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Six ans de prison requis contre Feghouli et Meziane : Incidents au cours du procès Sonatrach

par Saaïdia Houari

14h10. Cela fait plus d'une heure que toute la salle est suspendue aux lèvres de l'imperturbable procureur. Avec sa voix monocorde, le représentant du ministère public a pris tout son temps à disséquer les faits et à égrener les charges.

 Son débit se ralentit net à ce moment-là, son regard se fige sur le banc des accusés. Il s'apprête à requérir les peines. On s'achemine mine de rien vers l'étape suivante de l'audience, les interventions de la défense. Mais, soudain, un coup de tonnerre dans un ciel (pas très) serein. Les toges noires s'insurgent, se révoltent, subitement. Sous l'impulsion de Maître Miloud Brahimi, les avocats se donnent le mot d'ordre de se retirer de la salle. La flammèche qui a mis le feu dans le rang de la défense: certains propos de l'avocat général. En particulier, le mot «akhlakiat» (déontologie ou éthique). Les robes noires ont perçu ces termes «offensants et outrageux» comme une insinuation évidente à l'allocution tenue peu auparavant par leur confrère Me Feroui, le représentant de la partie civile, Sonatrach. Selon l'interprétation de Me Brahimi et collègues, «le représentant du droit public a non seulement reproché au conseil de la partie civile de s'être écarté des principes de l'éthique professionnelle en prenant fait et cause de la partie accusée (les cinq cadres de Sonatrach), alors que son rôle était censé être tout autre, mais il a usé de mots forts déplacés, voire injurieux, à l'égard de cet avocat, qu'il n'a pas certes cité nommément, mais qu'il visait on ne peut plus claire.» C'est carrément le chaos dans le prétoire du pôle spécialisé après cet incident d'audience. Alternant le sourire affecté, le ton doucereux et les coups de poing secs sur la table, la présidente, Mme Magharbi tente tant bien que mal de calmer les esprits. En vain. Les avocats insistent: «Il (le procureur) faut qu'il retire ce mot en présentant ses excuses à celui qu'il visait». L'avocat général, lui, est résolument persuadé que son réquisitoire est exempt de tout écart de langage ou de politesse à l'adresse de quiconque. « Au bout d'un vif branle-bas qui s'est propagé dans toute l'enceinte du tribunal, rythmé par une valse de levées et reprises d'audience, le procès reprend enfin à la faveur d'une petite réunion de «réconciliation» tenue dans le vestibule du prétoire. Empressé d'en finir, le procureur lâche d'un ton mécanique les sanctions requises: 6 ans de prison ferme contre Feghouli Abdelhafid, Meziane Mohamed et Benamar Touati, et 4 ans de prison ferme contre Mekki Henni et Nechnech Tidjini. Peines assorties d'une amende de 1 million de DA pour les prévenus tout en bloc. Au cœur de l'affaire, un marché de réalisation d'un complexe de stockage d'azote, composé de deux stations, une à Arzew d'une capacité de 1,5 million de litres (10 bacs de 150 m3 chacun), l'autre à Ouargla, d'une capacité de 600.000 litres (4 bacs), d'un coût global de près de 10 millions de DA. Qu'est-ce qui est reproché au juste aux gestionnaires de ce projet ? En gros: les articles 26 et 29 de la loi 01-06 sur la prévention et la lutte contre la corruption. Traduction: signature de contrat contraire à la réglementation (le code des marchés publics) et dilapidation des deniers publics. En détail: le fait d'avoir scindé ce projet en deux tranches, octroyé la 1e à la compagnie India Inox par voie d'appel d'offres, mais la 2e à Safir (coentreprise algéro-française spécialisée en engineering et réalisation) par la formule du gré à gré. D'abord, pour l'accusation, «pourquoi a-t-on fragmenté en deux ce projet uni ?» «N'était-il pas logique et rationnel de faire passer cette transaction en bloc par l'avis d'appel d'offres national et international, et que le meilleur gagne !?» Second grief: le lot II relatif à l'étude et la réalisation du complexe d'azote a été confié par Sonatrach, via sa filiale Cogiz, à Safir par gré à gré, quatre mois avant la réception du «ok» de l'état-major du groupe Sonatrach, représenté par son PDG Meziane Mohamed. En d'autres termes, Safir s'était déjà adjugé du marché, de manière horizontale, bien avant que la décision officielle n'ait été prise, de manière verticale. Quand la «bénédiction» du marché en faveur de Safir est tombée du sommet de la pyramide de Sonatrach en passant par sa section aval, qui en a pris à son compte le financement au prétexte que Cogiz n'avait pas le calibre d'un tel chantier financièrement parlant, le joint-venture Safir était déjà à pied d'œuvre. Le circuit administratif n'était donc, selon l'accusation, qu'une question de post-formalisation pour revêtir de légalité, en apparence, ce projet. Troisième grief: l'argument «urgence» mis en avant pour justifier le gré à gré ne tenait pas la route du moment que la 1e tranche confiée aux Indiens pour la fourniture de matériels et moyens est passée, elle, par un avis d'appel d'offres. Si le projet revêtait le cachet urgence, autant l'orienter tout en bloc et dès le départ vers canal de l'article 7 du mécanisme R15, l'option «gré à gré.» Quatrième grief, qui coule en fait du troisième : le motif d'urgence est d'autant moins crédible dans ce cas que le projet tout entier a accusé un glissement de plus de six mois à cause du retard dans l'arrivage des réservoirs fournis par India Inox, conséquence de la contrainte du crédoc de la LFC 2009. Cinquième grief: les défaillances relevées dans la station de conditionnement d'azote d'Arzew, dont notamment «l'excès d'évaporation». Sixième grief: l'argument du monopole détenu par Safir en matière d'engineering battu en brèche par l'accusation par un texte contre-argument qui stipule qu'il faut mettre en jeu les règles de la concurrence même quand un opérateur se prévale de ce statut, qui ne doit en aucun cas servir de justificatif pour contourner la loi.

 A l'heure où nous mettons sous presse, les plaidoiries de la défense se poursuivent. A ce rythme-là, le verdict ne devrait tomber qu'à une date ultérieure.