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DE LA DEMOCRATIE ET DES MARCHES

par Akram Belkaid, Paris

Les marchés financiers sont donc venus à bout de Silvio Berlusconi, obligé de démissionner pour que l’Italie ne subisse pas la même stigmatisation que la Grèce, l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal. Elu à trois reprises par une majorité d’Italiens pour qu’il préside aux destinées de leur pays, Il Cavaliere n’a donc pas été battu sur le plan électoral et ce n’est pas la gauche qui peut se targuer de l’avoir fait plier.

QUE VAUT LE VOTE DU PEUPLE ?

Ce qui vient de se passer en Italie est d’une extrême gravité. On peut détester Berlusconi et ne lui trouver aucun mérite. On peut lui reprocher ses frasques, son populisme et ses accointances douteuses avec l’extrême-droite. Il n’empêche, ce qui vient de lui arriver n’est pas une bonne chose, ni pour l’Europe ni pour le reste de la planète. Voilà un responsable élu par le suffrage universel qui est débarqué au nom de l’exigence des marchés. La question est simple : est-ce cela la démocratie ?
De même, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec la situation en Grèce où, là aussi, un Premier ministre a été obligé de se retirer pour calmer la tempête financière et boursière qui fait tanguer son pays mais aussi la zone euro. Est-ce donc cela la démocratie et le choix du peuple ? Dans cette affaire, il n’est pas non plus illégitime de s’interroger sur les raisons réelles de la virulence des dirigeants européens, allemands et français en tête, à propos de la tenue possible d’un référendum en Grèce pour avaliser ou non la potion amère que ce pays va devoir boire jusqu’à la lie.
Certes, cette virulence a été justifiée par le fait que Papendreou n’aurait pas joué franc jeu et que sa décision d’organiser un référendum (une idée finalement abandonnée) a pris au dépourvu ses interlocuteurs. On peut admettre effectivement que l’ex-Premier ministre grec aurait dû avertir Paris et Berlin. Mais on doit aussi défendre l’idée qu’en des circonstances exceptionnelles, comme par exemple la perspective d’exiger de grands sacrifices de la part de son peuple, on puisse au moins consulter ce dernier.
C’est donc l’un des enseignements majeurs de cette crise européenne. La démocratie y rencontre ses limites, à l’image aussi de la manière dont a été contourné le vote négatif des Français contre le projet de Traité constitutionnel européen (les dispositions de ce texte rejeté en 2005 ont été adoptées en grande partie par les députés deux années plus tard !). A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, dira-t-on. Cela signifie que l’Europe, pas plus que les autres régions du monde, n’est à l’abri de dérives antidémocratiques. Et la persistance de la crise ne peut qu’inquiéter car d’autres manquements sont désormais possibles à très court terme.

DEMONTER LE MECANISME DE LA DETTE

Il reste d’ailleurs à se poser cette question : mais qui sont donc ces satanés marchés ? Qui sont ces prêteurs qui dictent leurs lois aux Etats ? Comment se fait-il qu’un pays comme l’Italie, à la situation économique et financière plutôt saine, se retrouve obligé à emprunter à des taux supérieurs à 6% contre à peine 5% il y a encore trois semaines ? C’est dans l’identification et le décryptage des mécanismes de cette dette que les pouvoirs politiques sont aujourd’hui défaillants. Par leur faute, leurs pays se sont endettés pour sauver un système financier qui, aujourd’hui, a la mémoire courte et mord la main qui l’a tiré de la vase. Il est peut-être temps que commence la révolution contre les marchés financiers…