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BOEING ET AIRBUS OU L’ILLUSION DE LA CONCURRENCE PARFAITE

par Akram Belkaid, Paris

Ce dossier est l’un de ceux qui illustrent le mieux les limites de la doctrine de la concurrence parfaite dans une économie dite ouverte. Il s’agit de la bataille permanente que se livrent les deux constructeurs aériens Boeing et Airbus à propos des aides et autres soutiens financiers dont ils bénéficieraient de la part des Etats-Unis pour le premier et des pays européens pour le second. Des aides qui constitueraient une distorsion à la concurrence, ce qui explique pourquoi ces deux concurrents, qui représentent plus des deux tiers du marché mondial de l’aviation civile, s’écharpent régulièrement à l’OMC. C’est en effet à l’Organisation mondiale du commerce de statuer sur ces bisbilles puisqu’elle est en charge de la lutte contre toutes les formes de protectionnisme.

Une bataille convenue

Début avril, l’OMC a ainsi donné raison à l’Union européenne (UE) dans ses plaintes contre les aides accordées par les Etats-Unis à Boeing durant plusieurs années. Des aides jugées illégales et évaluées à 5 milliards de dollars. De quoi faire pavoiser les responsables européens qui estiment donc avoir prouvé que l’Etat américain fausse la concurrence entre les deux avionneurs.
De son côté, Boeing rappelle que l’OMC a aussi jugé en juin 2010 qu’Airbus bénéficie de « subventions illicites » sous forme d’avances remboursables par les gouvernements européens. A l’époque, l’organisation de Genève n’avait communiqué aucun montant mais Boeing et les officiels étasuniens avancent, aujourd’hui encore, le chiffre de 20 milliards de dollars.
Notons d’abord que si l’OMC a imposé à Airbus de rembourser les aides, elle n’en fait pas de même avec Boeing, se bornant juste à « recommander » au gouvernement américain de mettre fin à son soutien financier. Il faut aussi ajouter que l’affaire est loin d’être terminée puisque les deux parties ont de nouveau déposé plainte, ce qui implique une nouvelle (et longue) procédure.
La stratégie est évidente. Il s’agit pour les deux constructeurs de gagner du temps et de faire en sorte que leurs nouveaux programmes ne soient pas tout de suite soumis aux restrictions de l’OMC.
Mais quelles que soient les injonctions de cette organisation, il y a peu de chances pour que les Etats-Unis et l’Europe cessent de soutenir leurs champions aéronautiques. Dans un marché de plus en plus concurrentiel, marqué par les exigences des clients en matière d’appareils économes en carburant et de plus en plus sophistiqués, la recherche et le développement coûtent cher. C’est ce qui explique que l’argent du contribuable soit le bienvenu, d’autant que l’industrie aéronautique est aussi un grand employeur qu’il faut donc protéger coûte que coûte en ces temps de crise globalisée.
Dès lors, on se demande pourquoi tout ce beau monde continue à feindre de croire que la concurrence parfaite entre les deux constructeurs est un but à atteindre. La réalité, c’est que les aides existeront toujours et les interventions politiques aussi (Obama n’oublie jamais de défendre Boeing lors de ses déplacements diplomatiques et Sarkozy et Merkel en font autant pour Airbus). Ecrire noir sur blanc que l’aéronautique civile est un secteur, comme celui de la défense, qui ne doit pas répondre aux dogmes de l’OMC économiserait beaucoup d’argent et d’énergie. Les règles seraient claires et les Etats n’auraient plus besoin de recourir à autant de subterfuges pour les contourner. Certes, l’OMC serait ainsi privée d’un dossier phare en matière de contentieux mais qui s’en plaindrait ?

Un protectionnisme à définir noir sur blanc

Le politologue américain Mickael Lind estime pour sa part que les grandes puissances industrielles devraient se mettre autour d’une table et convenir que la libre concurrence dans certains secteurs est illusoire. Pour ce chercheur à la New America Foundation, dont les travaux ont largement été pillés en France par celles et ceux qui défendent le retour à un protectionnisme intelligent, l’une des pistes serait d’allouer des quotas soumis à la concurrence, le reste relevant d’une protection nationale. Ainsi, en aéronautique, les Etats auraient le droit de soutenir les travaux de recherche et de développement et de garantir de 60 à 70% de leurs achats à l’avionneur qu’ils soutiennent. Cela aurait le mérite de clarifier les choses, mais les intégristes du libre-échangisme ne veulent même pas entendre parler d’une telle option. C’est pourquoi les panels arbitraux de l’OMC continueront encore de plancher sur les disputes entre Boeing et Airbus…