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Une histoire de Bourses

par Akram Belkaid, Paris

Il s’agit d’un feuilleton qui a commencé à la fin des années 1990. Depuis cette date, les Bourses, comprendre les entreprises qui gèrent techniquement et administrativement ces marchés (actions, obligations, produits dérivés et matières premières), sont engagées dans une bataille qui est loin d’être terminée mais dont les rebondissements témoignent de l’évolution de l’économie mondiale. Il fut un temps où ces Bourses étaient nationales, voire provinciales, et détenues soit par les Etats soit par leurs propres utilisateurs (courtiers, agents de change, chambre de commerce, etc.). Puis est venue leur transformation en sociétés privées (avec notamment l’entrée des banques dans leur capital). Ensuite, ces Bourses sont elles-mêmes entrées en… Bourse, ce qui a ouvert la voie à des rapprochements via des fusions.
 

Deux options pour NYSE-Euronext
 

En ce moment, c’est l’avenir même de la Bourse NYSE-Euronext qui est en train de se jouer. Le NYSE, c’est le fameux New York Stock Exchange, la Bourse de New York qui se situe à Wall Street. C’est là où l’on sonne la cloche à l’ouverture et à la fermeture et où s’échangent des actions mais aussi des produits dérivés et des matières premières. Euronext, quant à elle, est une entreprise qui regroupe les Bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne. En son temps, la création d’Euronext avait déjà fait couler de l’encre car, tout d’un coup, ce qui paraissait être un symbole de souveraineté (la Bourse) se transformait en société transnationale. Par la suite, la fusion entre Euronext, l’européenne, et le NYSE, entreprise américaine, a démontré le caractère de plus en plus globalisé des marchés financiers.

L’affaire ne s’est pas arrêtée là puisque les actionnaires de NYSE-Euronext vont devoir choisir, le 7 juillet prochain, entre deux voies. La première serait d’entériner la fusion avec Deutsche Börse (DB), la Bourse allemande dont une grande partie des actifs se trouvent à Francfort. Durant des années, Euronext et DB ont lutté à couteaux tirés pour se faire une place en Europe. Le mariage de la première avec New York a marginalisé la seconde ce qui explique pourquoi cette dernière souhaite désormais se joindre à l’attelage NYSE-Euronext. Si l’opération se fait, cela créerait un géant mondial qui contrôlerait plus du quart des transactions boursières quotidiennes.

L’autre option pour les actionnaires de NYSE-Euronext serait d’accepter l’offre de rachat émise par le tandem Nasdaq-Ice pour plus de 11,3 milliards de dollars ( 20% au dessus de la valeur actuelle de la bourse euro-américaine). Le Nasdaq, c’est la Bourse électronique américaine spécialisée dans les valeurs technologiques tandis que Ice est une plate-forme électronique basée à Atlanta et spécialisée dans les marchés à terme. L’offre est certes alléchante mais elle porte en elle la garantie du démantèlement de NYSE-Euronext, le premier revenant à Ice et la seconde au Nasdaq.
 

Et le financement de l’économie ?
 

Toute cette agitation boursière (à propos de Bourses) fait parfois perdre de vue l’essentiel. Selon la définition la plus communément admise, la Bourse contribue au financement de l’économie en permettant aux entreprises de lever des capitaux et aux particuliers de faire fructifier leur épargne. C’est dire le caractère stratégique de ce genre d’activité. Le fait que ces entreprises de marché ont été privatisées et incitées à se manger les unes les autres est pour le moins anormal. L’interrogation est simple: comment à la fois assurer ce rôle de financement de l’économie et répondre aux exigences d’actionnaires qui exigent toujours plus en matière de retour sur investissement ? De même, cette course au gigantisme - on va vers la création d’une seule Bourse mondiale - est-elle réellement souhaitable pour les entreprises, notamment les plus petites, qui souhaitent se financer autrement que par le crédit bancaire ? Ces questions ne sont pourtant pas à l’ordre du jour et seules les péripéties des alliances et des OPA comptent. A moins qu’un jour, la défaillance d’une société de Bourse n’entraîne une nouvelle catastrophe financière. Cela obligera alors les autorités des différents pays concernés à se pencher enfin sur la pertinence du modèle actuel adopté par les grandes Bourses.