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Djanet, l'économie locale suspendue aux «affaires» Mariani et Kadhafi

par Envoyé Spécial: Farouk Djouadi

La nouvelle saison touristique au grand Sud algérien s'annonce bien ardue à Djanet. Le kidnapping d'une touriste italienne, Maria Sandra Mariani, en février dernier a déjà gâché la fin de saison précédente. La guerre en Libye ne va pas arranger les choses pour la population locale qui a vu passer un pan du clan Kadhafi. Reportage dans la perle du Tassili, où la toute proche tension sur la frontière est perceptible et où pointe déjà le malaise social.

Djanet sort en ce début de septembre de sa longue «hibernation» estivale. Les moteurs des 4X4 animent les artères de la petite ville cernée de toutes parts de montagnes rocheuses. Des ouvriers s'affairent çà et là à embellir les devantures de magasins, pratiquement fermés depuis le mois de mai dernier. «On se prépare à accueillir des touristes qui peut-être ne viendront pas», se rend compte, à peine dépité, un marchand de produits d'artisanat. Les doutes de ce commerçant quinquagénaire, vêtu en parfait Targui, ne sont pas sans fondements. Le kidnapping de la touriste italienne, Maria Sandra Mariani, en février dernier, par l'AQMI (Al Qaida au Maghreb) ajouté à la guerre en Libye voisine, font craindre le pire aux professionnels du tourisme dans cette partie sud du parc national du Tassili, un territoire saharien éblouissant de beauté à plus de 2000 km de route d'Alger.

«L'argent du tourisme profite à tout le monde et l'échec de la saison touristique aura des conséquences désastreuses sur l'ensemble de la population locale», prévient M. Husseini Ayoub, propriétaire de l'agence Azjar Tours. Outre les artisans et les commerçants, «le tourisme fait nourrir les familles des guides, chameliers, cuisiniers et autres chauffeurs employés dans les circuits touristiques du Tassili.»

Déjà, la saison dernière, Djanet n'a reçu que 7000 touristes. Un bilan très maigre comparativement à celui enregistré lors de la saison 2009/2010 quand cette région connue mondialement pour ses peintures rupestres a drainé 18 000 touristes. Un record d'affluence dans les annales de Djanet pourtant convertie au tourisme depuis la fin des années 1960.

Le tribunal porte les traces noires de l'émeute

L'échec de la dernière saison touristique s'est traduit indirectement, fin août, par de violentes émeutes. Le tribunal de Djanet a été assiégé par des jeunes de la ville qui protestaient contre l'arrestation d'un groupe des leurs. Les mis en cause qui se trouvent actuellement à la prison d'Illizi sont accusés d'avoir fait passer du carburant en Libye. Le portail de l'édifice judicaire porte encore les traces noires de la colère des émeutiers. «Si l'activité touristique était bonne, personne n'irait faire un trajet de 400 kilomètres en aller-retour jusqu'à Ghat pour vendre des bidons de d'essence en contre partie de quelques milliers de dinars» explique Husseini.

Les causes des mauvaises performances touristiques dépassent cependant de beaucoup le champ d'action des professionnels et de l'ensemble des15 000 habitants que compte Djanet. Les mises en garde du Quai d'Orsay, qui a déconseillé au ressortissant français de se rendre dans l'extrême sud algérien pour cause de «menaces terroristes», aggravent le trait. «Les agences de voyages européennes se référent souvent, en ce qui concerne l'Algérie, aux appréciations des Français, et nous avons du mal à convaincre nos partenaires de venir chez nous» souligne le patron d'Azjar Tours.

Toutefois, les professionnels du tourisme de la région ne se sont pas résignés à ce «chantage sécuritaire». Ils comptent inviter leurs partenaires étrangers à Djanet à l'occasion de la journée mondiale du tourisme, le 27 septembre de chaque année. «Nous ferons venir nos principaux partenaires étrangers afin qu'ils puissent constater d'eux-mêmes que la situation sécuritaire au Sud algérien, telle que présentée par certaines voix influentes en Europe ne reflètent pas toute la réalité», explique Abdelkader Boughrari, le président de l'association des agences de tourisme de la wilaya d'Illizi. Selon lui, la situation sécuritaire s'est nettement améliorée ces derniers mois avec le renforcement des dispositifs de sécurité. C'est peut-être là un nouvel argument de vente pour les tour-opérateurs. Les débordements de l'insurrection libyenne sur la région de Djanet n'ont pas amené seulement un clan de la famille Kadhafi entre ses murs. L'armée algérienne s'est déployée et les risques de mauvaises rencontres sur les circuits habituels vers la vallée de la Tadrart au sud, ou vers Bordj Haoues au nord, sont jugés quasiment nuls par les locaux. La fille du «guide» libyen, Aïcha, a même donné naissance à une petite Safia à l'hôpital de la ville, nouvelle curiosité pour touristes «les prochaines bonnes saisons».

L'hôtellerie sauvée par les réfugiés libyens

La ville de Djanet dispose en outre de plusieurs établissements hôteliers qui répondent aux besoins du tourisme moyen gamme. Les plus connus restent l'hôtel Zeriba et le Ténéré qui propose des chambres à des prix allant de 2500 à 3500 dinars la nuitée. Et comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, Lamine, gérant de l'hôtel Zeriba, reconnaît que son établissement a été sauvé cette année par les refugiés libyens. L'hôtel Zeriba, doté d'une trentaine de chambres affiche souvent complet depuis le déclenchement de la guerre en Libye. Pour le reste, Lamine considère que Djanet n'a pas besoin de beaucoup d'hôtels. Les touristes viennent à Djanet pour faire des circuits à dos de chameau ou sur des 4X4 et passent leur séjour dans le désert. Ils ne font appel aux hôtels que les jours de leur arrivée et de leur départ de Djanet.

En dépit des craintes évidentes de défection de touristes étrangers pour le «chaos» supposé qui entoure la région de Djanet, certains professionnels demeurent optimistes. Plusieurs voyagistes affirment avoir reçu «beaucoup de demande» de l'étranger pour cette saison. Il s'agit plus particulièrement de touristes en quête d'aventures qui préfèrent se rendre à leur destination sans passer via les agences de tourisme de leurs pays. Pour les groupes composés de plus de 5 touristes, les randonnées à dos de chameau ou dans des véhiculés sont toujours accessibles à partir de 3000 dinars la journée par personne avec prise en charge totale. Le parc du Tassili considéré comme le plus grand musée d'art à ciel ouvert dans le monde propose des surprises bouleversantes aux visiteurs. C'est l'un des seuls endroits au monde où le mouflon, espèce classée en voie d'extinction, s'est remis à se multiplier de manière remarquable. Le voyagiste Husseini Ayoub considère en fin de compte que rien n'est joué encore. La saison touristique commence dans quelques semaines et on ne sait pas ce qui va arriver, dit-il en montrant du doigt un «Moula Moula», ce petit oiseau noir à la queue blanche considéré par les Touaregs comme un porte-bonheur.

Le tourisme des nationaux «bloqué par Air Algérie»

Plusieurs évolutions «miraculeuses» peuvent encore sauver le gros de la saison touristique à Djanet et éviter de descendre en dessous des 7000 visiteurs de la dernière saison : la libération de l'otage italienne Maria Sandra Mariani ou la fin des violences en Libye où la guerre se déplace vers le voisin Fezzan. Abdelkader Boughrari qui représente les 33 voyagistes agréés d'Illizi - wilaya dont dépend la daïra de Djanet - estime toutefois que les obstacles qui freinent le tourisme à Djanet ne sont pas tous d'ordre sécuritaire. Les prix des billets d'avion d'Air Algérie, qui détient le monopole de transport aérien sur les lignes intérieures, constituent un élément dissuasif pour les touristes nationaux. Or dans un contexte dépressif pour la saison touristique comme celui de ces premiers jours de septembre, les visites des nationaux à partir des vacances de fin octobre peuvent être un vrai palliatif. Aux tarifs pratiqués, ce recours est exclu. Un billet Alger-Djanet est cédé par Air Algérie presque au même prix qu'un Paris-Djanet, soit près de 300 euros. Les voyagistes de Djanet appellent la compagnie nationale à faire des promotions à destination du grand Sud du moins pendant les vacances d'hiver et du printemps ou à l'occasion du nouvel an. La ville se prépare toujours à recevoir plus de concitoyens et pas seulement plus de touristes étrangers. Elle s'est dotée d'une nouvelle aérogare, inaugurée en juillet dernier. La spacieuse infrastructure respire la propreté et son personnel semble être rompu au bon accueil. Des détails qui ont fait le petit bonheur des passagers. «Avant, on passait jusqu'à 4 heures pour sortir de l'aéroport. Les agents des douanes et de la police des frontières trouvaient d'énormes difficultés à faire leur travail à cause de l'exiguïté des lieux. Mais depuis l'ouverture de la nouvelle enceinte, les procédures administratives se font en 20 minutes», témoigne un entrepreneur dans le secteur du bâtiment. Djanet redoute son proche avenir. Un peu comme si elle vivait désormais un pied de l'autre côté du plateau du Tassili, à Ghat la ville libyenne jumelle. Mais plus que jamais elle scintille entre ergs et falaises. Comme une merveille promise à des élus.