingt-sept Etats membres de l’UE pour redimensionner l’architecture institutionnelle de l’Union et lui permettre de mieux répondre à la crise. Or voilà que plusieurs informations de presse rapportent que la France et l’Allemagne seraient en train de réfléchir à contourner ce Traité et la procédure de dix-huit mois (au minimum) nécessaire pour le modifier. Paris et Berlin envisageraient ainsi à un mini-Traité qui ouvrirait la voie à une union budgétaire des pays membres de la zone euro bénéficiant, à ce jour, de la fameuse note « triple A » (AAA). Outre la France et l’Allemagne, il s’agit des Pays-Bas, de la Finlande, de l’Autriche et du Luxembourg. Le futur texte serait ainsi adopté en dehors du cadre communautaire classique, une idée encore impensable il y a trois mois à peine. L’objectif d’une telle démarche est de permettre, le budget étant mis en commun, l’émission d’obligations souveraines européennes. Une idée qui pourrait séduire les marchés mais qui implique que d’autres pays européens soient laissés sur la route notamment l’Italie ou l’Espagne. On ne parle même pas de la Grèce qui, si un tel dispositif voit le jour, risque fort d’être définitivement exclue de la zone euro. De plus, ce mini-Traité mettrait fin à l’égalité parfaite entre membres de la zone euro. Ainsi, les nouveaux adhérents de l’UE qui voient d’un mauvais œil l’obligation d’être solidaires avec un pays en difficulté (comme la Grèce ou l’Espagne) seraient privés de leurs droits de veto.
Pour l’heure, cette piste d’un mini-Traité reste démentie, du moins non confirmée, par Paris et Berlin. Dans le même temps, nombre de dirigeants européens ont fait connaître leur vive opposition à un tel projet qui signifierait une totale réorientation de la construction communautaire. Pour autant, il n’y a pas de fumée sans feu. Les rumeurs, les fuites orchestrées à ce sujet dans la presse française, tout cela prouve que les grandes manœuvres institutionnelles ont commencé dans les coulisses. Et les deux mois qui viennent seront déterminants.

DEBUT 2012 SERA DETERMINANT POUR L’EUROPE

Et pour bien comprendre l’enjeu, il faut savoir que l’inquiétude monte quant à la capacité des pays européens à refinancer leur dette - c’est-à-dire à emprunter pour rembourser - en 2012. Les craintes concernent notamment l’Italie qui a besoin de 150 milliards d’euros durant le Premier semestre 2011 mais aussi, et c’est le signe de la gravité de la situation, l’Allemagne qui commence à avoir du mal à lever des fonds en proposant des taux d’intérêts inférieurs à 2%. C’est un fait : une course contre la montre est désormais engagée entre les marchés et la révision institutionnelle de l’Europe. Et rien ne dit que cette dernière pourra se faire à temps…