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Libye: les problèmes ne vont que commencer

par El Yazid Dib

La fin est tragique. Kadhafi vient de rentrer cette fois-ci éternellement dans l'histoire. Celle des atrocités, celle des causes perdues.Une horde sauvage ne peut aussi agir au nom d'un peuple. Bonjour à un autre épisode du livre vert : la démocratie tribale ?

L'on dira un jour que c'est grâce à la télévision que le régime Kadhafi s'était un peu prolongé. Ce moyen, chez qui sait s'en servir est une arme effroyable et de grande propagande. Le « guide » en usait mieux qu'il utilisait son fusil d'épaule. Il suffisait d'une image, d'un son le montrant sur son cinq, que voilà la crédulité d'un monde, le sien arrivait à se consommer dans le « donc tout va bien ». L'on dira aussi que c'est grâce à l'aviation de l'OTAN , à l'intervention sur le sol des services d'intelligence et de renseignements étrangers, à l'approvisionnement en armement excessif, à l'ONU et son conseil de sécurité enrôlé, à une ligue arabe débonnaire et «allégeante», à un Qatar banquier, à des Emirats insoupçonnés, que Kadhafi est tombé. Le peuple? quelques pans ont suffit de finir son régime battu et abattu déjà par la coalition. Il a pourtant berné tant les libyens que l'Afrique et le monde. On ne lui pas omis ses jacasseries sarcastiques et prises de bec ironiques à la tribune des nations unies lorsqu'il fustigeait cette corporation et bravait la charte qui l'administre.

LE SOLDE DE TOUT COMPTE D'UN HOMME A FORTE AMBIGUÏTE

Certes Kadhafi était une bizarrerie qui nageait dans ses propres fantasmes. Les conditions de sa captures montraient toutefois son cran et sa détermination à ne pas abdiquer ni capituler. Les raids aériens n'ont pu le faire reculer pour l'avancer davantage vers une sortie qu'il jugeait déshonorante. Il se croyait toujours, en fait il faisait croire mordicus à ses adeptes, qu'ils sont en guerre contre les croisés, les impies et les mécréants.

En disant un certain moment qu'il n'est ni président, ni roi, juste un guide et un mentor référentiel agissant pour l'éternité, Kadhafi semblait faire sa prémonition. Le sort lui aurait donné raison. Il est là pour l'histoire et l'éternité. L'on s'en souviendra. Il leur affirmait qu'ils doivent le sacraliser en qualité de gloire arabe, musulmane, africaine et américano-latine. Enfin une espèce de messie tiers-mondiste.

Il n'arrive pas à comprendre ce qui se passe dans la cavité de son peuple, armé également dans une large majorité à blanc par des forces étrangères et une frange des radicalistes islamiques. Sa révolution, pour ce peuple était une partie ternie de l'histoire post-69. Les raisons génésiaques à son soulèvement se sont toutes estompées. Le roi Idriss est parti. Il a été vite remplacé par un autre s'appelant autrement. Son Etat n'est pas une constitution. Son parlement n'a pas de partis. L'expression populaire, à son sens ne se débite qu'à travers la voix du maitre. Du guide. Il a voulu forcer le destin à lui réserver contre vents et marées une issue des plus mythologiques.     Il en est malheureusement ou heureusement bien servi. Ensanglanté, malmené Kadhafi comptait devenir une marque de révolution. Il a fait de cette pauvre contrée une dissidence, une blague à dimension étatique.

Contre un baril de plus, il obtient une motion de soutien. Cette fois-ci le jeu est; pour lui fermé à jamais. Sa révolution a finalement soldé ses comptes. Le contenu indigeste et gymnaste du livre vert ne dégageait pas alors la senteur fétide et pestilentielle d'un régime unique et inique au monde. La Jamahiriya, une semi république noyée dans la moitié d'une monarchie personnelle conquérait alors la reconnaissance servile toute la puissance mondiale.

On y applaudissait. On clôturait des dettes. On finançait des projets de routes et on édifiait des bassins d'horticulture. On ne pourra jamais innocenter le système qui cantonnait le peuple dans l'illusion démocratique et l'adulation forcée d'un seul homme. Ses tares sont plurielles. Mais rien ne justifie encore la torture d'un être dans le dernier quart d'heure qui lui reste à vivre et que l'on s'empresse de le finir sans aucune circonspection humanitaire. Le rubicond est franchi.

LA REVANCHE ET L'INHUMANITE COMME STYLE DE VICTOIRE

La scène à Syrte était insupportable. L'on y voyait que des yeux agressifs et revanchards se mettre sans état d'âme sur un corps humain, chétif, blessé. Le crime était déjà commis. Les voix perçantes comme un clairon de victoire déchiraient le silence d'une histoire qui s'est tue quarante deux années durant. Le peuple libyen ne doit pas du tout se sentir se baigner dans le sang de cette ignominie. Sinon il aurait fait ce que lui faisait son autocrate. Kadhafi est mort ainsi dans un lien direct au combat. Parce qu'il a été tout simplement assassiné avec préméditation, qu'il tombe au champ d'honneur. On l'a par cette épreuve rendu immortel. Son image finale ne cessera pas de se transporter au fil des ans. De toute son œuvre, la mémoire ne gardera en définitive que cette scène d'abattoir, cette image de lynchage, ce zoom du martyr et du crucifix. On aurait pu l'arrêter, le soigner, le juger, le condamner et l'exécuter. Et non pas le meurtrir davantage à coup de crosse et en faire ainsi un porteur de faix et de calvaire. C'est un peu ça, n'est-ce pas ce droit humanitaire, cette chariaa, cette sentence naturelle ?de Dieu, des choses et des hommes ? Kadhafi était en cycle final de mener son dernier combat, lorsqu'il connut ses ultimes moments dans l'hérésie d'une foule déchainée, haineuse et ensauvagée. Il est devenu le rat le plus cher que l'on cherchait partout dans les coins et recoins des égouts et des caniveaux. Un agitateur, un combattant, un guerrier voire un destitué non convaincu ; pourchassé, recherché, traqué, en cavale, mais pas fuyard puisse-t-il se trouver dans un palais, un palace ou un QG localisé et confortable ? Avec la mort de Kadhafi, c'est un autre feuilleton qui va se lancer. Le partage du pouvoir suite à la prise d'un butin est plus meurtrier que la guerre même chez les habitants de toute cette zone. Dans la liesse pathologique d'une armée civile, métissée et irrégulière insatiable pour assouvir ses revanches, l'on n'y voyait pas le reflet d'un peuple qui veut se promouvoir vers les étages supérieures de la démocratie. Les dollars qui s'offraient par-ci et par là aux occidentaux, forcés de fermer un œil ; ne sentaient pas alors l'effluve de la torture ou l'odeur adhésive de la fermeture des gosiers et la condamnation des libertés.

 En ce jour à syrte, la reproduction provocante en live de la fin d'un être était excessive. Lorsque de jeunes occasionnels militaires inconscients prennent des photos portables à coté d'une vedette qui ne l'est plus, cela ne peut profiler qu'une mauvaise exultation. La danse macabre et l'horrible parodie faite devant une dépouille mortelle alanguie ne sont en finalité qu'une expression d'une certaine culture de l'humanité. Un cadavre ne peut servir comme canevas de fond à un souvenir de famille. Ainsi la mort sans état d'âme devient un trophée à exhiber. Sarkozy, pourtant commandeur et artisan principal de l'opération, a déclaré avec une émotion labiale «il ne faut jamais se réjouir de la mort d'un homme, jamais ! » L'histoire, la vraie ne fait que commencer en Lybie.

Là, ces « révolutionnaires » viennent de donner une leçon pétrifiante au monde entier. Par leur barbarie, inhumanité ils ont prouvé à ce monde qu'ils ne peuvent s'accoupler avec les charmes de la démocratie. Hordes sauvages, bédouins, gueux, incivilisés ils ont jeté l'opprobre sur l'arabe et l'islam. Au quatrième jour de son assassinat, le sordide a atteint l'apogée de l'intolérable. Il est devenu un spectacle gratuit. L'on continue à faire de son cadavre et de celui de son fils un objet de curiosité que l'on permettait aux visiteurs de voir et de photographier. Même les mômes, traumatisés, ont eu leur lot de visite funèbre. Un musée de cadavres vient d'inaugurer une nouvelle touristique en Lybie. Le tourisme nécrologique. C'est une honte immense de l'esprit de croire que lorsque le vilain a été? tue?, justice a été? faite.

UNE TRANSITION INFINIE, UNE INCERTITUDE, UNE ISSUE VERS LE CHAOS

Voilà, après que le régime de Kadhafi s'effondre comme un château de sable, l'avenir n'est pas aussi tout reluisant pour la Libye. La disparition d'un homme honni soit-il n'apporte pas toujours l'issue souhaitée. L'Irak se tient comme l'exemple le plus typique. Une mort d'homme n'entraine pas forcement mort d'une idéologie. L'histoire est debout pour donner ses preuves. Le chaos et l'inorganisation qui vont se suivre n'auront pas le temps de se mettre au diapason des aspirations populaires. Ainsi la révolution, parmi ses diversions, elle crée aussi de l'opportunisme, du pur. On y verra des personnalités de tout bord, venir et acclamer, maintenant tout haut leur désaccord, opposition à un régime parti, et auquel ils n'avaient rien fait auparavant pour qu'il disparaisse. La situation restera fort compliquée avec l'ouverture de tous les appétits hydrocarbures possibles des grandes puissances. La diplomatie assistée et téléguidée s'est déjà mise en route. Mais aussi l'économie, on commencera à se bousculer devant les ports de Benghazi, de Syrte et de Tripoli. Les quais se rempliront de matériels destinés à la reconstruction de l'infrastructure disparue. Les bons de commande vont créer les yeux doux.

C'est aussi par devant une soif ardue de liberté et de démocratie, qu'on voulant y boire, que le pire puisse arriver. Ce pays abrite dans ses soubassements de nombreuses cellules dormantes toute idéologie confondue. La plus virale reste, en toute évidence la constance islamiste. Elle vient d'être ardemment soutenue par le président du CNT. Abdeljalil, ce monsieur, Taleb d'une zaouïa, entonne déjà l'ossature de l'Etat qui se dessine. Un Etat théocratique, où seule la loi coranique a droit de cité, en donnant l'exemple de la polygamie à réinstaurer, devait-il dire, avant de se dédire 24 heures après ; lors de la fête de la « la libération totale » organisée à Benghazi (pourquoi pas à Tripoli capitale du pays ?) ca commence l'instinct tribal et grégaire que Kadhafi avait su faire taire des années durant. Une nouvelle forme, sous une autre édition du livre vert va naitre : la démocratie tribale. Ce sera la dictature des tribus les plus en vue. L'occident commence à prendre un air frileux et la peur commence à le gagner. La Tunisie vient de décréter électoralement la mainmise des islamistes. En Libye les concessions primaires sont l'ouverture et le départ vers l'incertitude de malheureux lendemains. Les règlements de compte au sein de la rébellion vont-ils fragiliser La cohésion de façade recommandée par la nécessité d'une opposition forte et soudée ? Le CNT se trouve en fin de ce premier round de la révolution dans une zone de turbulence très dangereuse. Déjà l'assassinat non élucidé de l'ancien patron militaire des rebelles Younes tué dans des circonstances vaseuses après avoir été rappelé du front pour un interrogatoire à Benghazi. 4 jours après l'assassinat du colonel, ils (les membres du CNT) promettent de constituer enfin un gouvernement. Paroles, paroles. La sociologie locale basée essentiellement sur le délicat équilibre tribal et régional demeure très présente dans les futures tractations politiques. La bagarre sera rude entre partisans, courants idéologiques, tribus, aigris, rebelles. L'esprit d'allégeance ou de divergence avec la « révolution » fera le poids et la faiblesse des uns et des autres. Déjà le président transitoire promet des allocations aux rebelles. Et les autres ? La majorité silencieuse, la population désarmée ? Quel rôle aura, cet ex-chef et futur chef terroriste Belhadj ? Les libyens connaitront, hélas les faux barrages, les assassinats collectifs et toute la panoplie de la haine et de la violence. Il sera difficile d'accroitre les potentialités de réussite des objectifs de la révolution. Quant à la femme libyenne, elle ne pourra gouter au parfum de la liberté voulue et convoitée. Elle se limitera à une entité sociale, devant par démocratie voter et être élue. Pas plus avec un tel Abdeljalil. C'est vrai qu'en Libye la peur gagnait toutes les bouches. Cette peur était visible et audible. Le régime sévissait à l'ombre comme un fantôme. L'on le voyait partout et nulle part. Il avait ses oreilles, ses yeux dans le même corps social. La trouille se voyait s'ériger comme un management de gestion adoucissante des foules. Mais cette peur, ce sont tous les peuples arabes en vérité qui la vivent. Elle emplit l'être arabe de l'écran de sa TV, à son école ou université jusqu'à dans ses écrits, paroles et œuvres artistiques ou littéraires. A-t-on vu, un poète faire des odes à la faveur de Sarkozy ? Ou bien la France n'a plus de poètes ? « El jamahiria » diffusait à longueur d'audition des romances panégyriques et louanges au seul guide.

L'INCERTITUDE LIBYENNE PESE AUSSI SUR L'ALGERIE

Le traitement réservé au colonel pris en position de combat a quand bien même suscité de l'émotion, du moins de la clémence. Nous nous connaissons un peu la chose. Sinon autrement dit, l'Algérie aurait bien pesé cette prudence. Refuser de reconnaître initialement à ses débuts le CNT n'était finalement pas une maladresse d'appréciation. Même si en restant intransigeante dans sa politique étrangère, elle n'avait pas clos cependant le fil de discussion avec ceux qu'elle savait être les futurs maitres de la situation. Aphasique, peu bavarde sur le sujet et munie du principe de la neutralité à la naissance du conflit ; elle s'est épargné de la sorte les foudres et probablement les réprimandes d'un guide en perte progressive de toute légitimité. Elle savait que le délire du colonel harcelé et pris sournoisement en tenaille pouvait bien déverser l'ironie et l'amalgame. Il a bien proféré des vérités ou des mensonges à propos de chefs européens. Le financement de la campagne de Sarkozy, les scandales de Berlusconi, les origines d'Obama. Il pouvait parler de la révolution algérienne, la mettre en cause, déterrer quelques échauffourées, divulguer quelques discrétions de palais, narrer des anecdotes imperceptibles. Une chose reste certaine pour le CNT c'est que le peuple algérien à travers, ses journaux, ses mails, et toute autre forme d'expression non gouvernementale s'est démarqué de la position officielle, qui prônant la prudence s'est retrouvée dans un excès dangereux et par conséquent avait marqué sa sympathie pour les révolutionnaires jusqu'à ce jour fatidique où tout a basculé. Ce CNT sait aussi le statut de l'Algérie dans la stabilité de la région.

Cependant, depuis le prélude de la guerre de Libye en février 2011, conflit dans lequel l'Otan est le principal belligérant, le statut géostratégique de l'Algérie demeure situé dans une notion aléatoire, voire menacé. Le bombardement des dépôts d'armes et de munitions de l'armée libyenne par les forces aériennes et navales de l'OTAN et leur pillage par les rebelles dont des membres de l'organisation terroriste AQMI a entrainé un accroissement comminatoire et pesant des armes conventionnelles en Libye et au Sahel. Le brouillard et l'anarchie qui sévit en ce pays constitue non seulement pour l'Algérie mais aussi pour les autres pays limitrophes, un danger permanent et pérenne tant des armes de valeur destructrice sont à l'air libre. Ceci les grandes puissances l'ont bien compris. Donc la position algérienne est réfléchie et se doit d'interférer tactique diplomatique et intérêt vital quant à la protection territoriale. Maintenant que les choses se tassent et se décantent, la diplomatie en ses lettres de noblesse reviendra à ses pas ordinaires du bon voisinage. Le secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires du proche orient des Etats Unis d'Amérique Jeffrey Feltman, lors de sa récente visite à Alger, n'a pas manqué de rappeler l'importance de la partie algérienne dans le traitement des effets du conflit libyen.