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Lettre d'un cadre marocain marginalisé au roi Mohamed VI: Vous protégez «des escrocs et des malfrats !»

par Salem Ferdi

Si, après le 20 février, le concept de l'allégeance au roi garde encore quelque signification, j'ai le regret de vous informer que, pour ma part, j'ai décidé de rompre toute relation d'allégeance vis-à-vis de vous ». C'est le début d'une lettre adressée par Ahmed Benseddik au roi Mohamed VI, et mise en ligne hier. L'homme est un ingénieur qui a dirigé la société thermo-médicale Moulay Yacoub, filiale de la CDG (Caisse des dépôts) et en a été éjecté après avoir dénoncé la mauvaise gestion et la corruption qui y sévissait. Il a été aussi le concepteur d'une vaste commémoration du 1200ème anniversaire de la ville de Fès. Projet dont il a été éjecté aussi avec l'aval du cabinet royal. C'est tout simplement la révolte d'un cadre marocain en proie au mur du système. Mais sa lettre contient des éléments qui touchent directement le souverain marocain. Pourquoi a-t-il été éjecté du projet de Fès au profit de Saad Kettani, fils de moulay Ali Kettani, fondateur du groupe Wafabank, en qualité de haut-commissaire à la célébration du 1200ème anniversaire de Fès ? La réponse est aussi simple que vénale. « Votre chambellan, M. Brahim Frej, m'a bien expliqué, sans détour aucun, que votre décision de nommer M. Saad Kettan en qualité de haut-commissaire à la célébration du 1200ème anniversaire de Fès était sous-tendue par la docilité dont il avait fait montre lors de la vente de Wafabank à votre holding. Une manière de le récompenser en somme? ».

Soupçons de corruption

La charge est rude. La vente de la Wafabank en 2003 a donné naissance à Attijari Wafabank, hyper-présente dans l'économie marocaine et qui est un des principaux instruments du conglomérat du roi. Car le roi et sa famille sont très présents dans l'économie marocaine et contrôlent de nombreuses entreprises à travers l'Omnium nord africain (ONA) (Attijari Wafabank, première banque du Maroc et la septième en Afrique, etc.) et la Caisse des dépôts, soit le cœur de l'économie marocaine. En mettant en cause les conditions de la cession de la Wafabank, l'auteur de la lettre ouverte jette le soupçon sur le roi et ses proches. D'ailleurs, écrit-il, sans ambages, « dois-je rappeler aussi que votre conseiller, M. Abbès Jirari, avait fait une déclaration retentissante sur les «clous de votre table» et sur ces vautours qui vous entourent et dont l'influence a fini par vous rendre pratiquement dans l'incapacité d'assumer votre obligation d'équité et d'être à même de pouvoir réparer leurs dégâts. Aussi, d'aucuns s'accordent à admettre qu'ils ont, désormais, plus de pouvoir que vous ».

Tuez-moi autant de fois que vous le voudrez !

Ahmed Benseddik révèle aussi que le cabinet royal est intervenu pour maintenir le couvercle fermé dans l'affaire de la station thermale Moulay Yacoub. « M. Abdesslem Aboudrar, président de l'Instance de Prévention Contre la Corruption, a fini par avouer, pour sa part, que le Cabinet royal lui a demandé de ne pas « ouvrir » le dossier Moulay Yacoub ». L'auteur de la lettre reproche au roi d'avoir « protégé des escrocs et des malfrats » et d'avoir abandonné « à leur triste sort, bien avant moi, le capitaine Mustapha Adib qui, comme tout un chacun le sait, a été emprisonné au seul motif qu'il avait dénoncé abus et corruption, et M. Khalid Oudghiri, le président d'Attijari Wafabank, injustement condamné par un appareil de Justice instrumentalisé par votre secrétaire particulier, M. Mounir Majidi, qui tenait à assouvir une vengeance ». Benseddik se dit profondément déçu de « l'injustice du roi ». « J'ai perdu tout espoir de vous voir me rendre cette justice que je ne cesse de revendiquer, à juste titre, depuis? Un contrat ne devient-il pas caduc, donc nul et non avenu, dès lors que l'une des parties contractantes n'en remplit pas, avec entêtement, les obligations » pour expliquer sa décision de rompre toute relation d'allégeance. Le constat politique est tout aussi sévère : «Je suis au regret de constater qu'au terme de votre douzième années de règne votre ligne de conduite est restée désespérément la même ; une ligne de conduite qui consacre l'impunité des lobbys qui menacent grandement, faut-il le préciser ?, l'avenir de notre pays. Un constat que corrobore votre persistance à laisser délibérément la corruption ronger la société et l'Etat. Cette gangrène fait classer notre pays dans un rang peu honorable au titre de l'indice de la corruption ». Le cadre marocain qui s'est retrouvé mis dans la marge accuse le roi d'avoir nui, par son silence et son mépris, à l'avenir de ces enfants et lui annonce qu'il rompt l'allégeance envers lui. « Je me libère de tout lien et de tout engagement à votre égard. Faites ce que bon vous semblera. Tuez-moi autant de fois que vous le voudrez ! Sans vous soucier des conséquences? Comme, malheureusement, cela est dans votre habitude. Paix sur celui qui connaît sa valeur et se soumet à son Dieu ».