Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La gestion des déchets à la poubelle

par Abdesselam Kadi*

La plupart des citoyens, après s'être débarrassés de leurs déchets ménagers, ne se soucient pas ou peu de leur devenir. Pourtant, l'élimination de ces déchets pose des problèmes de nature socio-économique, épidémiologique, esthétique et politique.

Les déchets ménagers passent par plusieurs étapes pour arriver aux lieux d'élimination. Nous pouvons distinguer quatre étapes du produit jusqu'à sa disparition en principe : la pré-collecte, la collecte, le transport et le traitement. Quelques mots pour décrire les déchets ménagers de l'Algérie qui sont de trois types :

-Les déchets ménagers ou ordures ménagères qui sont composés de matières combustibles, inertes et putrescibles. Ils résultent de la vie et de l'activité des ménages. Sur le plan administratif, les déchets ménagers renferment toutes les ordures dont l''évacuation et l'élimination sont assurées par la municipalité. Leur volume augmente plus vite que leurs poids car les emballages sont de plus en plus dominants et aussi plus légers que les matières inertes et putrescibles.

-Les déchets encombrants qui renferment les cimetières monstres de véhicules hors service et aux dépôts de ferrailles abandonnés.

-Les déchets industriels contenant les déchets des différentes branches de l'industrie (textile, matériaux de construction, papier, verre, etc.), les gravats, les résidus de carrières qui sont en croissance continue du fait de la croissance des P.M.E., mais échappent à tout contrôle et évaluation. On peut les diviser en deux grands groupes : celui des déchets dangereux et celui des déchets encombrants et inesthétiques. Le premier inclut les huiles, les goudrons, les bains usés de teinture et de traitement des métaux et les résidus chimiques. Il nécessite la mise en œuvre de moyens spéciaux de traitement. Le second rassemble les déchets inertes (déblais, laitiers, etc.), les déchets non inertes (plastiques, caoutchouc, fermentescibles) et les déchets industriels (emballages, chiffons, déchets de cantine, etc.). A côté de ces deux principaux groupes, il y a aussi les déchets du secteur tertiaire (commerces, hôpitaux, administrations, sociétés) et du secteur primaire (agriculture). Les déchets des hôpitaux sont plus préoccupants en raison du danger qu'ils suscitent pour la santé publique (pansements, gazes, produits de soins, déchets anatomiques) avec en particulier, possibilité de contamination de sujets sains. Les déchets du secteur agricole sont aussi variés. Ils contiennent les déchets de l'élevage et les restes des produits utilisés par l' agriculture. Les déjections solides et liquides des animaux sont considérables surtout avec le développement de l'aviculture.

La composition des déchets solides dans le pays est très hétérogène. Elle reflète un mode de vie, une situation géographique, une certaine activité, des habitudes et un niveau de vie. En 1979, la Direction du Génie de l'Environnement de l'Ecole Polytechnique de Lausanne en Suisse, avait étudié les ordures algériennes afin de connaître leur composition et de définir leurs caractéristiques. La composition et les caractéristiques des déchets revêtent une importance pour la gestion. La composition nous permet de penser aux méthodes de la récupération. Les caractéristiques déterminent le mode d'élimination des déchets. L'étude suisse des ordures en Algérie a conclu que 65 % du total constituent les matières organiques, 1,5 % les matières inertes, 4,8 % les textiles, 16,7 % le papier et le carton, 4,9 % les plastiques et 4 % les métaux. Nous n'avons pas pu avoir d'autres données récentes. Mais apparemment, le papier, le carton et les plastiques ont augmenté. A titre de comparaison, les déchets de la Belgique sont composés pour 48 % de cendre, 3 % de verre, 2,5 % de métaux, 23 % de matières organiques, 20, 5 % de papier et 3 % divers. Bref, ce qu'il faut retenir, c'est que les déchets de l'Algérie (pays en développement) sont plus humides que les déchets des pays européens (pays développés). Par conséquent, l'Algérie doit écarter les modes d'élimination de l'incinération et du compostage. Les déchets de l'Algérie ont un pouvoir calorifique inférieur (PCI) et donc brûlent très mal pour envisager l'incinération ou le compostage. Il reste une seule solution économique et adaptée aux ordures ménagères de l'Algérie: la décharge contrôlée. En ce qui concerne maintenant les étapes par lesquelles le produit passe de l'habitant jusqu'au lieu d'élimination:

-La pré-collecte ou le stockage des déchets est la première opération effectuée par les habitants. Les déchets produits sont enfermés dans des sacs et déposés en bas des immeubles. Des grandes poubelles en plastic sont mises à la disposition des habitants. A côté de chaque bidonville, un container est prévu à cet effet.

-La collecte dans les chefs-lieux est faite journellement. Dans les espaces ruraux, cela dépend de la disponibilité des moyens, e, moyenne, elle de fait tous les deux ou trois jours. Les espaces urbains comme les ruraux sont divisés en secteur. Un personnel est composé de chefs de secteurs, de chefs d'équipes, de collecteurs, d'agents de nettoiement et de chauffeurs. La collecte est assurée par des bennes tasseuses et des camions plateaux. Mais dans les noyaux historiques comme la Casbah d'Alger et 'les anciennes villes comme Constantine, les véhicules n'ont pas d'accès, la collecte est assurée par des mulets. Ils assurent le transport entre les habitations des anciennes villes et les containers de transition disposés aux alentours sur des voies d'accès à la ville. Les conditions dans lesquelles la collecte se déroule sont lamentables sinon alarmantes face à l'urbanisation sauvage qui sévit dans le pays. Les poubelles et les containers débordent, les sacs qui doivent normalement être hermétiques jonchent les trottoirs, les rues, les ordures en vrac inondent les escaliers des immeubles, les places publiques et les voies de circulations si bien qu'on assiste à l'accumulation sauvage et à l'envahissement des détritus et aux dépôts qui brûlent. Cela ne manque pas d'attirer les animaux errants et notamment les chiens, les chats et les rats dont la croissance est ahurissante. On réalise les dangers potentiels réels qui menacent la santé des habitants en plus de la laideur du spectacle qui constitue un repoussoir pour les visiteurs. Le tonnage de ces déchets doit être important mais comme il y a impossibilité de connaître le volume exact, nous ne pouvons donner des chiffres fiables. En principe, il y a deux sortes de déchets, les biodégradables et les non biodégradables. Les biodégradables sont composés essentiellement de matières organiques et les non biodégradables de plastic, de verre, de métal, de porcelaine, de caoutchouc, etc. Le poids spécifique ou la densité est aussi une caractéristique essentielle à connaître, car elle aide à prévoir en fonction du volume, les lieux de stockage, la capacité des poubelles, des véhicules de transport de déchets et enfin la dimension des lieux de traitement s'il s'agit de décharge contrôlée. Il est à déplorer l'insuffisance du matériel de la collecte nonobstant l'importation d'une grande quantité de véhicules spécialisés.

Les coûts de la collecte sont plus importants que les coûts de la destruction. Les prix de revient de la collecte sont très difficiles à évaluer en l'absence d'une politique de l'Etat qui n'encourage pas les études pratiques dans ce domaine. Ces prix dépendent du type d'habitat qui est très varié en Algérie, de la circulation routière, de l'état des routes, des voies d'accès aux quartiers, de la topographie des lieux, de la densité de l'habitat, du remplissage des bennes et en plus la matériel de transport est importé en devises. L'évaluation exacte est difficile mais possible. Les variables sont multiples et aussi différentes d'un lieu à un autre. Ces coûts n'ont jamais fait l'objet d'une comptabilité spéciale par poste et par secteur. Aucune étude n'a été faite jusqu'à nos jours, ce qui est regrettable. Pourtant, il ne manque pas de jeunes financiers frais émoulus de l'université algérienne qui sont à la recherche d'un travail. En 1985, R. Gillet, chercheur français a évalué la collecte d'une tonne de déchets en Algérie entre 80 et 210 D.A. Une bonne gestion des déchets nécessite la connaissance du prix de revient de la collecte afin de prévoir une planification rationnelle à tous les niveaux.

Dans toute l'Algérie, des décharges sauvages poussent comme des champignons notamment avec la construction des bidonvilles autour des grands centres urbains. Les déchets sont déposés dans les soi-disant décharges contrôlées qui n'ont en réalité de contrôlées que le nom. Ce sont des décharges publiques brutes où les engins ne font qu'étaler les déchets quand ils commencent à s'élever en monticules. Généralement, la destruction des déchets se fait naturellement. Ils sont le siège de fermentation aérobie et anaérobie. La première fermentation se produit dans les quartiers supérieurs ou suffisamment aérées, la seconde au sein de la masse moins accessible à l'air ambiant. Dans le processus aérobie, la dégradation s'accomplit sous l'action des différents micro-organismes. Ces derniers utilisent directement l'oxygène de l'air et se développent aux dépens de substances nutritives qu'ils puisent dans les ordures. Cette réaction est exothermique. C'est ainsi que nous constatons une élévation de température au niveau d'une décharge. Dans le processus anaérobie, les micro-organismes se développent et agissent en l'absence d'oxygène. Pour se procurer l'oxygène indispensable à la fermentation, ils doivent opérer une réduction de la matière organique existante. Cette fermentation dégage du méthane qui au contact de l'air brûle et c'est ce qui explique les fumées dans toute décharge dans laquelle les ordures sont livrées à elles-mêmes. Les coûts de destruction sont plus faciles à saisir mais en ce qui concerne le mode de destruction en Algérie qui est la décharge sauvage ou à la limite la décharge publique autorisée, cela ne vaut pas la peine de les connaître tant que nous n'avons pas de véritables décharges contrôlées. La décharge contrôlée est apparue la première fois en Grande Bretagne après la première guerre mondiale. En gros, les déchets sont mis en décharge sur un site loin des lieux d'habitation en couches successives relativement épaisses (2 M environ). Des engins de travaux publics nivellent ces couches et les limitent par des talus réglés pour qu'elles ne se découvrent pas par les pluies. Elles doivent être bien compactées et ne laisser aucun vide faute de quoi l'air peut provoquer des incendies. Les couches compactées sont recouvertes par un matériau inerte en fin de journée. L'ouverture des décharges contrôlées doit être prévue pour au moins vingt ans d'exploitation en vue de rendre le site à son milieu naturel et en choisir un autre selon les normes de l'O.M.S.

L'échec ou la réussite d'une collecte de déchets ménagers dépend en partie de la bonne volonté des habitants. Une participation active de leur part mène la collecte au succès. Malheureusement, les Algériens sont complètement insensibles aux problèmes des déchets. Une grande fraction de la population ignore même qu'elle est responsable de la production d'une certaine quantité de déchets par jour en dépit de l'envahissement des villes et des campagnes. On se soucie beaucoup moins des ordures que l'acquisition et la consommation des biens. Il y a un problème d'information et de sensibilisation. Les autorités communales sont trop éloignées du peuple. Les échanges ne se font pas entre les gouvernants et les gouvernés par l'intermédiaire des députés communaux. Ces derniers sont en général choisis parmi les analphabètes ou ceux qui savent à peine lire et écrire, de sorte que leurs assemblées ne sont que des chambres d'enregistrement des décisions prises au niveau des communes d'ailleurs comme les élus des deux chambres de l'Assemblée Nationale. Ces élus ont au mandat déterminé, ils s'arrangent pour se faire une bonne retraite tant qu'ils ont le pouvoir. Il en résulte une réaction négative de la population noyée dans ses problèmes quotidiens. Le lecteur comprendra les raisons de la non contribution des citoyens à la collecte et aussi l'inefficacité de l'information quel que soit son niveau (médias, publicité, etc.). Nous devrions avoir une pensée envers ce personnel communal qui veille à la propreté de nos villes. Ces citoyens et dans le cas des noyaux historiques du pays avec leurs animaux, font de réels efforts pour garantir la propreté et le nettoiement contre un salaire insultant et des conditions de vie déplorables. Bien que permanents, ils ne sont confirmés qu'après plusieurs années de travail. Ils ne connaissent pas de retraite. Pour eux le travail prend fin avec la mort. Les responsables communaux de l'hygiène ne se rendent même pas compte de leur disparition. La tâche d'éboueur tend à disparaître. Les autorités en sont responsables. Ces citoyens qui manipulent les ordures avec tous les risques qu'elles présentent et en permanence ne subissent presque jamais d'examens médicaux préventifs.

La tâche d'éboueur est non seulement dévalorisée par les autorités mais aussi par le public. Si la tendance actuelle persiste, il n'y aura plus personne pour s'occuper du nettoiement, de la collecte et de la destruction des déchets. Les dépenses publiques du secteur des déchets ménagers ne sont pas bien connues d'où une mauvaise gestion des déchets ménagers en Algérie.

*Docteur d'université, ancien cadre de la SNTF