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L’Europe face aux investissements prédateurs

par Akram Belkaid, Paris

L’Union européenne (UE) deviendrait-elle moins naïve en matière de libre-échange ? On le sait, l’un de ses fondements est la libre circulation des biens et des capitaux. Ce dogme auquel les gouvernements socio-démocrates et socialistes ont dû se plier lui a même permis d’être le premier destinataire mondial des investissements directs étrangers (IDE) mais aussi le premier émetteur. Pour preuve, en 2009, les vingt-sept pays de l’UE ont attiré un total de 221 milliards d’euros contre un record absolu de 319 milliards d’euros en 2007. C’est bien plus que les Etats-Unis, la Chine ou n’importe quel autre pays émergent.

Une mesure défensive

Mais depuis quelques années, des voix se font entendre en Europe à propos de la dangerosité de certains investissements étrangers pour la compétitivité de l’industrie européenne. Le débat a commencé en 2005 avec l’appétit grandissant des fonds souverains chinois et du Golfe. Masquées par la crise financière de 2008, les interrogations à propos de l’opportunité de légiférer sur certains IDE n’ont jamais disparu en Europe. En début de semaine, deux Commissaires européens ont donc écrit au Président de la Commission José Manuel Barroso pour lui demander l’ouverture d’une réflexion sur la possibilité, pour l’Europe, de se doter « d’outils de contrôle des investissements étrangers ».

Michel Barnier, Commissaire au Marché intérieur, et Antonio Tajani, Commissaire à l’Industrie, s’engagent ainsi dans une démarche historique car c’est tout de même la première fois qu’une telle réflexion est proposée à un niveau politique aussi élevé. Et il n’est pas anodin que cela soit deux responsables venant de deux pays affectés par la désindustrialisation, la France et l’Italie, qui appellent à l’ouverture de ce débat. A ce sujet, rappelons que les autorités communautaires ont toujours évité d’aborder ce thème par peur de permettre une remise en cause du dogme libre-échangiste de la construction européenne.

Mais aujourd’hui, les Européens commencent à s’inquiéter sérieusement des IDE prédateurs dont l’objectif réel est un transfert non avoué de technologie. A la fin de l’année dernière, la bataille autour de l’entreprise néerlandaise Draka, spécialisée dans la conception de câbles pour la fibre optique, a fait office de signal d’alarme. En effet, ce fleuron européen a failli tomber dans l’escarcelle de Xinmao, une société chinoise totalement inconnue dont le but était visiblement d’acquérir le savoir-faire de Draka avant de le rapatrier vers la Chine. Finalement, c’est l’italien Prysmian qui a emporté l’affaire après un long feuilleton où les Européens ont réalisé qu’ils auraient beaucoup de mal à contrer l’appétit de Xinmao.

A ce jour, l’Europe possède déjà une législation qui lui permet de limiter, voire d’interdire, des investissements menaçant son industrie de défense ou son autonomie énergétique. Mais ces dispositions ne lui permettent pas de traiter les IDE que souhaitent réaliser des entreprises étrangères étatiques ou des fonds souverains dans des secteurs de pointe. Pourtant l’enjeu est évident. Il s’agit de défendre un savoir-faire et une avance technologique face à la montée en puissance de concurrents qui, le plus souvent, refusent la réciprocité en matière d’ouverture de marché. C’est connu, une entreprise publique chinoise a plus de facilité à réaliser un investissement en Europe alors que sa concurrente française ou allemande aura bien plus de mal à s’installer en Chine.

Une occasion manquée pour l’Algérie

Il est donc évident que l’Union européenne va durcir sa législation sur les IDE. Du coup, on peut relever que l’Algérie, avec ses immenses réserves de change, a raté une très belle occasion de diversifier ses avoirs par le biais notamment d’investissements qu’aurait pu réaliser un fonds souverain au cours de ces dernières années. Les placements dans les pépites industrielles et technologiques européennes vont être de plus en plus difficiles pour des groupes non européens. Cette opportunité perdue devrait pousser les autorités algériennes à ouvrir un vrai débat à propos de la diversification des réserves de change et, surtout, de la mise en place d’un fonds destiné à préparer l’après-pétrole.