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Un département d'orthophonie? pourquoi pas !

par Yazid Haddar

Dans une contribution publiée dans le quotidien El Watan du 25/04/2011, un groupe de chercheurs et de praticiens revendiquent la création d'un département d'orthophonie. Une revendication légitime et justifiée.

Le mot orthophonie est apparu en 1830 par le Dr Marc Colombat (1797-1851) et le premier centre de formation d'orthophonie est créé en 1955 en France. L'orthophonie est de racine grecque, qui veut dire «correction de la voix». Le mot est répandu au Canada et en France. Cependant, la Belgique utilise le mot logopède, c'est-à-dire «éducation de la parole». Désormais, l'orthophonie s'est imposée comme une discipline indispensable dans le domaine médical et d'apprentissage, concernant le langage. L'objectif de cet article est de présenter au public concerné l'importance de chaque discipline, la psychologie et l'orthophonie, qui convergent certes, mais qui sont autonomes l'une par rapport à l'autre.

 L'orthophonie1 a pour objectif : la correction des troubles affectant la voix, l'articulation, le langage oral et écrit par des techniques de rééducation. On citera, par exemple, les troubles du langage ; le retard d'acquisition du langage oral ; les perturbations d'acquisition liées à un déficit sensoriel (surdité, hypoacousie) ou neurologique (infirmité motrice cérébrale, aphasie, dysarthrie, apraxie, agnosie) ; bégaiement ; difficulté dans l'acquisition du langage écrit (dyslexie, dysorthographie), les troubles de la voix : fatigue vocale professionnelle ; rééducation après intervention sur le larynx ; les troubles d'articulation (sigmatismes, chuintement, rhinolalies) ou dus à des malformations congénitales (fentes labio-palatines), les dyspraxies fonctionnelles ou organiques.

Par contre, l'objet de la psychologie est différent2. Cette discipline a pour objectif l'investigation du psychisme en termes de structure et de fonctionnement. Elle s'attache donc à décrire, évaluer et expliquer les processus mentaux, en prenant en compte les manifestations de la subjectivité, le langage en étant l'un des moyens d'expression. Ici, le langage est considéré comme contenu, afin de lui donner un sens subjectif dans un processus thérapeutique. Ceci diffère donc de la correction des troubles affectant la voix, l'articulation, le langage oral et écrit, qui nécessite l'utilisation de techniques spécifiques de rééducation. Ceci détermine donc la distinction entre la psychologie et l'orthophonie, c'est-à-dire entre le sens et la correction du langage (écrit ou oral).

En psychologie, il existe également des théories, plus exactement les lacaniens, où le langage joue un rôle déterminant pour accéder à l'inconscient. Or, cette hypothèse est controversée par les spécialistes du langage et contestée par certains psychanalystes freudiens. Ainsi, pour le psychanalyste Alain Costes3, le langage relève du niveau préconscient et non de l'inconscient. Un débat stimulant et à enrichir par la recherche. L'espace, ici, ne permet pas de m'étaler davantage sur la question.

Passant à la neuropsychologie clinique, qui croise l'orthophonie surtout dans l'évaluation et la rééducation des troubles de langage (écrit ou oral), je4 précise que la neuropsychologie est une discipline qui connaît, depuis ces dernières années, un développement exceptionnel. Elle influence diverses disciplines, de la psychologie à la neuroscience. Elle vise à une modélisation intégrée des processus mentaux et des supports neuronaux des comportements normaux et pathologiques. Elle constitue l'un des maillons centraux des sciences cognitives. Son objectif est triple : diagnostique, thérapeutique et cognitif5. La neuropsychologie est l'étude des perturbations cognitives et émotionnelles ainsi que des désordres de la personnalité dus à des lésions du cerveau. Autrement dit, la neuropsychologie est une discipline scientifique et clinique qui étudie les relations entre le fonctionnement du cerveau et les comportements humains. Les domaines dominants de la neuropsychologie sont les troubles du langage (aphasie), les troubles de la vision d'origine cérébrale (agnosie), les troubles du geste (apraxie), les troubles de la mémoire et des fonctions exécutives. Ceci dit, on distingue deux types de troubles, soit des troubles acquis, soit des troubles de développement. La neuropsychologie est considérée comme une spécialité de la psychologie (France, Belgique, Canada, USA, etc.), mais elle est aussi enseignée comme telle au sein du cursus gradué d'orthophonie, même si la profession de neuropsychologue tend de plus en plus à s'autonomiser.

En service neurologique, le neuropsychologue et l'orthophoniste collaborent dans la prise en charge d'un même patient relevant de la neuropsychologie. Le premier évalue les facultés psychologiques et cognitives du patient ; le second les facultés psycholinguistiques. La thérapie associe également les deux professionnels.

Ainsi, comme déjà souligné, la psychologie (en particulier la neuropsychologie) se croise dans certains domaines avec l'orthophonie, comme avec d'autres disciplines d'ailleurs, mais ceci n'oblige guère l'orthophonie d'être l'une de ses spécialités. Ceci, d'autant que la phoniatrie, l'audiologie, la phonétique-phonologie cliniques, l'aphasiologie,... sont des spécialités orthophoniques qui ne sauraient donc être des «sous spécialités psychologiques».

Ainsi, la création, en Algérie, d'un Département qui forme de futurs orthophonistes est un impératif évident. En outre, tous les moyens pédagogiques et humains sont prédisposés à la création de ce Département en Algérie. À ce titre, nous saluons les efforts consentis, le courage et la détermination du Pr Zellal et de son équipe pour mener ce projet à terme. Elle a eu le mérite d'avoir transformé en chaire académique complète (1979 à ce jour) ce qui n'était qu'une filière de 02 ans (1975-1978)6.

La réglementation juridique de l'exercice et de formation de l'orthophonie en Algérie et en France

En Algérie, d'après le Journal officiel n° 22 (article 28 et 29) ; décret exécutif n° 91-111 du 27 avril 1991 portant sur le statut particulier des psychologues (article 28) : «Les psychologues-orthophonistes de la santé publique sont chargés, sous l'autorité du responsable hiérarchique, des fonctions psychologiques ayant pour objet notamment la technique et la rééducation de la voix et du langage. Dans ce cadre, ils assurent les entretiens, les bilans, le diagnostic, le pronostic, la prévention et la prise en charge thérapeutique des troubles de la voix et du langage». (Article 29) «Outre les tâches prévues à l'article 28, cité ci-dessus, les psychologues orthophonistes principaux de la Santé Publique sont chargés, sous l'autorité du responsable hiérarchique, d'assurer les thérapies de groupe, la guidance parentale ainsi que le travail institutionnel par la technique et la rééducation de la voix et du langage».

Dans ce décret, les tâches de l'orthophoniste de santé publique ne sont pas clairement définies et pour accéder au titre d'orthophoniste en Algérie, je vous renvoie à l'article publié dans le quotidien El Watan cité plus haut. Ce Décret est à revoir totalement car l'appellation «psychologue-orthophoniste» n'existe pas et il va de pair avec la reconnaissance officielle du Département d'orthophonie.

En Santé, il faut distinguer et reconnaître les rôles des uns et des autres selon les sens universels des métiers et des recherches y attenant. Celles-ci tiennent évidemment compte du besoin social propre à chaque pays ; cependant le patient algérien et ses troubles sont régis par des règles scientifiques et cliniques qui sont universelles.

En France, un nouveau Décret d'Actes paru en mai 2002 élargit le domaine de compétence des orthophonistes, dans la mesure où ils peuvent participer à l'organisation d'actions d'éducation sanitaire ou de dépistage et mener des actions de formation (en tant qu'enseignants ou que maître de stage) et de recherche. Désormais, l'orthophonie consiste «à prévenir, à évaluer et à traiter les déficiences et troubles de la voix, de l'articulation, de la parole, ainsi que ceux associés à la compréhension du langage oral et écrit, à sa réalisation et à son expression, à dispenser l'apprentissage d'autres formes de communication non verbale permettant de compléter et de suppléer ces fonctions. Dans l'exercice de son activité, l'orthophoniste prend en compte les dimensions psychologique, sociale, économique et culturelle de chaque patient, à tout âge de la vie».

Toujours en France, selon le Code de la Santé Publique (Article L.4341), «est considérée comme exerçant la profession d'orthophoniste toute personne qui exécute habituellement des actes de rééducation constituant un traitement des anomalies de nature pathologique, de la voix, de la parole et du langage oral ou écrit, hors la présence du médecin ». Cependant, les orthophonistes ne peuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale. Ceci permet le remboursement des Actes et des consultations, par la sécurité sociale. En Algérie, les séances psychologiques et orthophoniques sont le fait du hasard, puisqu'elles ne relèvent d'aucune réglementation ni d'aucun contrôle (staff cliniques, colloques, publication des résultats?) ce qui porte préjudice à la qualité de la prise en charge. Il existe, en France, une quarantaine de revues scientifiques d'orthophonie.

Pour accéder au C. C. O7 (Certificat de Capacité d'Orthophoniste), l'étudiant(e), après l'obtention du baccalauréat, devra passer un concours national d'examen des aptitudes psycho-physiques qui est très sélectif et réglementé par l'arrêté du 10 novembre 1966, révisé par l'Arrêté du 16 mai 1986 et enfin par l'Arrêté du 25 avril 1997) afin d'intégrer son école d'orthophonie où le nombre d'inscrits est annuellement règlementé. Il existe 15 école d'orthophonie actuellement en France. Les études d'orthophonie sont de baccalauréat plus 04 avec stages et mémoire. Ces écoles sont des Départements autonomes rattachés aux Facultés de médecine ou de médecine et pharmacie et sont des U.E.R. (Unités d'Etudes et de Recherches) médicales ou des U.E.R de techniques de réadaptation.

*Neuropsychologue.

Notes :

1 http://psycho.univ-catholyon.fr

2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie

3 Alain Costes, Lacan, le fourvoiement linguistique : la métaphore introuvable. PUF, collection Voix nouvelles en psychanalyse, Paris, 2003, 235 p.

4 Cf. El-Watan du 13/08/2008.

5 Cf. Neuropsychologie, R. GIL, 2006, p 1.

6 Le Soir d'Algérie, 30 novembre 2009, p. 15.

7 http://www.orthophonie.fr/