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Un sénateur français veut la reconnaissance civile de la kafala

par Moncef Wafi

A une année des présidentielles françaises, la proposition du sénateur UMP du Vaucluse, Alain Milon, d'intégrer la kafala dans le code civil promet de faire des remous au sein des deux chambres et dans la famille politique même du sénateur.

La proposition de loi enregistrée à la présidence du Sénat, le 10 mars 2011, est relative à l'adoption des enfants régulièrement recueillis en kafala, quelque 200 enfants algériens et marocains entreraient en France par an à ce titre. Ce projet de loi, Alain Milon le défend en s'appuyant sur l'exemple d'autres pays européens, « pragmatiques, reconnaissent la kafala dans tous ses effets et la transforment en adoption, créatrice d'un lien de filiation ».

Le souci premier du sénateur est que « les enfants de kafala puissent bénéficier des mêmes droits au sein de leur famille et dans le pays où ils habitent que les autres enfants recueillis régulièrement dans des pays étrangers par des familles adoptives ». Ces enfants sont généralement des enfants sans famille, recueillis légalement pour la plupart d'entre eux en Algérie ou au Maroc par des familles venues de différents pays d'Europe, l'Espagne, l'Italie, la Suisse, la Belgique, mais aussi la France. Mais pas seulement, puisque de nombreuses mères préfèrent sacrifier l'éducation d'un enfant, en bas âge, en l'envoyant généralement en France pour être pris en kafala par des membres de la famille. La kafala est un mode de recueil prévu par le droit musulman et reconnu par la Convention internationale des droits de l'enfant comme une mesure pérenne de protection de l'enfant sans famille.

Alain Milon s'inspire aussi de la position de la Cour de cassation et de la jurisprudence au cours des années 1990. Dans un arrêt de principe du 10 mai 1995, rappelle-t-il, la Cour de cassation a affirmé en substance qu'un couple de français peut adopter un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette institution, à l'exemple de la kafala en islam, à la condition qu'indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du mineur ait accepté les effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays d'origine, derrière la kafala. Partant de ce principe, explique-t-il, les cours et tribunaux, saisis par les familles de requêtes en adoption d'un enfant recueilli en Algérie ou au Maroc, analysaient les situations au cas par cas, afin de déterminer si le représentant légal du mineur avait donné son consentement à l'adoption et pour quel type d'adoption, puisque le droit français en connaît deux, la plénière et la simple.

Le sénateur du Vaucluse fera remarquer que cette orientation de la jurisprudence française n'a jamais empêché les autorités marocaines et algériennes de continuer à confier des enfants en kafala à des familles françaises, en sachant pertinemment que l'adoption serait prononcée en France. L'opposition au prononcé de l'adoption des enfants en kafala est venue des services du ministère de la Justice. Dans une circulaire du garde des Sceaux du 16 février 1999, il était affirmé que le droit international s'opposait à la constitution en France d'un rapport de filiation sur le fondement d'une kafala, ce lien n'étant pas susceptible d'être reconnu dans le pays d'origine des enfants concernés. Il rappellera les différentes étapes du combat pour la reconnaissance de la kafala qui passera par une loi qui dit que « l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si la loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ». Le 25 février 2009, la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt énonçant que le refus de prononcer l'adoption recueillie par kafala ne constitue pas une différence de traitement ni une atteinte au droit de mener une vie familiale normale et ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de l'enfant. Ceux qui sont recueillis en kafala par des familles espagnoles, italiennes, belges ou suisses, peuvent bénéficier d'une adoption et partant d'une vraie vie familiale dans leur pays d'accueil, affirme le sénateur.

Une autre disposition législative a contribué à modifier le statut des enfants recueillis en kafala, la loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité exigeant désormais une durée de recueil de 5 ans pour que l'enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, puisse faire une déclaration de nationalité française, alors qu'aucune durée n'est exigée en cas d'adoption simple, affirme-t-il. En réalité, les enfants recueillis en kafala se trouvent aujourd'hui dans un statut précaire ; ils ne bénéficient pas des mêmes droits que tous les autres enfants résidant sur notre territoire, parce que ces droits reposent d'abord sur le lien de filiation qui les unit à un père et/ou une mère. Le nombre des visas délivrés pour ces enfants n'est pas communiqué. Mais selon les sources algériennes et marocaines, il se situerait entre 150 et 200 par an, précisera-t-il.