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Confidences d'un maître incontesté de l'andalou, Sid Ahmed Serri: «J'ai enregistré tout ce que j'ai appris»

par Notre Envoyée Spéciale A Tlemcen: Ghania Oukazi

Sid Ahmed Serri était heureux hier de se retrouvé entouré par des élèves qui lui font rappeler les plus beaux moments de sa vie de maître du chant andalou.

Le grand maître de la Sanaa d'Alger ne se fait pas prier pour parler de sa brillante carrière de chanteur andalou. Rencontré mardi au détour de la maison de la culture Abdelkader Alloula de Tlemcen, Sid Ahmed Serri semblait heureux de visiter les lieux avec l'un de ses élèves «éclairés», Brahim Beladjreb, président de l'association El Fen El Açil de Koléa. Il était aussi accompagné par un élève bien plus jeune que le premier, mais très atypique. Mourad Ouamara a été élève de Serri entre 1972-1973, sur une courte durée certes, quoi qu'il en a été marqué à vie. Ce qui fait de lui un personnage atypique c'est qu'il a su concilier deux choses que de forts courants idéologiques ont tout fait pour éloigner ou neutraliser l'une par l'autre. Il a su être en même temps musicien et prêcheur dans les mosquées. «Je ne me produis pas sur scène mais je continue à m'intéresser à la musique andalouse au niveau des trois écoles», nous a-t-il dit hier. Il a d'ailleurs contribué à la préservation de ce patrimoine en procédant à la transcription d'un de ses volets dans un document réunissant les trois écoles. Il suivra ainsi la tradition de certains hommes de culte qui ont joué un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine musical profane.

Au fur et à mesure qu'il évoquait ses souvenirs, Serri scrutait le moindre détail des photos accrochées sur les murs de la salle de l'exposition «Nouba». Une salle bien exiguë certes, mais ses murs renvoyaient les portraits des grands maîtres qui ont marqué les trois écoles de la musique andalouse algérienne, la Sanaa de Tlemcen, la Sanaa d'Alger et le Malouf de Constantine. «C'est la première fois dans l'histoire de la musique andalouse qu'un espace commun réunit tous ces maîtres en même temps», a lâché l'autre élève de Serri, Farid Bensarsa, qui venait d'arriver de Paris où il dirige une école de musique. Il est vrai que les mchaeikhs sont tous revenus cette semaine à Tlemcen, dans cet espace chaleureux, sur un fond noir et blanc, parfois avec leurs amis, leurs élèves ou même leurs familles. Seulement la disposition de leurs photos n'a pas été faite, dit-on, selon l'ordre chronologique de leur «apparition» sur la scène musicale au temps où ils l'animaient avec toute l'élégance qui sied à leur personne et aux noubates qu'ils exécutaient. «Je ne comprenais pas pourquoi on avait éloigné ma photo de celle de mon maître Abderrezak Fakhardji», nous a avoué Serri avec qui nous avions fait le tour de l'exposition. Ayant présidé l'un après l'autre El Mocilia, les deux virtuoses, Mohamed, grand frère d'Abderrezak, inspiraient un profond respect à Serri. Il en a gardé un souvenir éternel.

Serri s'était prêté avec beaucoup d'aisance et une grande simplicité au jeu des questions-réponses que nous avons engagé avec lui. «C'est mon maître. Incontestablement !», disait-il d'Abderrezak Fakhardji décédé en 1984. Il n'est pas le seul à relever des coquilles au niveau de l'exposition-photos des maîtres de l'andalou. «Les légendes en bas des photos sont parfois fausses, en plus, les organisateurs ont fait l'impasse sur tout un pan de l'histoire de ce riche patrimoine, comme par exemple celui en relation avec la Mésopotamie, ce qui est aberrant», nous disait mardi soir un spécialiste du domaine. Plus désolant encore, est que Ziryab est présenté sur une fiche, entre autres faits qu'il ait été un grand musicien, comme ayant des goûts d'une cuisine raffinée à l'exemple de «Zeryabiate», une sucrerie plus connue chez sous le nom «Zlabia»?

«Je n'ai pas fait de folies?»

Serri se rappelle d'infimes détails de sa vie artistique même s'il se plaît à répéter qu'il a vieilli. Du haut de ses 86 ans, Dieu merci, le Maître respire une santé physique et morale d'une pureté absolue. «Je n'ai pas fait de folies, j'ai préservé ma santé », dit-il en riant et en notant qu'il n'a pas été très adepte des soirées et en rappelant, avec une pointe de regret, qu'il a commencé à faire de la musique «très tard» à 19 ans. Pourtant, il avait baigné dès son jeune âge dans le monde artistique. «Mon grand père paternel était le guide des Aïssaoua», nous a-t-il confié. Une fois inscrit à l'école coranique, Serri alors enfant -la dizaine d'années- a appris à lancer l'appel à la prière du haut du minaret de Djamaa El Kebir. «Tout petit, il fallait que je monte 124 marches pour le faire, il n'y avait pas de haut-parleur, je prenais un drapeau blanc à la main, signe que c'est l'heure de la prière et je devais donc jouer de mes cordes vocales pour faire entendre mon appel aussi loin que possible», raconte-t-il. Un appel à la prière qu'il exécutait sur le mode Zidane qu'on aimait écouter mais qui ne passe sur aucun média audiovisuel depuis longtemps.

Et c'est tout aussi enfant qu'il s'est imprégné des premières notes de musique jouées dans un mariage à la Casbah. Ses parents l'y avaient retrouvé, toute ouïe, devant les sons qui s'en dégageaient. A 19 ans donc, il décide de se lancer sérieusement dans l'apprentissage de la musique andalouse. Il adhère à l'association Andalousia puis à El Hayet mais il en sortira déçu. «Je n'ai rien appris, je me devais donc de chercher un autre moyen pour apprendre», dit-il. C'est son ami Youcef Khodja qui le lui a trouvé en facilitant son adhésion à El Djazaïria. «C'était le 5 juillet 1946 mais en 1947, c'était fini parce que le maire de l'époque qui était de gauche nous avait bien aidé un moment en nous fournissant les aides qu'il fallait parce qu'il voulait absolument qu'il nous occupe avec la musique, mais il avait d'un coup décidé de nous couper les vivres», raconte-t-il. C'était la fin de l'association. Ou presque. Ses animateurs ont pratiquement forcé le destin. «On a continué de jouer et de chanter dans les caves de café», fait savoir Serri fièrement. C'est ainsi qu'El Mocilia est née. «Comme El Djazaïria avait gardé son local, nous avons fait fusion en 1955, pour en profiter ensemble», se rappelle-t-il. L'association s'est fait alors appeler El Djazaïria-El Mocilia. «Mais c'était trop long comme appellation, c'est pour cela qu'on dit juste El Mocilia», explique-t-il. Il y travaillera d'arrache-pied jusqu'en 1988. Serri tient à noter qu'il a enseigné la musique de 1952 à 1988. Voulant toujours apprendre et faire apprendre davantage en matière de pièces, il quittera El Mocilia en 88 pour créer une autre association qu'il a appelée El Djazaïria- Ethaâlibia. En 1992, l'association devait représenter l'Algérie à l'exposition de Séville, en Espagne. «Mais à la veille de notre départ, nous avons appris l'assassinat du président Boudiaf, j'ai tout laissé tomber», note-t-il. Il rappelle quand même qu'en 1989, il a été nommé président de l'association de promotion de la musique andalouse des trois écoles. «Mais là aussi même les essais de transcription n'ont jamais donné grand-chose, elles n'avaient pas d'âme», commente-t-il avec regrets.

«Il faut casser les rigidités que s'imposent les écoles»

La dernière fois que Serri est monté sur scène pour chanter, c'était en mars 2010 au festival maghrébin qui a été organisé à Koléa. «C'était rocambolesque», a-t-il lâché avec un large sourire. Il se rappelle qu'il avait été «oublié» par les organisateurs et qu'il avait été programmé pour se produire à la dernière minute.

 Si Ahmed Serri est le premier maître de l'andalou à avoir pensé à enregistrer son répertoire. «Je l'ai fait de 1998 jusqu'en 2002, ça m'a pris beaucoup de temps et a exigé beaucoup d'efforts, je travaillais jusque tard dans la nuit pour avoir pu terminer», affirme-t-il. Serri a enregistré plus de 441 pièces de mémoire. «Quand je me rappelai plus d'une pièce, c'était la nuit que je retrouvais la mélodie, c'est comme ça que j'ai pu enregistrer tout ce que j'ai appris», dit-il. Il a tenu ainsi à léguer son savoir musical aux générations futures. Ceci parce qu'il pense que «tout ce que produit l'esprit humain est universel. Et c'est parce que nous n'avons pas les moyens de faire connaître notre travail ailleurs que le monde extérieur ne le classe pas patrimoine universel». Le plus dur pour lui est que «nous nous sommes sacrifiés pour avoir l'indépendance de notre pays mais ceux qui ont pris le pouvoir et occupé les postes de responsabilités sont venus de l'extérieur, ils ne connaissaient pas ce que l'Algérie recèle comme patrimoine culturel musical». Serri regrette que «ceux qui ont géré à l'époque de l'indépendance la radio et plus tard la télévision nationales sont venus du Moyen-Orient, ils nous ont brimés». Il estime que «ce qui manque aujourd'hui et même au ministère de la Culture, ce sont des gens qui connaissent la musique».

En début de soirée, Serri a tenu à écouter l'association Redouane (Bensari) dirigée par Fayçal Benkalfat qui répétait pour se produire aujourd'hui dans la soirée organisée en son hommage. Bras croisés, il scrutera un par un les membres du groupe et leur manière de jouer. «C'est une pièce tlemcenienne qui est transformée en pièce algéroise», dit-il à la fin de la répétition avec une pointe de fierté qui montre que dans son for intérieur il est heureux que la Sanaa d'Alger soit reprise et interprétée avec brio dans les bastions de la Sanaa de Tlemcen. Serri reste profondément marqué par la Sanaa d'Alger. «J'aime beaucoup la voie de cheikha Yamna, c'est la pure tradition algéroise», nous a-t-il confié. «C'est pour l'occasion», ajoute-t-il à propos de la fusion musicale entre les deux écoles. Il salue d'ailleurs les initiateurs qui ont osé, pense-t-il, casser des rigidités qui sclérosent les écoles et qui les enferment -notamment la Sanaa de Tlemcen- dans un carcan bien étroit. La troupe Redouane l'a fait en son honneur. Pour lui rendre hommage.

 La soirée s'est achevée par un sympathique dîner aux alentours d'El Mechouar. Serri était heureux d'être entouré par plusieurs de ses élèves ainsi que par ses amis qui lui ont prêté main-forte pour reconstituer son parcours artistique. L'on reconnaît que le département de la sauvegarde du patrimoine immatériel au ministère de la Culture s'est dévoué «sérieusement et profondément à la cause». Le Maître aimait raconter les anecdotes qui ont marqué son parcours. «Ce n'est pas tous les jours qu'on se retrouve dans une gâada aussi amicale», a-t-il répondu à un du groupe qui lui demandait vers un peu plus de 23h, s'il avait sommeil.