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Affaire Strauss-Kahn, FMI et démocratie

par Djamel LABIDI

Des révolutions arabes aux «indignés» de Madrid, en passant par le FMI et son ex-directeur général: Dominique Strauss-Kahn, c'est comme si l'actualité se chargeait elle-même de symboles, et voulait mettre un trait d'union entre les évènements.

A Madrid, la place de la Puerta del Sol a des airs de ressemblance avec la place Tahrir, telle un pont lancé entre les peuples arabes et l'Espagne. Les gouvernements occidentaux voulaient donner en exemple leur démocratie aux pays arabes et voilà que c'est un pays occidental qui prend exemple sur les luttes démocratiques en Tunisie et en Egypte. Là c'était la critique de la dictature, ici c'est celle des démocraties en trompe l'œil où jamais rien ne change. En Egypte et en Tunisie, comme en Espagne, en Grèce et.., la liste risque de s'allonger, les manifestants font la critique du système, de tout le système. Ils disent au fond la même chose : le peuple veut le pouvoir. «Le peuple veut..» ces mots semblent devoir faire le tour du monde. L'Etat en Espagne, comme en Grèce, comme au Portugal, comme en Irlande, comme peut être en Italie, et en France demain, est en faillite financière, et les responsables de cette faillite veulent la faire payer aux peuples. Ce ne sont plus des pays africains ou autres du «Tiers monde» qui sont harcelés, agressés par le FMI. Ce sont maintenant des pays européens. Le FMI est-il en train d'unir le monde.

LES PREDATEURS

Justement ! Il y a comme un symbole dans cette accusation d'agression sexuelle portée contre le Directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Beaucoup de femmes occidentales l'ont accusé d'être coutumier du harcèlement sexuel. Les pratiques du FMI contre les pays pauvres ou fragiles ne sont-elles pas aussi une forme de harcèlement, mais économique, sans aucun état d'âme pour les souffrances sociales des peuples qui en sont victimes. Entre le viol de cette femme de chambre, noire, venue d'Afrique, gagner sa vie dans un hôtel de New-York, et l'agression économique ou militaire de pays faibles, sans défense, il y a la même logique, la même négation de l'humain. Il y a une barbarie, qui apparaît vite derrière le vernis de civilisation. Il y a, ici, un prédateur, et là, des Etats prédateurs. Il y a la même puissance, sûre d'elle même, persuadée de l'impunité, tant au niveau, ici, de l'individu que, là, de ces Etats qui s'enivrent de leur puissance militaire.

On pourrait ainsi, poursuivre le parallèle entre la barbarie d'un individu et celle d'un système.

En France, avec l'affaire Strauss-Kahn, les Français découvrent, sidérés, la personne qu'une intense campagne médiatique leur proposait d'élire à la tête de leur pays en 2012. De scandale sexuel, le scandale devient politique. Il jette une lumière crue sur le côté obscur de la démocratie française, de ses mœurs et de ses réalités. L'affaire dévoile notamment le vrai visage de la classe mediatico-politique dirigeante en France, aux yeux d'une opinion stupéfaite.

DU MEME MONDE

C'est Robert Badinter, ex ministre de la Justice de la France, initiateur de la loi sur l'abolition de la peine de mort, juste parmi les justes, homme respecté s'il en est, et l'un des hommes politiques les plus médiatisés, qui se rue au secours de son ami Strauss-Kahn. Sur le plateau de la chaine de télé française, France 2, le 19 Mai, il s'écrie, furieux, qu'il se méfie d'autant plus des juges américains qu'ils sont élus, qu'ils auront donc tendance à vouloir plaire au peuple, et que les jurys populaires américains auront eux tendance à «vouloir se payer» un homme riche et puissant. Il dit, ému, qu'il pense avant tout à l'épouse de Dominique Strauss-Kahn, à sa famille. Lorsqu'il s'arrête de parler, il est trop tard: il comprend, au silence glacé du plateau, qu'il est allé trop loin. L'un des présents lui dit alors «mais vous n'avez pas eu un seul mot pour la victime». Celui qui va le plus se mobiliser pour Strauss-Kahn est le très médiatisé, Bernard Henri Lévy. Il va présenter Strauss Khan comme victime et transformer, au nom de la «présomption d'innocence», la victime, elle, en coupable, comme d'ailleurs toutes celles qui ont eu à subir les assauts de Strauss-Kahn . De l'une de ces femmes, Il écrit que « sentant l'aubaine, (elle) ressort son vieux dossier et vient le vendre sur les plateaux télé». (Journal français, «Le point», «Le Bloc notes de Bernard Henri Lévy»,16 mai 2011). Il n'a pour toutes ces femmes que propos méprisants, lui si prompt au féminisme lorsqu'il s'agit de l'Iran, de l'Afghanistan, bref d'un pays arabe ou musulman. De la même manière qu'il prétend que « les bombardements humanitaires » se font avec le consentement des populations, en Afghanistan et ailleurs, il suggère, ici, qu'il n'y a pas eu viol mais consentement mutuel. Bernard Henri Lévy est un «homme de gauche», défenseur du droit d'ingérence au nom des droits de l'homme. Comme Badinter, il reproche vivement, au juge américain d'avoir «fait semblant de penser (de Strauss Khan) qu'il était un justiciable comme un autre» (idem-journal «Le point», 16 mai 2011). Sans crainte du paradoxe, il explique que Dominique Strauss-Kahn est victime de sa richesse et de sa célébrité. En Octobre 2009 et en Avril 2010, Bernard Henry Lévy avait défendu, presque avec les mêmes mots, le cinéaste Polanski condamné pour avoir violé, lui, une fille de 13 ans, et qui s'était enfui des Etats unis vers la France, pour échapper au jugement et à la peine. A l'époque, Bernard Henri Lévy, avait mobilisé de la même façon la classe médiatique-politique française, dont Frédérique Mitterrand, le ministre français de la culture français, au service de cette cause bien glauque. Pourquoi. Parce que probablement, Polanski, comme Strauss Khan, est une victime née puisqu'il a échappé au Ghetto de Varsovie, et qu'ils sont des victimes quoiqu'ils fassent même s'ils se transforment en bourreaux. Bernard Henry Lévy n'a jamais eu un mot de compassion pour les enfants du « Ghetto » de Gaza, qui, comme ceux de Varsovie, devaient creuser sous le mur pour aller chercher leur nourriture. Bernard Henri Lévy a, en point commun avec Strauss-Kahn, le même fervent lobbying en faveur d'Israël. Voici d'ailleurs ce que déclarait Dominique Strauss Khan en 1991 (au mensuel « Passages ») : « Je considère que tout Juif dans la diaspora, et donc en France, doit partout où il le peut apporter son aide à Israël. C'est pour ça d'ailleurs qu'il est important que les Juifs prennent des responsabilités politiques? »

Sur l'affaire Strauss-Kahn, Jacques Lang, ancien ministre français de la Culture, intervient aussi et donne le sentiment de minimiser les faits en déclarant «qu'il n'y a pas mort d'homme». Jean François Khan, l'ancien directeur de l'hebdomadaire français «Marianne», lui, parle de «troussage de domestique» au sujet de l'agression contre la femme de chambre de l'hôtel Sofitel de New York. Bref, toute la classe mediatico-politique se mobilise, dans un reflexe de solidarité autour de Strauss- Khan. Chez chacun, au sein de cette classe, il y a une sorte de réaction d'identification à Strauss-Kahn. D'où l'émotion, la déstabilisation qu'ils ressentent à cette affaire.

 Beaucoup, aveuglés comme l'a été peut être Strauss-Kahn, par de vieilles habitudes, celles du pouvoir, de l'influence, et de l'impunité, irrités qu'on puisse les traiter comme «tout le monde», perdent toute prudence dans leurs propos. « Les gens » en France les regardent, les écoutent, médusés, étonnés, trahir par leurs propos leur distance du peuple ou même leur mépris à son égard. Le président Sarkozy gardera, lui, prudemment le silence, pouvant trouver probablement une satisfaction dans la chute de son principal concurrent aux prochaines élections présidentielles françaises. Mais n'appartient-il pas lui aussi au même monde que Dominique Strauss-Kahn puisqu'il a été son principal appui pour sa nomination à la direction du FMI. « Le même monde », c'est peut être l'expression qui convient mieux ici que celle de classe, pour expliquer l'unité et la solidarité de ce milieu. Mais l'argent est toujours là comme l'un des éléments d'explication des convergences des élites dirigeantes françaises. En effet, à la faveur de cette affaire, l'opinion française découvre le luxe dans lequel vit « le militant socialiste » Strauss-Kahn, comme directeur général du FMI, avec en outre une fortune qui serait celle de son épouse, comme veulent le souligner des responsables du parti socialiste français, mais qui, en tout cas, lui servira à mettre les ressources de l'argent au service de « son innocence ».

LES AMIS

Bernard Henri Lévy est l'ami de Badinter, qui est l'ami de Strauss- Khan et de son épouse, laquelle est l'amie de Jean François Khan, qui est donc de ce fait l'ami de Strauss-Kahn qui est l'ami de Bernard Henri Levy, qui est l'ami de Nicolas Sarkozy, qui est l'ami de... Ouattara de la Côte d'Ivoire, qui était directeur général du adjoint du FMI, dont Strauss-Kahn est ou était le directeur général dans cette longue chaine où tout le monde est l'ami de chacun, de la droite à la gauche officielle, dans cette république où les relations intimes se mêlent aux relations politiques dans un enchevêtrement inextricable. Au début de la révolution tunisienne, on avait découvert les relations intimes de bien des représentants de l'establishment français avec le régime de Ben Ali. C'est le cas aussi de Dominique Strauss Khan : en 2008, il est décoré des insignes de grand officier de l'ordre de la République par le président Ben Ali. La même année, il est décoré aussi par le roi Mohamed VI de l'ordre de « Ouissam Alaouite ».

 On a peut être là une possibilité d'explication de cette atmosphère si particulière, qui fait qu'en France actuellement, à la une de l'actualité, tout se mêle, affaire Strauss Khan et révolutions arabes, sexe, FMI, démocratie et politique, pour créer ces interrogations des élites dirigeantes sur elles mêmes, leur sentiment d'inquiétude et de déstabilisation.

 Les révolutions arabes sont venues, culturellement, bousculer leur vision européocentriste ; le surgissement des masses arabes sur la scène arabe les inquiète politiquement tandis que l'affaire Strauss Khan intervient simultanément pour remettre en cause, par un biais inattendu, la place et le rôle des élites dirigeantes françaises. Les régimes occidentaux avaient tissé des relations intimes avec les régimes autocratiques et dictatoriaux dans le monde arabe et ailleurs. Aujourd'hui, dans un effort de relooking, ils prennent partie pour la démocratie, du moins là où ils y voient finalement un avantage. Mais les révolutions démocratiques arabes semblent revenir comme un boomerang sur l'Occident. La critique des régimes antidémocratiques arabes encouragée, applaudie, par les médias occidentaux revient vers l'Occident sous la forme d'une critique des démocraties occidentales et de leurs limites démocratiques. L'épidémie démocratique va-t-elle se transformer en pandémie. Gageons que les puissances occidentales auront alors finalement hâte que tout cela se termine.