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La Palestine à l'ONU: Une avancée, vraiment ?

par Brahim Senouci

Il semble bien que l'Autorité palestinienne ait enfin réussi à lancer un projet fédérateur. Abandonnant son sempiternel masque de découragement, Abbas a réussi à retrouver une vigueur inattendue! Voilà qu'il arrive à s'opposer à Obama, Sarkozy, Cameron, en maintenant (pour l'instant...) sa décision de présenter à l'ONU la demande de reconnaissance et d'admission d'un État Palestinien en son sein. Cette démarche pose quelques questions.

Quel en serait le bénéfice pour la Palestine?

Des dizaines de résolutions onusiennes appellent à la création d'un État palestinien. La résolution 181 prévoit même de manière explicite l'établissement de cet État sur... 46 % de la Palestine mandataire. Aucun pays au monde, pas même Israël!, ne s'oppose à l'officialisation de son existence. Ce n'est donc pas la légitimité de l'État qui pose problème mais sa forme, son indépendance, sa viabilité, la question des réfugiés, de Jérusalem, des colonies. Ce sont ces questions qui sont restées en suspens en raison de l'intransigeance israélienne. Plutôt que de tenter de les contourner par une manœuvre un peu pathétique, ce sont ces problèmes qu'il faut soulever dans le même temps que l'Autorité doit afficher son intransigeance sur leur règlement.

En réalité, l'Autorité reste bloquée dans le piège dans lequel l'OLP s'était enfermée à Oslo. Son but est de retrouver la table de négociations pour une nouvelle discussion sans fin (un Etat Palestinien dans moins de 50 ans, vient de déclarer un responsable israélien!). Il faut en effet donner l'illusion du mouvement, d'un pas de deux destiné à l'opinion pour lui montrer que les négociations avancent. Il faut aussi convaincre cette même opinion que la longueur des conversations est liée à l'extraordinaire complexité du problème et non à la mauvaise volonté de la partie israélienne. C'est un problème d'une rare complexité en effet que de discuter de colonies quand, dans le même temps, la partie occupante est autorisée à les étendre, à faire semblant de négocier le statut de Jérusalem alors que les occidentaux s'apprêtent à y transférer leurs ambassades, reconnaissant ainsi de fait son annexion par Israël. Et que dire des réfugiés, ces laissés pour compte qui constituent la majorité de la population palestinienne. Ils sont présents aussi dans les négociations, comme ils l'étaient à Camp David, Taba, Wye River... (le seul mérite de ces négociations sans fin est de nous faire voir du pays!) mais c'est pour exclure toute solution pourtant fondée sur le droit humain le plus imprescriptible, celui de retourner vivre là d'où on a été chassé.

Si on était un mauvais esprit, on peut se demander où était passée sa détermination quand Abbas a accepté de demander à surseoir à la présentation du rapport Goldstone devant les Nations Unies.

L'Autorité était absente de Gaza au moment où le territoire était dévasté par les bombes au phosphore israéliennes mais il lui incombait donner des suites diplomatiques à ce rapport, puisqu'elle est le seul représentant internationalement reconnu du peuple palestinien. Or, au lieu de profiter de la présentation du rapport au Conseil des droits de l'homme, basé à Genève, pour proposer une résolution demandant l'examen du texte par le Conseil de sécurité des Nations unies, l'instance suprême de l'ONU, l'Autorité palestinienne a annoncé début octobre 2009 qu'elle proposait un report de la discussion du texte à? mars 2010. Elle a ainsi présidé à l'enterrement d'un rapport sur le martyre d'un peuple dont elle est censée avoir la charge, qu'elle est censée protéger et dont elle est censée faire prévaloir son droit à l'autodétermination,

Bassem Khoury, à l'époque ministre de l'Économie du gouvernement palestinien, explique cette surprenante décision par une intense pression israélienne et occidentale exercée sur Mahmoud Abbas, avant de démissionner en signe de désaccord.

Quels étaient les termes de la pression en question?

Les mêmes que d'habitude... Israël, ayant rejeté le rapport Goldstone, avait menacé de ne pas reprendre le processus de paix si les Palestiniens persistaient dans leur intention de demander une saisine du Conseil de sécurité. En effet, seule cette instance est habilitée à saisir la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour faire juger les crimes de guerre d'Israël qui n'était d'ailleurs pas le seul pays hostile à cette très hypothétique éventualité : c'est le cas des États-Unis et de la France qui estimaient que la menace de la justice internationale pourrait gêner un retour à la table des négociations. Richard Goldstone s'est depuis quelque peu ravisé, victime lui aussi de pressions insupportables. Qui pourrait garantir que l'attitude de l'Autorité Palestinienne n'est pour rien dans son recul ?

De la même manière, l'initiative onusienne de l'Autorité Palestinienne n'aurait-elle pour finalité que de « contraindre » Israël à revenir à la table des négociations? Probablement. C'est vrai qu'une reconnaissance par l'Organisation des Nations Unies de... ses propres textes, puisque c'est cette institution qui a décrété l'avènement d'un État Palestinien sur près de la moitié de la Palestine historique, aurait pu avoir un aspect symbolique important. Autre chose? Certains commentateurs font miroiter les avantages de disposer d'un siège aux Nations Unies. Ils citent entre autres la possibilité de saisine de la Cour Pénale Internationale. Outre le fait qu'une telle saisine se heurterait inévitablement au veto étasunien, il faut rappeler que la Cour Internationale de Justice a accepté en 2004 la recevabilité d'une plainte introduite par l'Autorité Palestinienne, plainte concernant le Mur. L'Avis qu'elle avait rendu le 9 juillet 2004 condamnait, non seulement le Mur en appelant à sa destruction et au dédommagement des palestiniens qui en ont souffert, mais aussi l'ensemble de la politique de colonisation israélienne. La Cour Internationale de Justice est soumise aux mêmes règles de saisine que la CPI. Elle ne peut en théorie instruire que des plaintes émanant d'États; elle a décidé de traiter la Palestine comme un État...

Il y a tout de même un mérite à cette initiative. Elle permet de faire tomber les masques et de montrer à l'opinion publique qui sont les vrais ennemis de la paix, ces parlementaires français ou étrangers, ces bateleurs d'estrades, ces intellectuels de pacotille qui ne veulent pas entendre parler d'un État de Palestine. Certains retrouvent même des accents Bushiens pour y voir une opération... terroriste! Il y a aussi des pays occidentaux qui se sont promptement lancés au secours du peuple libyen et n'ont pas hésité à faire donner les canons pour préserver la démocratie et les droits de l'homme dans ce pays. Il y a comme un écho aux slogans qui ont rythmé l'équipée de Bush en Irak. Ces mêmes pays refusent aux Palestiniens ce que le droit international leur octroie. Ce droit international a été pourtant injuste envers ce peuple puisqu'il l'a légalement privé de près des quatre cinquièmes de sa patrie historique. Ce même peuple, taxé souvent de terroriste, a accepté ce verdict au nom de la paix. Pourtant, la demande d'édification d'un État sur la portion congrue de territoire qui leur est théoriquement assignée par le droit internationale lui est refusée.

La France propose un statut analogue à celui du Vatican, un statut d'observateur en quelque sorte qui permettrait aux diplomates palestiniens d'assister aux premières loges au repas des fauves dont leur pays constitue le plat principal. Juppé prévient que le processus sera long, très long, plusieurs semaines... L'admission du Sud Soudan à l'ONU a été réglée en quelques heures...

Et demain?

Selon toute probabilité, la demande palestinienne sera rejetée, à moins que l'AP accepte de modifier son texte. On pourrait lui demander de faire l'impasse sur les références aux frontières de 1967, sur Jérusalem, les colonies... Cela pourrait s'avérer insuffisant pour obtenir le statut d'Etat membre de l'ONU qu'elle souhaite mais pourrait lui permettre de se retrouver, comme larrons en foire, face à Netanyahu et ses acolytes, pour un énième round de négociations qui permettrait à ces derniers de finir de coloniser la Palestine en toute tranquillité.

Peut-être Abbas trouvera-t-il la force de refuser cette logique de mort pour son peuple? Peut-être réalisera-t-il enfin que la solution n'est pas dans le recours à des institutions tenues par les amis de son ennemi? Le mieux qu'il aura à faire alors est de passer la main à des patriotes dont la Palestine ne manque pas, patriotes qui mèneront le combat en étant adossés au seul allié qui ne leur fasse pas défaut, l'opinion publique internationale.