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LE PRINTEMPS ARABE ET CES PRIVATISATIONS QUI SE PROFILENT

par Akram Belkaid, Paris

300 milliards d’euros : c’est le montant estimé par la Banque européenne d’investissement (BEI) en matière d’investissements nécessaires au sud de la Méditerranée pour développer et moderniser les infrastructures et l’énergie d’ici 2030. Ce chiffre peut paraître impressionnant mais à bien y regarder ce n’est pas grand-chose en comparaison des centaines de milliards d’euros échangés chaque jour sur les marchés financiers ou des 150 milliards d’euros qui vont être déboursés pour sauver la Grèce ou bien encore des fortunes envolées en fumée durant la crise de 2008.
Peu d’argent pour le sud de la Méditerranée
Pour autant, il va bien falloir trouver cette somme si l’on veut que le sud de la Méditerranée soit capable de faire face à l’augmentation de sa population mais aussi de sa consommation énergétique. La question est d’autant plus délicate que certains pays comme la Tunisie et l’Egypte se sont engagés dans une incertaine transition démocratique qui ne pourra réussir que si les performances économiques sont au rendez-vous. A ce sujet, et c’est la conséquence directe des révolutions de janvier et février, il faut savoir que le taux de croissance tunisien a reculé de 4% au premier trimestre tandis que celui de l’Egypte a chuté de 7%.
Sollicité pour fournir une aide conséquente, l’Occident fait savoir de manière plus ou moins tranchée que ses caisses sont vides. Au dernier G8, les pays les plus riches de la planète ont promis 20 milliards de dollars via les institutions financières multilatérales et cela sur une durée de deux ans. Mais quand on sait que la Tunisie estime ses besoins à 15 milliards de dollars pour les deux à trois prochaines années, on se rend compte de la modicité de la somme mise sur la table par le G8.
A Tunis, comme au Caire, on espérait un vrai plan Marshall et il est évident que les promesses ne sont pas à la hauteur des attentes. Plus symbolique encore, il semble bien que le projet de Banque méditerranéenne soit définitivement enterré. La BEI – qui va offrir 6 milliards d’euros de prêts d’ici 2013 – mais aussi la Banque européenne de reconstruction (Berd), dont le mandat vient d’être étendu au sud de la Méditerranée, seront donc les principaux organismes prêteurs aux côtés du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
L’abandon du projet de Banque méditerranéenne en dit long sur la manière dont l’Europe voit le sud de la Méditerranée. En 1991, quand l’Est du Vieux continent s’est libéré du rideau de fer, les Européens de l’Ouest se sont dépêchés de créer la Berd pour accompagner la transition des pays de l’Est et de l’Asie centrale vers la démocratie et l’économie de marché. A l’inverse, et alors que la Tunisie et l’Egypte sont en transition et que l’air du changement flotte dans le reste du monde arabe, il est acquis que les pays sud-méditerranéens n’auront pas «leur» banque de reconstruction et de développement.
Les privatisations dans les tuyaux
La raréfaction de l’aide financière est, par ailleurs, une bonne nouvelle pour les grands groupes privés internationaux. Pour s’équiper, les pays d’Afrique du Nord n’auront pas d’autre choix que d’opter pour des partenariats public-privé (PPP). Dans ce type de montage, l’entreprise privée finance, construit puis exploite sur une certaine durée un service public (eau, énergie,…) pour le compte de l’Etat ou de ses collectivités. En bref, il s’agit d’une privatisation, fût-elle temporaire, qui ne dit pas son nom et qui semble donc être le modèle que le Nord de la Méditerranée entend imposer aux pays de la rive Sud. Finalement, ce qui se joue actuellement, n’est rien d’autre que l’organisation du retrait des Etats sud-méditerranéens de leurs économies.