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A propos de la position algérienne sur la crise libyenne

par Mohand Bakir

De nombreux patriotes s'inquiètent devant la position algérienne sur le dossier libyen. Exprime-t-elle une démarche cohérente de défense de nos intérêts nationaux? Ou cède-t-elle à d'autres intérêts, inavouables, qu'il faut débusquer derrière les camouflages et autres rideaux de fumée ?

Le ministre des Affaires étrangères malgré ses multiples interventions ne réussit ni à rassurer, ni à convaincre une opinion publique inquiète et désorientée par une position qui lui parait brouillée. Dans la presse, des articles se multiplient pour dire cette incompréhension.

Les révélations sur des tensions antérieures avec le leader libyen; les prises de positions de militaires en retraites, dans le cadre des débats du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (Crss), et nombre d'autres avis s'accordent pour dire que la position algérienne est confuse et illisible; ou, pour le moins, mal défendue. Mais ces inquiétudes portent-elles sur ce qu'il y a de réellement problématique dans cette position ? S'il y a mollesse et inconséquence de la part de la diplomatie algérienne est-ce dans la communication de la position arrêtée ?

Les réserves exprimées reflètent le profond malaise qui marque notre société. Elles illustrent le fossé qui sépare les gouvernés et les gouvernants; elles n'amorcent pas pour autant le débat, vital, qui aurait dû s'enclencher au moment même du basculement de la situation libyenne, les 19-20 février 20111. Un moment à partir duquel les pouvoirs publics algériens se devaient de prendre conscience du glissement de cette question du registre de la politique étrangère à celui de la sécurité nationale.

Ce glissement s'est opéré dès lors que le «fou de Tripoli» avait fait preuve de détermination à se maintenir au pouvoir. Cela s'est traduit par le déploiement d'une aviation de guerre et d'une artillerie lourde pour réprimer, dans le sang, une population désarmée qui n'a fait que manifester pacifiquement son désir de changement de régime. El Kadhafi montre ainsi qu'il ne recule devant rien pour rester au pouvoir, quel qu'en soit le prix pour les Libyens et la région. C'est à la tête d'une armée de mercenaires qu'il proclame sa volonté de dompter les Libyens « zenqa, zenqa ». À partir de là, la gravité et la nature de la question libyenne ne peuvent échapper à personne, et surtout pas à ceux qui sont en charge du sort de notre pays. Les conditions d'une crise majeure en Libye et dans la région sont réunies. Le pire des scénarios se déroule sous nos yeux, porteur de menaces et dangers.

Le choix génocidaire d'El Kadhafi met aux prises les tenants du pire. Ce choix jette les bases d'une escalade armée sanglante. Désormais, toutes les forces porteuses d'une issue politique à la crise se retrouvent soumises aux pressions des courants guerriers.

Au plan régional, l'aventurisme du Néron de Tripoli, ouvre à la mouvance du GSPC des perspectives d'extension et de renforcement de ses capacités d'action; peut-être même, d'une potentielle jonction avec des segments de la société libyenne. Au plan international, il offre aux États-Unis d'Amérique, et aux puissances occidentales une opportunité de redéploiement dans cette partie du continent. C'est sans surprise que subversion islamiste et puissances impériales occidentales s'invitent dans la crise libyenne pour mettre en branle leurs plans respectifs.

Loin de ces évidences, le pouvoir algérien se montre insensible à la détresse des populations de Libye. Négligeant les risques majeurs qui pèsent sur la sécurité de l'Algérie, il se cramponne à une incompréhensible «approche diplomatique conforme à ses positions traditionnelles». Les risques avérés d'extension du terrorisme islamiste. Les prétentions impériales d'un occident toujours aussi conquérant dans la réalisation de ses intérêts, l'effondrement d'un état avec lequel l'Algérie partage une frontière longue de plusieurs centaines de kilomètres, dont la majeure partie se trouve sur la bande sahélienne abritant, depuis quelques années, une nouvelle distribution du grand jeu? sont autant de facteurs majeurs qui n'ont en rien ébranlé les certitudes de notre diplomatie. Elle ne ressent aucun besoin de s'interroger et ne voit dans cette nouvelle situation aucune raison d'innover.     Devant une situation totalement inédite elle dit reconduire ses positions traditionnelles, et affirme une fidélité sans faille à une orthodoxie diplomatique fossilisée à laquelle aucune évolution, aussi majeure soit-elle, ne peut insuffler un soupçon de vivacité.

Que les transitions Tunisienne et Égyptienne, nonobstant les évolutions qu'elles induisent sur la scène régionale, et l'importance de leurs impacts sur la scène politique nationale, soient perçues comme des questions de politique étrangère est à la limite recevable. Mais que l'évolution catastrophique de la crise libyenne soit traitée de la même façon défie toute rationalité. Cette dernière demande des prises de responsabilités courageuses et déterminées à même d'éviter l'apparition d'un point d'instabilité durable dans la région.

La position algérienne est, de ce point de vue, loin des impératifs. Au final, elle ne contente que les acteurs étrangers à la région. Elle suscite inquiétude à l'intérieur du pays et animosité chez les acteurs libyens. Une position perdante sur les deux fronts Libyens, et qui coupe l'Algérie non seulement des protagonistes de la crise, mais surtout du peuple de Libye, lui-même. Il y a, donc, un réel besoin à interroger cette position et à en déterminer la finalité «vraie».

La position du pouvoir algérien est remarquable par son décalage par rapport à la situation. Elle apparaît comme un mélange singulier des deux approches, opposées, qu'il est donné aux Algériens d'adopter. Ni souverainiste, ni interventionniste; elle concocte un mix des deux. Exprimée à l'opinion nationale, elle est souverainiste. Explicitée à l'opinion internationale elle se révèle interventionniste.

À l'intérieur du pays, le discours de l'alliance islamo-nationaliste tente d'enfermer l'opinion publique dans une fausse problématique de conformité à « la ligne diplomatique traditionnelle ». Elle ressasse à satiété les immuables principes fondateurs de l'action diplomatique algérienne, sans les rapporter aux réalités concrètes de la crise présente : le respect des souverainetés, le principe de non-ingérence, celui de l'autodétermination des peuples, et de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.

L'impasse est faite sur les massacres de populations civiles, sur la responsabilité de la communauté internationale et ses outils de traitement de crises similaires. Tout est réduit au respect d'un État voisin et à la circulation d'armes récupérées par les groupes islamistes ou des contrebandiers.

La partie du discours présidentiel du 15 avril, consacrée aux « mutations en cours sur la scène internationale », est à cet égard édifiante. Censée aborder la conjoncture régionale elle se révèle redondante des appréciations sur des thèmes de politique nationale. On y relève que si nous vivons « dans une société pluraliste » où « il est tout à fait naturel que des courants se préoccupent des vents de changement qui soufflent sur la région. », il n'en demeure pas moins que « les positions des forces politiques imprégnées du sens nationaliste qui bannissent toute ingérence dans les affaires des autres et rejettent, en contrepartie, toute ingérence étrangère dans les leurs. » Reste « la position de la majorité écrasante de notre peuple », qui « est en droit de s'exprimer quand la stabilité du pays est menacée. ». Une approche explicitée par Said Barkat, à ce point imprégné des valeurs nationalistes qu'il en est arrivé à déchoir ses contradicteurs de leur algérianité. Heureusement que Mr Bouteflika, contraint par la fonction qu'il occupe, ne peut se permettre, de façon directe, d'aller jusque-là dans son penchant à cette position.

L'Algérie s'interdit donc toute ingérence dans les affaires de son voisin. Elle devrait, en toute conséquence, dénier cette ingérence à toute autre partie. Pourtant, sur la scène internationale la position algérienne accepte et soutient les résolutions 1970 et 1973 du conseil de sécurité de l'ONU.

Des résolutions fondées sur un principe décrié par notre diplomatie et qui énoncent«l'obligation de protéger». La position, Bouteflika-Medelci, puisque c'est eux qui sont en charge de la diplomatie algérienne, tend à réaliser des objectifs complémentaires dont la finalité est de se prémunir contre la vague de soulèvements populaires qui déferle sur l'Afrique-du-Nord et le Moyen-Orient. Ils ne travaillent qu'au maintien du système en place. La surenchère souverainiste, sur la scène nationale, entend mettre sur la défensive et contenir les forces du changement à l'intérieur du pays. Ainsi, toute dissonance à la position officielle de l'Algérie, est ipso facto suspectée de manque d'imprégnation des valeurs nationales !! Cette surenchère nationaliste s'accommode pourtant, sans grand mal, de l'intervention occidentale dans le cadre des résolutions 1970 et 1973 du conseil de sécurité de l'ONU.

Le souci n'est pas tant le respecter de la légalité internationale que le maintien, voire le renforcement du modus vivendi préexistant avec les puissances interventionnistes. Ce qui apparaît clairement dans les prétendues «réserves» algériennes émises lors du débat au sein de la ligue arabe.

À la réunion de la ligue arabe, l'Algérie avait émis des réserves procédurales, sans la moindre opposition de principe à l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne. La presse, dans un certain empressement, en a fait un soutien à Khadafi. Cette méprise, et les accusations que porte le CNT Libyen à l'encontre de notre pays, font l'affaire d'Alger qui s'en saisit pour en faire un écran de fumé à sa position réelle. En rappelant « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale » dévolue au conseil de sécurité, l'Algérie s'est opposée à une radicalisation de la ligue arabe comme acteur dans l'intervention multilatérale en Libye. Manifestement, il importe à notre diplomatie que l'établissement de la zone d'exclusion soit le fait exclusif du conseil de sécurité et qu'elle ne soit en aucun cas la conséquence d'une position courageuse de la Ligue arabe. Une plus grande détermination de la ligue arabe dans la protection des populations Libyennes serait apparue comme un acquis des transitions Tunisienne et Egyptiennes. Une véritable avancée qui aurait placé cette organisation dans une autre position face à l'intervention onusienne.

La ligue aurait été partie prenante dans la constitution de la coalition internationale. Situation intéressante qui aurait permis aux Etats de la région une certaine prise sur la définition des objectifs opérationnels de la coalition. Elle leur aurait permis également de faire de leurs participations un garde-fou devant les traditionnelles velléités d'instrumentalisation des Nations unies par les grandes puissances. Cela passerait, bien sûr, par la participation des armées de la région à la mise en œuvre des résolutions du conseil de sécurité.        

 Une telle éventualité est toutefois fortement problématique pour l'alliance Bouteflikienne. Elle contrarierait l'évolution policière que l'alliance imprime à la bureaucratie algérienne. Les choix répressifs du pouvoir algérien posent de plus en plus comme un impératif la réduction du rôle et de l'autorité de l'institution militaire. Pour l'alliance islamo-nationaliste, l'implication de l'ANP, dans la protection de populations civiles d'un pays voisins, ne peut qu'ancrer celle-ci dans un processus de changement démocratique et la couper un peu plus des stratégies de maintien de la bureaucratie autoritaire en place. Bouteflika ne peut s'y résoudre.

Il apparait donc clairement que l'impératif de survie du système bureaucratique rentier a fini par se poser comme une finalité en soi. Il s'oppose à la préservation de la souveraineté et de la sécurité nationale. Devant le choix exclusif entre sa sécurité et celle de la Nation, le système a choisi sans hésiter, et sur toute la ligne, de préserver la sienne.

Un autre positionnement était possible. Un positionnement déterminé aux côtés du peuple Libyen. Devant sa détresse, l'Algérie se devait de peser pour l'émergence d'une solution nationale et pour l'isolement des irréductibles des deux bords, à commencer par le clan Kadhafi. Elle devait élever sa voix et exiger l'arrêt immédiat des massacres inacceptables au regard du droit et des principes universellement reconnus de défense des droits de l'homme. Sa condamnation de l'usage d'armes de guerre qui, utilisées face à des populations civiles, sont des armes d'extermination, n'aurait pas dû souffrir de la moindre hésitation. La folie du Néron de Tripoli, la menaçant en premier lieu, elle aurait dû attester de son illégitimité, et mobiliser tout son potentiel pour mettre un terme rapide et déterminé à sa dérive. Son devoir était de tendre une main généreuse à tous ceux qui pouvaient contenir l'horreur et ouvrir la voie à une solution nationale Libyenne. Elle se devait de se porter aux premiers rangs des aides du peuple Libyen car, au-delà de son apparat humaniste, l'engagement occidental dans toute crise est toujours intéressé.

Non seulement il tend à réaliser les intérêts particuliers de ces puissances ; mais, dans le cas de la Libye, il a aussi toute les chances d'aboutir à une présence militaire durable dans la région.

Une surenchère interne intimidante et menaçante, qui contraste avec un effacement suiviste sur la scène internationale : voilà à quoi se résume la position algérienne. Mais que faut-il attendre d'une alliance dont l'un des membres les plus en vue ne nourrissait envers la transition Tunisienne d'autre ambitions que d'accorder un accueil officiel, triomphale, à Monsieur Ghenouchi avant son retour à Tunis ?

*Citoyen algérien

Notes

1-18 février - 14 morts à Benghazi-; 19 février - tirs de l'armée à balles réelles, implications de mercenaires; 20 février - Tirs à l'arme lourde à Benghazi, Discours du fils

de Kadhafi qui a menacé les Libyens d'une guerre civile-; 21 février - début de défection de hauts

responsables libyens -.