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Le Japon, géographie et énergie

par Akram Belkaid, Paris

C’est le triptyque que les Japonais redoutaient depuis des décennies : séisme, tsunami et, pour finir, incident nucléaire. La première des catastrophes demeure imprévisible tandis que la seconde, qui n’est que la conséquence directe du tremblement de terre, va peut-être interpeller les dirigeants japonais à propos de nombreuses questions. Parmi elles, la capacité des populations à évacuer rapidement les zones côtières menacées ou encore les conséquences de l’étalement urbain dans une région où le profil déchiqueté de la côte amplifie la force du raz-de-marée. Quant à l’accident nucléaire, il fait d’ores et déjà couler beaucoup d’encre, surtout à l’extérieur du Japon, et cela, alors que tout le monde craint que l’archipel ne soit victime d’une catastrophe de type Tchernobyl.

 Un pays pauvre en ressources énergétiques

A lire la presse et à parcourir la blogosphère, on se rend compte qu’un commentaire revient souvent en boucle. Comment le Japon, pays qui est le seul à avoir éprouvé dans sa chair le feu de deux bombes atomiques en 1945, a-t-il pu développer ensuite un réseau dense de 17 centrales nucléaires pour un total de 55 réacteurs ? La réponse est simple.

Elle relève de la géographie ou, plutôt, de la géologie. Puissance économique depuis la fin du dix-neuvième siècle jusqu’en 1945, le Japon n’a jamais pu compter sur son sous-sol pour lui fournir des ressources naturelles. Pour mémoire, l’une des raisons de la guerre entre les Etats-Unis et le Japon au milieu du siècle dernier était liée à la course au contrôle des hydrocarbures et d’autres matières premières (notamment le caoutchouc) en Asie. Après 1945, avec peu de charbon et de pétrole, et encore moins de gaz naturel, le Japon n’a pu bâtir son renouveau économique – son miracle pourrait-on dire - que grâce à l’énergie obtenue par le biais des centrales atomiques. Certes, l’industrie nucléaire américaine a beaucoup influé dans les choix énergétiques du Japon mais l’affaire était facile à plaider du fait de la pauvreté japonaise en ressources naturelles.

Pour autant, le nucléaire demeure une source d’appoint au Japon puisqu’il ne représente que 14% des sources d’énergie primaires (ce qui équivaut tout de même à 30% de l’électricité produite) contre 17% pour le gaz naturel et respectivement 23% et 43% pour le charbon et le pétrole. A ce sujet, il faut savoir que certaines centrales électriques nippones fonctionnent au pétrole brut, lequel est directement brûlé pour produire de l’électricité. Le bilan environnemental de ces centrales étant catastrophique, Tokyo a lancé depuis quinze ans un grand plan de développement du gaz naturel. Aujourd’hui, le Japon achète 35% des cargaisons de GNL et les projections tablent sur 45% d’ici une dizaine d’années. Pour autant, le nucléaire continuera à jouer un rôle prépondérant, ce qui signifie que la question de la sécurité sismique des centrales restera toujours posée.

Pétrole et juste à temps

Un autre élément qui mérite d’être relevé à propos du lien entre géographie et énergie au Japon concerne l’omniprésence des transports terrestres et la consommation d’hydrocarbures. En raison de la topographie accidentée du pays et de la rareté des terrains – et donc des entrepôts, les coûts de stockage au Japon sont parmi les plus élevés au monde. Cela a poussé les entreprises à développer le concept d’industrie à flux tendu et de livraison « juste-à-temps ». Une philosophie de « zéro stockage » qui a pour conséquence de multiplier les circulations de camions transportant les marchandises et qui explique, en partie, la dépendance de l’archipel à l’essence et donc au pétrole brut. Le plus intéressant dans l’affaire, c’est que ce modèle de juste-à-temps s’est largement répandu dans le monde, notamment en Europe et aux Etats-Unis, alors que la géographie y est toute différente. C’est l’une des preuves de l’influence du Japon dans la mondialisation. Il reste désormais à savoir si ce pays saura se relever de la terrible catastrophe qu’il vient de subir.