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Une fitna faite femme

par Abdou B.

« La femme, dans les ménages pauvres, c'est l'économie, l'ordre, la providence ». Michelet

Si les choses prennent de l'ampleur et de la vitesse dans la société, la jeunesse, qui contestent et se battent aux côtés des salariés, des retraités, la classe politique, à part une ou deux exceptions, est obnubilée par les seules législatives, prélude aux présidentielles. Le prochain scrutin, en termes de quotas, de la comptabilité de supérette à l'APN, est la fixation terminale de la majorité au Parlement, toujours aussi volatile que contradictoire. Sa navigation à vue a comme programme une calculette, le décompte de ralliés locaux et l'attachement au programme présidentiel, pourtant trahi chaque jour pour ce qui est des réformes politiques et la place de la femme dans le pays.

«Faites vos jeux», semblent nous dire des chefs qui ont une trouille bleue d'affronter des urnes même biseautées. Les citoyens se battent et souffrent dans des conditions où cohabitent un zeste d'état d'urgence, la pensée unique, la chasse aux cultes, aux idées, aux expressions différentes, livrés à des fetwas surréalistes d'ignorants encore à l'analogique politique. Des hommes, qui n'ont connu ni de près ni de loin la dureté de la guerre d'indépendance, pérorent dans la pire tradition populiste sur « la repentance », comme si le prix payé était leur monopole et qui sont ignorés avec superbe par la jeunesse qui vit par procuration sur le net, sur des barques mortelles, les bonheurs que donne à ses citoyens l'ancienne puissance coloniale.

L'imam du coin, rémunéré et dissident vis-à-vis de sa tutelle, rame pour la ramener dans son droit chemin à lui, sauf à délivrer, ce que font certains, un visa pour le paradis ! Mission impossible ! Mais on s'entête dans l'indifférence, sinon la complicité d'appareils officiels et de clercs soudain aphones lorsqu'ils sont en poste, à la recherche d'un décret ou en plein désarroi devant un pays bien compliqué.

D'un côté, il y a M. Bouteflika qui veut donner le signal pour des réformes démocratiques à même d'ouvrir un autre chemin pour le pays. De l'autre, il y a pêle-mêle le scepticisme d'opposants échaudés, de commentateurs, et la valse-hésitation de sa propre majorité qui s'emmêle les pinceaux en bricolant des lois en allant à la Mecque (promotion oblige !) avec des dissidences internes et d'incompréhensibles discours qui tournent autour de sièges à vendre à l'APN. On parle même de la femme qui serait responsable d'une fitna si le quota voulu par le Président est voté. Mêler le religieux, le charlatanisme et la haine du genre féminin à la politique, c'est vouloir avec force l'archaïsme et la régression pour le pays. Et ce au moment où les grandes nations tutoient l'espace, informatisent toute la vie quotidienne et s'attaquent aux nouvelles énergies.

La fébrilité s'empare des appareils d'un Etat de plus en plus peureux. Des gorges peu profondes annoncent des changements systématiques opérés par M. Bouteflika.  Celui-ci peut le faire, imposer des lois et ouvrir l'audiovisuel à côté d'un grand groupe public et faciliter des élections ouvertes, propres et bénéfiques pour le pays. De véritables réformes sincères ne peuvent cependant s'accomplir qu'avec des réformateurs. Cette démarche apparaît vraisemblable à la lecture des communiqués des Conseils des ministres du 2 mai et 28 août 2011 signés par le premier magistrat en personne. Avec l'accord, silencieux, si peu sincère des partis de l'Alliance et si peu commentés par la presse privée. Et ce n'est ni neutre ni désintéressé. Et il faut toujours ne pas attendre des analyses sur la base de convictions de la foule de «conseillers», «d'experts», «d'hommes de culture » dont la «neutralité» bien intéressée concerne aussi bien le FFS, le PT, M. Bouteflika, que tout le spectre politique. Pour ces rentiers BCBG, le credo est simple : ne jamais s'impliquer, n'avoir aucune conviction et regarder les Algériens se « dépatouiller » entre eux. Ils se sont ni pour ni contre M. Bouteflika, n'ont aucun avis sur les partis et l'avenir du pays. Ils encaissent pour être au-dessus de tous, en se ménageant d'éventuels contrats avec des organisations internationales, qui pourtant n'exigent aucune clause de neutralité « interne ».

A ce moment important pour le pays, il faut le redire sans cesse. De pseudo-élites, des « conseillers » bidons citent de grands hommes de culture (théâtre, cinéma, musique, littérature, etc.) de toutes les nationalités. Or, ces derniers, à propos de leurs pays et du reste du monde, ont toute leur vie crié des convictions, des choix politiques, des lignes idéologiques au péril de leur carrière, de leur sécurité. Chahine, Visconti, Godard, Neruda, K. Yacine, Picasso, Sartre, Aragon, Alloula, Djaout, Coppola, A. Zaoui, Boucebci, T. Ouattar, chacun dans son art, avaient et annoncent toujours la couleur. Quel que soit leur penchant, comment ne pas saluer leur engagement, comparé aux autruches qui fleurissent ? Ces noms sont souvent utilisés comme des masques étriqués des laudateurs courtisans fascinés par la proximité d'un centre de décision, aussi minuscule soit-il. Etre veule, avoir l'échine souple, une triple nationalité, ce sont là les cartes maîtresses de joueurs qui ne misent jamais ce qu'ils n'ont pas d'ailleurs.

Les incohérences de « la politique » industrielle, du champ économique, du stérile combat entre les secteurs public et privé, d'une gestion plus proche de celle du P.C.U.S. que de celle de la Chine actuelle, sont brocardées chaque jour par des compétences non partisanes, scientifiquement. De son côté, l'opposition, à part une ou deux exceptions, s'enferme dans la pratique du tir à vue sans propositions sérieuses et surtout sans penser à se fédérer. Les ego sont rois et les Algériens regardent ailleurs.

Le quota pour les femmes n'est pas du goût d'une partie de la majorité, accompagnée par des opposants, objectivement. Le nomadisme politique ne dérange pas tellement la classe politique. Si le quota pour les femmes n'est pas soutenu massivement par les élites, les experts qui pensent être crédibles, les républicains, ce n'est pas M. Bouteflika qui en paiera les frais, mais ce sont surtout les femmes et l'avenir du pays. Ne pas initier des débats, partout, sur l'avenir de l'audiovisuel, des industries culturelles, c'est bloquer les réformes.  

Ces exemples, parmi des dizaines sur lesquels l'opposition et les rentiers gardent le silence, qui en fait renforce les tenants rétrogrades et obscurantistes, font d'eux les alliés objectifs de ceux qu'ils critiquent par ailleurs. Il est tellement facile de se draper d'un «non» ferme à tout, sur tout. Il est plutôt difficile d'animer les débats, de séparer le bon grain de l'ivraie. Le taux avoué d'abstentions aux dernières législatives renseigne sur toute la classe politique qui ne veut pas réformer et encore moins faire jouer l'alternance en son sein, démocratiquement, sans aucune « main de minuit » dans les urnes. C'est plus facile de psalmodier un niet qui a l'air d'être programmé sans réflexion derrière, que d'aller vers le pays avec des programmes crédibles, alternatifs et surtout réalisables.