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Disparition de Moughlam Abdelkader: Le départ inopiné d'un gentleman

par Ziad Salah

Ceux qui ont assisté à l'enterrement de Si Abdelkader Moughlam ont dû relever que ce sont les travailleurs de la Sadem qui ont accompli la formalité de mise en terre de leur patron. Une façon de revendiquer une part de paternité. Parce que celui que tout le monde appelait «El Hadj» avait une relation particulière avec ses travailleurs et ses collaborateurs, dépassant de loin le cadre chef d'entreprise/employés. Autant il était intraitable sur les questions de discipline et de rigueur, autant il était présent quand un malheur s'abattait sur l'un d'entre eux. D'ailleurs, deux jours avant sa disparition inattendue, il a tenu à rendre visite à ceux qu'il appelait «ouladi». Ce qui a été assimilé, par la suite, à un dernier adieu. Si Abdelkader s'est retiré, il y a une dizaine d'années de la gestion de l'entreprise au profit de son fils. Mais il gardait toujours un œil sur la qualité des relations humaines au sein de son entreprise. Il tenait absolument à la pérennité de certaines règles qu'il avait instaurées. En signe de reconnaissance, sa progéniture, d'une couche d'une autre nature, a tenu absolument à lui témoigner sa reconnaissance. Au milieu des gros bras, Ilyes, son petit-fils qui était très attaché à lui, a eu du mal à prendre part à l'entreprise de mise à terre. Quant à Farid, ceux qui le connaissent, savaient qu'il dissimulait sa douleur derrière les lunettes noires.

Quelques heures avant de rendre l'âme, Si Abdelkader a reçu quelques-uns de ses amis d'Oujda. Le défunt qui a habité Casablanca et Alger avant de s'installer à Oran, cultivait le souvenir de cette ville du Maroc oriental où se sont établis «les mouhadjirines» durant la guerre de Libération nationale. Au lendemain de l'Indépendance, il a occupé le poste de commissaire de police à Alger. Par la suite, il a travaillé à «Total». Mais comme il était du genre fonceur, il est parti en Allemagne, pour travailler et pour acquérir les connaissances nécessaires pour lancer son entreprise. Ainsi, il est sans conteste un pionnier dans son domaine : le premier à avoir monté une entreprise de bitume en Algérie.

Au Miramar, le quartier où il avait vécu pendant au moins une dizaine d'années, tout le monde se souvient de cet homme élégant toujours pressé. Ses costumes amples et ses cravates qui lui arrivaient jusqu'au nombril, intimidaient les jeunes du quartier qui n'osaient pas se regrouper en bas de l'immeuble où il habitait. Il avait ses habitudes. Il passait en fin de journée chez le buraliste chercher ses journaux, notamment «Le Monde». Probablement, son investissement au niveau de l'entreprise l'a empêché de s'intéresser à la politique. Mais ceux qui le connaissent se rappellent qu'il s'était joint à une réunion des «ben bellistes» pour soutenir la candidature de Bouteflika pour son premier mandat. Durant les années quatre vingt dix, réagissant aux meurtres des artistes et intellectuels algériens par les hordes des GIA, il a remué ciel et terre pour rentrer en contact avec le directeur général de l'Unesco et exiger de lui une condamnation des assassinats touchant l'élite algérienne. Si Abdelkader ne pouvait pas faire de la politique, parce qu'il était connu pour ses coups de gueule, par sa franchise à l'adresse des responsables notamment locaux. A Khalida Toumi, quand elle était encore militante du RCD, il a offert un joli présent pour lui signifier son approbation et son adhésion à sa lutte pour la démocratie et l'émancipation des femmes. Il était résolument moderniste.

Ses amis proches connaissent sa grande passion pour Farid El Attrache. Une passion qui l'avait emmené à connaître la célèbre chanteuse Ismahan. Cette dernière lui a offert une cravate de Farid comme présent. Parallèlement à son investissement au travail, le défunt a voyagé un peu partout dans le monde. Il a, en quelque sorte, ouvert la voie de la découverte du Brésil à ses amis et connaissances. Après sa retraite, il s'était intéressé aux nouvelles républiques issues de l'éclatement de l'URSS.

 L'homme était connu pour sa générosité. Il avait dégagé un salaire à la femme d'un artiste oranais qui se trouvait dans le dénuement. Mais il répugnait l'ostentation. Souvent, il initiait des actions de bienfaisance sans même avertir son propre fils. Parce qu'il avait sa propre conception du bien et de la religion. Parlant de son père, Farid se contente de dire «il est mort en artiste». A comprendre : il a rendu l'âme sans souffrir ni faire souffrir les siens. Exactement comme il a vécu??.