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Diplômes, normes et syndicalisme

par Mohammed Beghdad

Selon le journal El-Khabar de ce mardi 5 juillet 2011 (1), le pourcentage de réussite au baccalauréat de cette année va battre un nouveau record. On s'attend à un taux de réussite avoisinant les 70% après les 61,23% de 2010 et 45,05% de 2009.

Avec ces chiffres, nos voisins du Maghreb que sont le Maroc et la Tunisie sont encore loin avec des taux respectifs de 35% et 50% de l'année dernière.

Dites-vous normes ?

Jusqu'ici tout est bon, on progresse vers des pourcentages des pays développés et c'est tant mieux. On peut même les acclamer à tout rompre. Mais il existe une différence de taille avec ces deux pays limitrophes, eux ils continuent à participer aux olympiades internationales de mathématiques contrairement à nous dont la participation est gelée pour une raison énigmatique. La dernière fois, c'était en 2009 après une absence de 11 années consécutives.

 Mais ce retour a été sanctionné par une place de lanterne rouge qui a dû certainement donner matière à réfléchir aux responsables de l'éducation nationale.          Paradoxalement, on continue d'entretenir l'illusion de considérer ces résultats de ces dernières années comme étant les fruits de la nouvelle réforme.

 On souhaiterait bien y fantasmer de ces prouesses mais sans une expertise internationale, ces performances ne nous permettent pas de disposer d'une lisibilité claire ni d'une visibilité reculée tant qu'ils ne soient pas évalués par des paramètres aux normes internationales. Ce qui est vrai pour le système éducatif l'est aussi valable pour tous les domaines de la politique jusqu'aux sports en passant par l'économie, la corruption, les droits humains, le bien-être, etc.

Le syndrome Sud-Coréen

Ce n'est pas fortuit ni un hasard si le système éducatif de Shanghai (Chine) et celui de la république de Corée (Corée du Sud) occupent les deux premières places du classement de l'enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, Program for International Student Assessment ) (2) de l'année 2009 de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) (3).      Comme un succès ne peut surgir du néant et qu'une expertise fiable ne peut contredire son équivalente, la Chine et la Corée figurent également aux avant-postes du classement des olympiades internationales de mathématiques de l'année écoulée (1ère et 4ème places respectivement).  Ils iront certainement conforter leurs leaderships lors des 52ièmes Olympiades qui vont se dérouler cette année aux Pays-Bas du 16 au 24 Juillet sans la présence de notre pays qui n'ait point annoncé sa participation jusqu'à la veille de ce concours (4).

Annus horribilis

Quant à nos résultats du baccalauréat, passée l'euphorie de l'annonce comme il est de coutume de vanter tous les mérites de notre système, ils vont continuer à nous hanter et à semer le doute dans les consciences. Par exemple, cette année, le Bac français est en train de provoquer un malaise dans ce pays à cause de la divulgation d'un exercice de probabilité de l'épreuve de mathématiques du Bac S qui concerne 165 000 élèves. Le ministre de l'éducation nationale de ce pays a porté plainte en excluant d'annuler l'épreuve mais a neutralisé l'exercice par une modification de la notation. Une enquête diligentée à permis de mettre en examen trois suspects. Le journal Le Monde parle d'annus horribilis pour l'éducation nationale où même la fraude à un examen de CM2 est citée (5). Eux au moins, ils en parlent en lançant des enquêtes sans chercher d'où est sortie l'information. Ils appliquent le principe du feu sans fumée. Chez nous, c'est presque un tabou que de parler de ces choses si jamais il y a suspicions.

 Beaucoup de questions vont impitoyablement nous torturer pendant assez longtemps. Les conséquences seront graves pour l'avenir du pays qui a besoin d'un personnel ayant subi la formation adéquate et le cursus nécessaire pour affronter les problèmes qui le guettent et relever les défis qui l'attendent. C'est plus tard que l'on constatera fort amèrement les délires du moment. Comme il est souvent le cas, on ne pense qu'au présent, peu importe le futur. Chaque génération se débrouillera-t-elle comme elle le pourrait en naviguant à tout-va. Chacun pour soi.

Et l'enseignement sup ?

Ce qui l'est vrai pour l'éducation nationale, il est d'autant plus crucial au niveau universitaire où les lacunes s'entassent à cause des volumes horaires raccourcis, non réglementaires des enseignements dispensés. Pour le système LMD, les normes parlent de 15 semaines d'enseignement par semestre sans compter les examens.

 Qu'en est-il exactement de l'année universitaire qui a été tronquée par des semaines de grèves dépassant les 9 semaines pour certaines filières ?

 Nous pouvons rajouter le problème logistique qui ne suit pas la pédagogie. A cause du retard pris chaque début d'année dans l'ouverture des restos U, les étudiants résidants dans les cités universitaires vont se ruer vers les gargotiers du coin pour se restaurer d'un frites-omelette consommé à longueur d'années.     Le budget familial est là pour souffrir et subvenir aux besoins de la progéniture. La bourse ne sert qu'à couvrir des besoins très futiles. Les examens de rattrapage ne semblent pas être prévus dans le programme des œuvres universitaires. Pourtant, les deux structures dépendent du même ministère.

 Tous ces obstacles et non des moindres contribuent négativement à la cotation de notre enseignement supérieur.

1 pour 15 = 1 pour 28 ?

Personne n'en parle de manière académique, c'est le côté social qui va encore une fois primer en fermant les yeux sur la qualification des titres octroyés. L'excès de zèle de l'autosatisfaction pèsera lourdement comme d'habitude dans la balance. Il n'en restera que très peu de voix qui tentent de remettre en cause la théorie, elles vont être impitoyablement balayées par la machine bureaucratique.

 Le débat est plus que jamais lancé. C'est la question que l'on pourrait aussi se poser et qui nous poursuivra inlassablement tant qu'on n'y a pas répondu de façon experte et responsable.

 Il existe justement un indice particulier qui puisse nous donner une certaine lecture. Il n'est pas le seul. Au niveau international, d'autres normes universelles sont adjointes pour faire des évaluations assez précises.

 Le paramètre cité ci-dessus est celui du nombre d'étudiants par enseignant. La norme préconise 1 enseignant pour 15 étudiants.  La norme nationale tourne, depuis des années, aux environs du double. L'interrogation qui puisse cette fois-ci ardemment posée est celle de la crédibilité et la valeur des diplômes délivrés par nos établissements universitaires si l'on persiste avec cette parité. Est-ce qu'une licence LMD algérienne vaut-elle identiquement celle d'une licence LMD européenne ?

L'autosatisfaction outrancière ?

Nous n'allons pas jusqu'à la comparer à celle de la Corée dont le niveau de vie égalait celui de l'Algérie au lendemain de l'indépendance. Toute le monde constate que l'on roule sud-coréen depuis belle lurette. On ne peut que s'auto-flageller à en mourir pour répondre à ceux qui sont tombés dans la maladie de l'autosatisfaction abusive. On doit absolument s'évaluer par rapport à ceux qui nous dépassent et non par rapport à ceux dont le PIB est en-dessous de nos immenses potentialités non exploitées à cause d'une politique de fuite en avant qui ne tient pas compte de tous les mauvais indicateurs.         Des réformes concoctées à huis-clos et dont les contours sont circonscrits dès le départ, ne nous mèneront nulle part qu'à l'échec avéré.

 Ce rapport de 1 pour 15 est d'autant plus accentué lorsqu'on passe du nombre étudiants pour 1 enseignant de rang magistral. Dans certaines spécialités, ce chiffre fluctue autour de 1 enseignant pour plus d'une centaine d'étudiants.

Vue syndicaliste et vue étroite

Lorsqu'un enseignant, de surcroit syndicaliste évoque ces bizarreries de notre enseignement, il est alors traité, par certains, de pourfendeur des droits des enseignants.

 Là où le bât blesse, c'est lorsque l'accusateur était il n'y a pas si longtemps aux commandes pendant presque une décennie et en prônant une politique de fermeture et de verrouillage de tous les espaces. Jamais au grand jamais, un tel débat n'a été provoqué lors de son règne avec la communauté universitaire. Comme par enchantement, on veut se refaire une santé maintenant et nouvelle une virginité en profitant de l'occasion offerte. Au lieu de jouer un profil bas en se faisant un peu effacer. On veut revenir sensationnellement à la une en voulant forcer les portes ouvertes par l'indulgence. Lorsqu'on est invité, on doit d'abord respecter les autres invités de son successeur et non se comporter en donneur de leçons de moralité syndicale. Tu le fais expédier par la fenêtre, il tente de forcer les petites portes de l'antichambre pour revenir comme un mauvais cauchemar.

 Certes, un syndicaliste doit défendre les droits sociaux-professionnels des enseignants mais également le service public qui les embauchent. Je dirais même que les intérêts de l'établissement passent avant tout. L'échec de ce dernier signifie la disparition des emplois dans une économie libre. La sauvegarde du service public est par conséquent suprême non seulement pour les enseignants mais autant pour toute la communauté universitaire.

 Si on poursuit le raisonnement de cet illuminé, un syndicat doit aussi défendre un enseignant accusé de plagiat ou de harcèlement envers ses étudiants. Un syndicat qui se veut respectueux des droits ne doit absolument pas défendre la médiocrité. Il doit être soucieux, en premier lieu, du niveau de l'enseignement dispensé et de la bonne marche de l'institution. Par ailleurs, il doit également faire la différence entre ce qui est purement syndical de celui qui est académique et scientifique.

 A-t-on vu un jour le syndicat revendiquer une place au sein d'un quelconque conseil scientifique fût-il celui d'un département ? N'est-il pas réel qu'un Maître Assistant ne peut être encadré en thèse de Doctorat que par un Professeur ou un Maître de Conférences de classe  A quoiqu'ils soient des collègues ? Dans un système tubulaire, un enseignant entre avec le premier grade de Maître Assistant et sort de l'autre côté en grade de Professeur lorsqu'il dispose des moyens aux normes universelles. Ce n'est point diminuer le mérite des collègues qui ne sont pas encore de rang magistral mais la législation est distincte en ce sens.

 Au lieu de remettre en cause notre système qui a engendré ce blocage pendant des décennies, on préfère la facilité en s'attaquant aux gens qui défendent la qualité et revendiquer à tirer les enseignants vers le haut.

 Par contre, un syndicat doit œuvrer pour permettre à tous les enseignants de progresser et non exercer les prérogatives de grades supérieurs mais rémunérés à leurs grades.

 Les tâches, tous grades confondus, sont clairement définies dans le statut particulier de l'enseignant chercheur auquel le syndicat a été partie prenante dans son élaboration. Maintenant si on veut parler du niveau intrinsèque et des compétences des uns et des autres, c'est une autre histoire dont il va falloir y revenir, un jour, plus longuement.