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La révolte des sans-logis

par El Yazid Dib

C'est partout la nuit des cendres, c'est partout la colère en fumée. Le logement se surpolitise et rend la dragée haute à la doléance populaire.

Le logement, l'habitat, la ville, la mal vie forment en définitive un ensemble chaotique dans le cahier des charges publiques. La révolte des sans-logis complique davantage le climat social déjà malsain. Emeutes, bureaux saccagés, sièges de daïra et de mairie pris d'assaut, telle est l'expression populaire face à un déni de droit et d'égalité. Le logement constitue le nœud gordien de tout le corps du développement social. Il continue à composer le socle initial où devait s'asseoir ce bonheur social tant promis et souhaité. Il est devenu au fur et à mesure de la pertinence de la demande, une denrée vitale, générale et commune à toutes les couches. La décision présidentielle de devoir distribuer tout le portefeuille immobilier disponible avant le 30 juin est pour quelque chose dans ce remue-ménage maison. L'affichage à terme échu était un calvaire stoïque pour la circonscription administrative dont l'usage habitable est grandement convoité. Les petites localités n'ont pas pour autant été épargnées. Elles ont eu également leur lot de déception, de pleurs et de révolte. Depuis quand voit-on les ruraux se disputer une boite dans un bâtiment ? Les chefs de daïra dont l'innocence de certains est établie sont jetés en pâture, cependant certains autres sont mouillés immensément dans les noms honnis des listes indésirables. Ils y complaisaient le contournement de la loi et l'intérêt malsain.

Cette liste tant attendue, enfin rendue publique est accrochée comme le sont sur elle tous les yeux. Clouée contre un mur ou un panneau, elle ressemble à un édit osant défier les dix commandements. Elle s'attribue un caractère divin, d'oracle céleste. Elle génère assurément le bonheur suprême dans une expectative résignée et trop tardive dans le moment où elle produit de l'évanouissement, des sit-in, et de la colère et parfois de la mort. Maintenant qu'elle est là, accrochée au-dessus de pauvres têtes sans abris, sans couvre-chefs, elle est moitié fière, moitié déshonorante. Pour la simple raison que sa couvaison a amplement tardé dans les laboratoires d'insémination artificielle, ce qui aurait influé sur le terme de sa mise à bas. L'opération d'accouchement est méticuleuse, très sensible, voire menaçante et dangereuse pour les gynéco-attributeurs. Devant voir le jour, même la nuit, elle est objet à décision « césarienne ». Au sens impérial et romain de la notion. Cette liste, qui croit créer l'immense plaisir, tend à faire renaître des familles et des familles des cendres de l'attente et extirper tout le monde des affres du doute, ou du confort velouté de l'espoir. Avoir un logement, un quelconque F...x, dans une quelconque cage d'escalier dans n'importe quel immeuble, situé à n'importe quelle cité, serait une rêverie idéale, fortement entretenue, documents à l'appui par des recensements, des enquêtes, des comptes rendus. En finalité, le malheur épars et diffus est plus fort que la jubilation. Plus dense et intenable que l'allégresse précisée au nombre des attributions. A l'affichage, à l'absence de son nom, sa filiation ; l'instinct de brûler quelque chose prend subitement de l'ampleur. L'on commence par gueuler fort, lacérer la funeste liste, inciter les badauds à la rébellion. Chacun selon son intrépidité imagine et exécute le moyen le plus à même de le mettre en évidence : tentative de suicide, immolation, prise à partie des agents de l'ordre, du maire, du chef enfin de tout symbole du pouvoir. Le feu tricolore, les enseignes lumineuses, les façades publiques deviennent de véritables déversoirs de cette inextinguible flamme colérique. Des walis en personnes ont été hués et conspués. Ils avaient le jet de pierre derrière leur dérobade. Des présidents d'APW ont laissé un bout de leur chemisette déchirée dans les mains furieuses d'une foule en perte de raison. La commission de partage des logements est vite dévaluée et apostasiée. Elle fait dans la compromission et le favoritisme, quand elle n'agrée que les dossiers sous table. Le chroniqueur de cet espace jurant par tous les tonnerres et par l'unique Dieu affirme connaître biologiquement une vieille femme qui cette année là va faire ses trente (30) ans d'attente d'un logement social. Grand-mère, ses enfants l'ont ce durant rivalisé et attendent aussi leur tour. Pauvre Akila de Tandja el bahdja!

 Cette commission n'avait pas à être présidée par le chef de daïra, considérée à juste titre comme représentant de l'autorité à qui devait aboutir tout recours. Juge et partie ; la partie est difficile. Le président de cette commission, s'il n'est pas biaisé, dominé, contraint, mis sous pression par des forces occultes, ne peut à lui seul assurer la probité, la rectitude, l'égalité et répandre ce faisant la crédibilité utile sur cette maudite ou bénite commission, c'est selon. Sinon la partialité payante et le parti pris pré-récompensé auraient certainement fait des siennes. Néanmoins, le Ramadan 2011 sera paradisiaque pour ces centaines de familles heureuses élues, au moment où l'enfer du zinc et l'angoisse de l'étroitesse continueront à faire germer la colère dans le cœur de ceux ni n'y figurent pas encore.

Et si l'Etat évite carrément de s'investir dans le logement ? Notamment celui qualifié improprement de social. Mais, avant toute chose, faudrait-il encore que cet Etat ait à son compte une franche volonté de vouloir pondre carrément une aussi fraîche politique du logement. Toutes les formules ont été usitées. L'on ne cesse de rabâcher, le LSP, le RHP (résorption de l'habitat précaire), l'évolutif, le rural, le promotionnel, le clos et couvert... comme l'on ne cesse un temps de louer les mérites d'entités, de caisses, de fonds, d'agences, d'offices partant de la CNL, FNPOS, ADEL, CNEPIMMO, EPLF, OPGI... jusqu'aux entreprises chinoises, manœuvres africains et ciments égyptiens ou mortiers siglés Lafarge. Pour qu'ensuite, un autre temps les vouer aux gémonies de l'inefficacité, du manque d'adresse et d'ardeur ou de fraude, contrefaçon ou malversation. Que faire alors messieurs des logements et de l'habitat ? En somme, est-ce que le logement est une affaire de ministre, de wali ou de demandeurs ? Une affaire d'Etat ou de peuple ? Est-elle, cette affaire, celle de finances ou de moyens de réalisation ? D'idée ou de volonté ? D'hommes ou de procédures ? Enfin, de trompe charismatique, de poigne ou tout simplement de discours redondant et rébarbatif ?

Eh bien, en finalité il ne pourrait s'agir que d'un défaut d'ardeur managériale. Le ministère de l'habitat reste totalement en déphasage de l'évolution socio-économique du pays. Les différents ministres en charge de ce poste ont presque tous failli à leur mission. Pas de politique claire et codifiée, pas de vision à long terme, se contentant juste de programmes à échéance réduite, ils n'auraient fait les pauvres que dans le sillage de la conjoncture. Tous les lots de logements construits ou à faire sont le fruit d'une campagne électorale au moment où ils doivent être d'abord le produit d'une réflexion spécialisée, préétudiée et concertée. Ce département tend à faire asseoir son handicap sur la problématique de l'assiette foncière. Pourtant le terrain ne semble pas constituer une tourmente pour les gouvernements. Ce foncier est devenu, par manipulation financière l'une des plus importantes sources d'enrichissement. Légal ou illégal, il continue d'attirer les appétences des compétiteurs. Le sens insouciant que concède la désinvolture des gestionnaires fonciers, obscurcit parfois la tonalité d'un discours de traque et de lutte contre les dilapidateurs des réserves vitales. Les propos lancés dans ce sens, par certains walis ou élus nationaux somme toute enrobés de brouille politicienne ou d'envie égocentrique de se faire voir tel un justicier châtiant les méchants et préservant la terre ; rejoignent sans façon aucune toutes les oraisons des chantres du nationalisme et des choristes du système mélodramatique. Il n'y a plus de lopins viables. Tout a été en une décennie, bradé, vendu et revendu, autant de fois et de fois. L'on s'attaque après cela aux terres agricoles. Les CALPI, comités techniques, L'APSI, avaient fait naître sans douleur, une nouvelle caste de richissimes potentats. Sous une dénomination pompeuse d'industriels, d'investisseurs, de promoteurs et à l'aide d'une loi et de beaucoup de textes, des usines, manufactures, minoteries et autres subterfuges ont vu le jour en pleine nuit du chaos national. Le fisc crie au holà, les douanes crient à la contrefaçon. La plupart n'étant encore que sur papier. La complicité et le laxisme d'une administration fragilisée, première victime du désastre national avaient aidé à accélérer le rythme de l'effondrement.

 Le logement devient ainsi un levier politique. Convoité, il continue, peu être à bon escient, de faire la source la plus indiquée pour faire de l'émeute ou marquer sa grogne sociale, après le sucre et l'huile. Des doutes subsistent quand à penser qu'il est la seule revendication, en ces moments de révolutions, capable de générer des foules. Loin d'une revendication purement politique. L'on veut chasser le chef de daïra ou faire la peau au maire. Mais pas au noyau dur qui réfléchit, centralise, et canalise le logement, ses tenants et aboutissants. Derrière chaque logement se cachent des fortunes et des misères. La fortune des magouilleurs, l'indigence de l'ouvrier, de l'artisan et du quémandeur non servi. Le logement en fait ne se confine pas ainsi à une simple cellule architecturale d'un F à chiffre déterminé. il est une équation diabolique. Il vient certes combler un déficit de quiétude et de bien être, mais aussi remplir les poches. Il reste aussi l'objet idéal qui laisse fantasmer des familles en devenant une promesse préférée dans la bouche des gouverneurs. Le wali d'Alger, en annonçant 12O OOO logement d'ici 2O14 croit ternir en patience un tant soit peu la tension qui agite ses administrés, qui ne voient que des passe-droits venus d'ailleurs leur piquer l'assiette. On a tous une idée du logement, principalement à Alger. Que dire alors de cette distribution faite à Zeralda en autorisant son wali délégué à prendre les airs de ses congés, laissant l'éventualité d'une mésaventure émeutière à un intérimaire irresponsable de la chose ? Ailleurs, le scénario est presque identique. Quand on voit à El Eulma des citoyens de Chlef remis sur une liste, à El Tarf des femmes jeunes et célibataires, à Relizane des gens aisés, et ainsi de suite, l'on peut se faire beaucoup de soucis. A Ain Témouchent l'injustice a fait intervenir la ligue des droits de l'homme assenant aux pouvoirs publics l'ordre d'approfondir les enquêtes. Les mal-résidents de la cité Boussakine à Mascara, victime du déluge de 1963 crient sans décolérer leur supplice pour un logement décent. Le wali doit dépasser pour ce faire son p'tit gabarit de subdivisionnaire sans trop de « bombardement » cette fois-ci. En fait si toutes les wilayas sont touchées par ce marasme généralisé, c'est que certains walis se sont juste contentés de recourir à la réquisition de la force publique. Les brigades anti-émeutes ne peuvent longuement faire office de justicier quand la justice à l'origine fout le camp. A El Kala on parle de la liste « de la honte », le wali croyant bien faire, place dans un camouflet humiliant le président de l'assemblée populaire de wilaya en le délestant de la réception des recours des citoyens exclus, les conférant ainsi au Directeur de l'action sociale. Cet acte d'autorité n'a rien de républicain, du fait qu'il décrédibilise une institution élue, censée être au-dessus de la mêlée et entretien un flou sur le DAS, placé sous la hiérarchie directe du wali. Donc le chef de daïra, président de la commission d'attribution était-il placé sous quelqu'un d'autre pour le remplacer après coup par un autre ? Démagogie et populisme. BBA n'est pas en reste de ce zèle en mal d'égo-amour dont les listes ont été faites et refaites sur l'injonction de potentats électroniques minant la composante commissionnelle. Qui a dit que la télécommande n'est qu'un mode de gouvernement télévisuelle alors qu'elle s'incruste légèrement dans la commission mais aussi dans le cabinet. A Bechar cependant, le wali demeure semble tranquille tant que son portefeuille est indigent. Il n'aurait presque rien à donner par défaut de disponibilité. Question d'héritage et de legs dites-vous.

L'habitat en général manque encore d'une maturité politique dans sa globalité. Le logement est ainsi et le restera pour longtemps le souci majeur et controversé dans le développement de la société. Il est au centre de toute la problématique nationale. Mêmes les dernières assises de l'urbanisme n'ont pas eu l'air d'avoir rapporté un peu d'air frais dans les chemises d'idées et de dossiers. Construire c'est créer. Démolir pour bien construire est parfois vital. Bien construire c'est bien habiter, diraient les avertis. Bien construire c'est envahir tout le terrain, diraient les rationalistes mercantiles. Mais construire n'est jamais détruire le beau, anéantir l'historique, ou putréfier le naturel ! Alors ceci demeure un autre aspect du logement. Les cités ne ressemblent à rien, sauf à des mouroirs.

 Et c'est vrai lorsque l'on pense que la ville et ses logements se construisent déjà dans ces rames de papiers que constituent les dossiers administratifs d'octroi de différents permis, arrêtés, décisions, autorisations, permissions,certificats tant pour construire, démolir, modifier, clôturer, agrandir ou réceptionner. Autrement dit ; la ville se fait construire, démolir ou modifier petit à petit par les actes de gestion de ceux qui sont investis du pouvoir de signature de ces effets. Mais l'on sait tous et d'emblée que l'acte administratif délivré n'est que légal et réglementaire. Quant à son application sur un lopin de terre, on est loin de la conformité et de l'authenticité physique et matérielle. Contrôle, suivi, redressement ? Très rarement. Aussi est-il à constater que dans chaque ville, existe une partie urbanisée, disons au mieux construite ; que l'on attribue involontairement à tel wali ou à tel autre. Chacun y laisse son empreinte. Pourvu qu'elle soit belle et jolie.

Une nouvelle approche, dépolitisée, désadministratisée, débureaucratisée et largement privatisée réduirait à grande échelle la crise qui obstrue le chemin à l'accès de cette clef sésame. L'Etat qui produit le fromage et le yaourt, qui usine le ciment et qui donne le logement doit disparaître. Le logement, la gestion de la ville doivent être l'apanage d'un secteur privé hautement professionnel et sain. L'Etat ainsi interviendra comme à travers le monde par le truchement des aides personnalisées au logement. « La débilité de la politique actuelle » doit cesser. Ainsi la révolte des sans-logis, même si elle n'arrive pas à se réaliser, aura l'audace de compliquer davantage le climat social déjà malsain.