Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Drogue et toxicomanie, les tonneaux des Danaïdes

par Mazouzi Mohammed*

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

De tes yeux, de tes yeux verts,

Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers ;

 - Mes songes viennent en foule

Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Charles Baudelaire (Le Poison)

Prenant en considération notre taux de jeunesse assez élevé, le terrible désenchantement et vide existentiel qui l'oppressent, nos humeurs méditerranéennes caractérisées par de fortes inclinations pour le plaisir incontrôlé, la jouissance expansive et les exutoires réparateurs, je m'efforcerai à travers cette modeste contribution de me focaliser d'avantage et de manière succincte sur une menace extrêmement dangereuse qui promet de n'épargner aucun territoire. J'ai eu déjà le plaisir et le privilège d'aborder ce problème épineux et notamment au sujet des menaces diverses qu'il fait encourir à notre pays. (Voir le Quotidien d'Oran du 14/15/16/et 17 Juillet 2010) ou le Journal Réflexion du 28/29/30/31 Juillet 2010. Aujourd'hui , Il ne s'agit plus ni de ce pauvre cannabis qui est déjà là et le restera encore pour longtemps, ni de cette cocaïne qui fait mine de flirter uniquement avec notre Jet set vu son coût inabordable, ni de cet opium qui semble avoir des prédilections pour les régions et gens du sud.

 Il s'agit de nouvelles pastilles et herbes du Bonheur que le futur nous réserve. Drogues de synthèse, nouvelles substances canabinoides, ersatz végétal qui supplantera le hachich. Ce ne sera qu'une affaire de temps, sur ce village planétaire où tout se frôle, se mêle et s'emmêle. Le monde dans lequel nous vivons ne peut se résoudre à tolérer uniquement le transfert de technologie et de Démocratie si indispensables pour le tiers monde sans faire éclater toutes les frontières physiques ou virtuelles qui consistent à préparer de nouvelles matrices politiques sociales et culturelles où tout peut être transvasé ou transféré, aussi bien des modèles institutionnels ,des biens et services, du savoir, du savoir faire ainsi qu'inévitablement toutes autres manies alimentaires , ludiques, vestimentaires ?et vices.

Les opiniâtretés naturelles et sociales pathogènes

S'il y a une activité humaine ou un phénomène social qui plonge ses racines dans un passé immémorial, exacerbés au fil des temps par la complexité des rapports humains et des enjeux politiques, financiers et juridiques. S'il y a un sujet qui a réussi à charrier autant de paradoxes et témoigne actuellement du plus grand échec pathétique que connaît l'humanité, c'est bien celui de la Drogue. Stupéfiants et toxicomanie, faces d'une même médaille néanmoins traités et abordés différemment avec des politiques différentes, pas forcément synergiques et le plus souvent versatiles et contradictoires.

 Le trafic de drogue générera d'abord d'immenses dividendes pour les cartels et les trafiquants et même pour certains Etats alors que seulement une portion infinitésimale de ces prodigieux bénéfices sera concédée aux misérables cultivateurs (1)qu'on essaye vainement d'aider par des politiques de soutien et autres financements de projets agricoles de substitution et de développement local et régional. Le trafic de drogue installera ensuite parmi toutes les populations mondiales des drames incommensurables sur le plan de la santé physique, mentale, parfois irréversibles et mêmes mortels. Son impact n'est plus à démonter notamment sur l'émergence exponentielle d'une délinquance et d'une criminalité qui affectent sérieusement la sécurité des pays. Enfin, Le trafic de drogue acculera les Etats à engager de véritables guerres et des politiques sécuritaires et répressives dans un cadre d'actions multilatérales qui exige beaucoup d'efforts , d'intelligence, de diplomatie et un Budget conséquent (2). L'ensemble de la communauté internationale ne cesse de redoubler de vigilance et d'efforts depuis que cette activité criminelle séculaire a réussi à tisser des liens étroits avec d'autres formes de criminalité non moins dangereuses et transnationales telles que le terrorisme, le trafic d'armes et le blanchiment d'argent ainsi que le financements de milices et chefs de guerre qui essaimeront dans des zones affaiblies politiquement et économiquement de véritables poudrières qui menacent des sécurités régionales toutes entières. (Zones du Sahel, Afghanistan?). D'un autre côté, la lutte contre la toxicomanie, autre véritable cauchemar amènera les gouvernements à mettre en place également des politiques nationales très couteuses, sans cesse modulables et innovantes.

Les revanches de l'Histoire ou l'histoire des arroseurs arrosés

Le temps a enfin fini par venger les outrages que l'Occident a fait subir à la Chine pendant près de vingt années, au moyen d'un commerce que ces mêmes puissances occidentales considèrent aujourd'hui comme l'activité la plus criminelle et la plus meurtrière. Ce qu'on a retenu à travers les deux guerres de l'Opium (1839/1842 et 1856/1860), c'est la folie d'un Occident qui au nom du profit n'hésite même pas à commercialiser la mort et la souffrance.

 On le voit jusqu'à présent à travers les pratiques maffieuses de ces multinationales agroalimentaires ou pharmaceutiques qui se livrent à une guerre sans merci dans le but de façonner de nouveaux comportements alimentaires et où le plus souvent l'enjeu demeure comme toujours la mise sur le marché mondial de produits qui se sont avérés maintes fois extrêmement dangereux pour la santé des populations (Tabac, Alcool, OGM, Viande et produits laitiers bourrés d'hormones et de bactéries pathogènes, Médicaments aux effets secondaires mortels?). En dépit des effets extrêmement pervers et visibles du commerce de l'opium imposé aux populations chinoises durant la première moitié du 19e siècle malgré les édits impériaux qui prohibaient avec véhémence ce trafic. L'empire britannique en premier lieu, l'Amérique ou la France ne s'émouvaient guerre des répercutions néfastes et dévastatrices de ce commerce qui ravageaient tout un peuple et fragilisaient un empire.

 Comme toujours si ce n'est la présence d'une morale le plus souvent religieuse qui anime au départ l'émergence et la mobilisation de forces dissidentes, aucune évolution morale, institutionnelle ou juridique n'aurait pu se manifester pour contrer toutes ces aberrations et ces iniquités. Pendant qu'on essayait d'intoxiquer massivement tout la nation chinoise, on voyait déjà aux Etats-Unis se former des « Ligues de tempérance américaines » qui contestaient ce commerce forcé et criminel imposé par les Anglais au nom du profit.

 Ce fut le début de ce qui allait être une succession de Lois et conventions internationales qui consistaient désormais à contrôler, réguler ou interdire tout ce qui touche au commerce et à l'utilisation de ces produits végétaux ou chimiques stupéfiants et psychoactifs.(3)

Les dilemmes d'une civilisation à bout de souffle

 Les incalculables fonctionnalités négatives que l'on a pu voir avec la mondialisation de l'Internet , un monde virtuel , intangible où les seules limites du mal et du bien demeuraient tributaires du génie et du pouvoir d'action des uns confrontés à la vigilance et à la capacité permanente d'intervention et de réaction des autres.

 De la même manière, le monde de la Drogue évolue, tous les efforts consentis depuis des décennies sont un fiasco et les potentiels dangers qu'il préfigure préparent tout le monde soit à des ripostes spartiates soit à des capitulations, des armistices et des compromis illusoires. Un rapport commandé par la Commission européenne à un panel d'experts indépendants aboutit à la conclusion que les dix années de politique mondiale de lutte contre la drogue n'ont pas pu enrayer ce fléau et qu'aucun élément ne fait apparaître une diminution du problème mondial de la drogue sur la période allant de 1998 à 2007 et ce malgré l'intensification des politiques de lutte anti-drogue. Bien au contraire le phénomène mondial de la drogue est devenu encore plus complexe.(4) Devant cet aveu d'échec, certains pays et notamment la France commencent à envisager l'éventualité de nouvelles politiques, pourquoi pas de dépénalisation ou de légalisation. Bien que l'expérience Hollandaise a été infructueuse et que le cas du Portugal assez récent devrait également inciter, selon beaucoup d'observateurs avisés, à beaucoup de circonspection. L'Europe hésite et chancelle. La France envisage de faire intervenir l'armée pour venir à bout de ces gangs qui éclosent dans ses banlieues, disséminent l'insécurité et la déchéance et remettent en cause l'autorité même de l'Etat.

En dépit de cet échec renouvelé, et des milliards de dollars consacrés à cette guerre, la position de l'ONU a toujours été inflexible et rétive à toute opinion novatrice et expérience tendant la légalisation de l'usage des stupéfiants.

 «La dépénalisation prend seulement en compte l'aspect consommateur, et non les problèmes qui concernent les pays producteurs. Elle ne con sidère pas le trafic de drogue dans son ensemble.

 C'est pourquoi il faut une révision mondiale des politiques antidrogue et pas seulement des ajustements au cas par cas. » (5)

 Il est évident que le monde vit une véritable cacophonie et que chaque pays essaye d'utiliser les méthodes qui lui paraissent appropriées. Si les Pays bas, le Portugal et d'autres pays estiment avoir jugulé chez eux ce fléau et ses corollaires avec des politiques et méthodes plus souples et permissives, d'autres pays par le biais de moyens plus expéditifs, considèrent eux aussi avoir obtenus de très bons résultats en matière de lutte contre la drogue et contre la criminalité qu'elle génère.

 Les pays permissifs jonchent leurs territoires de «coffee-shops» conviviaux qui leur donne l'impression d'avoir enfin réduit la complexité de ce phénomène incontrôlable, d'autres pays (Allemagne, Australie, Canada, Espagne, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas et Suisse) s'adonnent à d'autres expériences qui ne requièrent forcement pas un assentiment général chez les politiques comme parmi les scientifiques , et tentent de prendre en charge le problème de la toxicomanie à travers des «centres d'injection supervisés» appelés vulgairement «drogatorium» ou «salles de shoots». Une chose est sûre nul ne prétend détenir enfin la panacée que tout le monde pourra adopter ou même l'infime espoir d'avoir pu enrayer ces maudites addictions et empêcher des rechutes assez probables.

 L'ensemble des études scientifiques demeurent très circonspectes, incertaines et peu confiantes quant à toutes les expériences politiques et médicales tentées jusqu'à maintenant. Seule la recherche scientifique sur le phénomène de l'addiction pourra peut-être un jour proposer des solutions moins hétéroclites. D'autres pays moins conciliants (Malaisie, Arabie saoudite, Indonésie, Chine, Pakistan, Inde, Laos, Vietnam, Philippines) préfèrent recourir aux plus vieux instruments du monde : La geôle et la potence. Les statistiques que ces pays présentent en matière de répression et de lutte contre la drogue sont un exemple si ce n'est la rançon que ces sociétés ont consenti pour une sécurité qui paraissait impossible sans ces moyens expéditifs. Quel est le prix à payer pour instaurer un climat de sécurité et de bien être ? Ne peut-on trouver une voie médiane où la répression doit aller de pair avec la prévention et la thérapie dans un contexte de rigueur et d'efficacité?

 L'Islam ne s'étant jamais embarrassé par ce paradigme de graduations sémantiques (Stupéfiants, Hallucinogènes, psychoactifs, euphorisants, ou autres propriétés susceptibles d'induire un état d'ivresse ou de stimulation et surexcitation?) a depuis toujours prohibé (sans se soucier des polémiques et en englobant sous le même générique « Moussakir- Moukhadhir ») toute substance solide ou liquide indépendamment de sa nature, sa forme ou de sa composition chimique. Seul l'effet sur la santé mentale et physique de l'individu ainsi que la menace de la cohésion sociale et de l'intérêt général, apparente ou imperceptible, immédiate ou à long terme doivent déterminer et légaliser l'acte restrictif et prohibitif. Il y va de soi que cette dogmatique religieuse et juridique n'a jamais essayé de quelque manière que ce soit d'ignorer les spécificités d'un contexte médical bien défini , délimité et rationnellement régulé et qui exige des approches ponctuelles vis-à-vis desquelles toute jurisprudence reste ouverte et active.

Le summum du ridicule lorsque la nature a horreur du vide

Vous ne rêvez pas, nous allons vous faire passer de l'âge du bronze à l'âge de la molécule.

 Les nouvelles drogues de synthèse sonnent le glas de cet âge prospère qu'avaient connu ces kermesses mondiales labélisées par la cocaïne, l'opium et le cannabis.

 A moins que l'humanité repoussée dans ses derniers retranchements (c'est d'ailleurs ce qu'envisage de faire certains pays) ne se résolve à légaliser ou dépénaliser l'usage de cette flore exubérante , tellement rentable pour les uns , indispensable pour les autres, c'est la chimie qui prendra en charge ces processus de « Dépossession de soi-même ou de recherche d'une plus grande maîtrise » comme le rappelait le sociologue Alain Ehrenberg à travers ses études. (6)

Finalement Ce ne seront ni les interventions militaires avec l'installation de bases armées (Amérique Latine , Afrique , Afghanistan?), ni toutes les coalitions avec leurs programmes politiques ,sanitaires et financiers de lutte contre la drogue qui éradiqueront la culture et le commerce illicites de ces végétaux.

 Ce ne sera pas non plus la panoplie de mesures répressives bigarrées , hétéroclites et peu dissuasives adoptées par chaque Etat , chacun en fonction d'un arsenal juridique déterminé par des considérations d'ordre culturel ou religieux qui en dissuaderont les promoteurs , barons et dealers.

 Cette flore précolombienne et préhistorique (Cannabis-Cocaïne-Opium) avec les usages qui ont en été faits et qui a été jusqu'à présent le seul ennemi que le génie humain a été impuissant à éradiquer perdra progressivement de son attractivité et se fera plus discrète dans un avenir très proche.

 D'autres forces concurrentes disputeront à cette agriculture du diable son pouvoir hégémonique qui sera supplanté par les remarquables progrès enregistrés une biotechnologie et une biochimie confortés par un cadre politique et juridique qui leur confère une liberté et une extrême aisance en termes de mobilité et de propagation dans le cadre d'échanges mondialisées de plus en plus difficiles à gérer, surveiller et contrôler.

 Le même génie scientifique humain qui a réussi pour des raisons médicales dans le passé à introduire dans nos mœurs sociales (7) l'usage de substances qui se sont avérées par la suite extrêmement nocives, addictives et parfois mortelles, s'efforce aujourd'hui de s'adapter et anticiper de nouvelles approches pour s'introduire dans un marché mondial avec le plus de profit, le moins de risques possibles mais toujours avec autant de dégâts et de drames humains.

 Ce ne seront plus des cartels dirigés par des crétins faisant un raffut du diable qui auront pignon sur rue mais plutôt des chérubins à qui l'on donnerait le bon dieu sans confession, des chimistes qui n'auront besoin ni d'hectares à surveiller, ni de réseaux, de filières et d'itinéraires à mettre en place, ni de hors bords superpuissants et d'avions qui vont jouer au chat et à la souris avec les forces gouvernementales. Le monde des molécules est un microcosme qui n'a besoin ni d'espace ni autant de logistique ostentatoire.

 En utilisant comme champ de culture ou usine un simple cagibi, ce sera l'avènement de la Chimie et de ses miracles. C'est tout simplement une affaire de neurones capables de manipuler le vivant ou jouer au puzzle avec des composés chimiques de sorte à en faire des produits commercialisables, attractifs et addictifs. Le marché est déjà là, les clients aussi.         Un mal en chasse un autre. Le Président de l'UNDOC lui-même, Mr Antonio Maria Costa, met en garde l'humanité contre ce nouveau fléau : « Nous ne résoudrons pas le problème mondial de la drogue si nous nous contentons de faire reculer la consommation de cocaïne et d'héroïne au profit d'autres substances addictives _ et il en existe un nombre illimité, produites dans des laboratoires des maffias pour un coût négligeable. »(8)

 L'Agence sur les drogues de l'Union Européenne (OEDT) reconnaît que l'Europe est aujourd'hui confrontée à un marché des drogues de synthèses de plus en plus complexe et volatile , reconnaissant aussi que les revendeurs sont désormais extrêmement innovants, qu'il s'agisse des processus de fabrication mis en œuvre , des gammes de produits proposés ou de leur commercialisation. Profitant d'une morale et de législations pusillanimes et défaillantes que le monde peine à corriger, les trafiquants ont réussi à utiliser ces carences juridiques.

 Pour comprendre ce qui fait leur force et favorise leur commerce, il est utile de rappeler que la rigidité des Législations antistupéfiants induit elle-même ce cycle où les trafiquants ont toujours une longueur d'avance sur un appareil répressif ligoté lui-même par les réglementations qui circonscrivent ses capacités de ripostes : Les Lois avec leurs nomenclatures en vigueur déterminent le caractère dangereux et illicite d'un produit végétal ou chimique et induisent en conséquence sa prohibition et donc la criminalisation de l'acte de commercialisation ou de détention ; néanmoins au grand dam de notre sécurité, ces Législations classent et définissent le produit prohibé uniquement en fonction de sa composition chimique, moléculaire.

Suite en page 13