Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Libye: Bain de sang et confusion totale

par Djamel Belaïfa

Au 11e jour de la révolte contre le pouvoir, la situation en Libye reste toujours confuse. Selon l'AFP, les forces loyales au régime libyen de Mouammar Kadhafi ont tiré hier, sur des manifestants à Tripoli, faisant au moins deux morts, après la prise de contrôle de l'est du pays par l'opposition.

Réunion de l'ONU, propositions de sanctions, d'embargo total et de mise en place d'une zone d'exclusion aérienne. A travers le monde, les initiatives se multiplient pour tenter de stopper le bain de sang. Mais alors que la région orientale pétrolifère est aux mains de l'opposition armée qui pourrait marcher sur Tripoli, les forces pro-Kadhafi, déployées autour de mosquées pour empêcher les protestations, ont tiré sur des manifestants notamment à la sortie des mosquées, selon les témoins. «Les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur des manifestants sans distinction. Il y a des morts dans les rues de Soug Al-Jomaa», a indiqué à l'agence française, un habitant. D'autres témoins de quartiers de la banlieue/est, comme Ben Achour et Fachloum, ont signalé des «tirs nourris sur tous ceux qui se trouvent dans la rue». Des scènes similaires se déroulent à Ghout Achaal, à l'ouest de la ville. «Ils tirent sur des civils sans armes qui sortent des mosquées», a déclaré à l'AFP un habitant du quartier résidentiel de Ben Achour. Dans le quartier populaire de Fachloum, au moins deux manifestants ont été tués par des «miliciens» pro-Kadhafi, selon un témoin. Des centaines d'autres personnes, à Tajoura, manifestaient contre le régime. La télévision libyenne, citant des sources médicales, a néanmoins démenti des morts à Tripoli. Les partisans de Kadhafi sont concentrés à Tripoli, où la milice Khamis disposerait de 9.000 combattants, de chars et d'avions, selon des informations non confirmées. A Tobrouk, un millier de personnes, brandissant des drapeaux de la monarchie du roi Idriss Senoussi qui s'est imposé comme un symbole de l'insurrection, ont manifesté. «Libye libre, Kadhafi dehors», «Le peuple veut la chute du régime», ont-ils lancé. Musratha, troisième ville du pays, à 150 km à l'est de Tripoli, a été désertée par les loyalistes à Kadhafi, mais des combats ont eu lieu sur une base aérienne proche et qui ont fait de nombreux morts, selon un habitant cité par l'AFP.

Kadhafi accuse Al Qaïda

A l'ouest de Tripoli, dans la ville de Zawiyah, les combats entre opposants et partisans du régime ont fait «plus de 35 morts, peut-être même 50», a par ailleurs affirmé à l'AFP, le porte-parole de la Ligue libyenne des droits de l'Homme. C'est aux habitants de cette ville que s'est adressé jeudi, M. Kadhafi. Il a accusé Al-Qaïda d'orchestrer l'insurrection en donnant selon lui, des «pilules hallucinogènes» aux opposants. L'un des fils du leader libyen, Seïf el-Islam, a affirmé que sa famille resterait, coûte que coûte, en Libye, et a averti que le régime ne permettrait pas à une «poignée de terroristes» de contrôler une partie du pays. Il a affirmé que les villes d'El Beida et de Derna étaient aux mains de «terroristes» qui ont établi «deux émirats islamiques, des Etats fantoches», tandis que Benghazi était en proie à un «chaos complet». Dans l'ouest, deux villes posent problème, a indiqué Seïf Al-Islam: Musratha, la 3e ville du pays, située à 150 km, à l'est de Tripoli, et Zawiyah, à 60 km à l'ouest de la capitale. Les insurgés, «peu nombreux» dans ces villes «ont volé des chars appartenant à l'armée, ils ont des armes, des mitrailleuses et des munitions», a-t-il déclaré, confirmant qu'ils avaient tenté hier de s'emparer de l'aéroport de Musratha. «Mais ils ont été repoussés», a-t-il ajouté. «Le Sud et le Centre sont sous notre contrôle. Il n'y a pas de problème, tout va bien (...) Tripoli et ses environs sont calmes, vous pouvez vous y promener», a-t-il par ailleurs assuré.

A l'étranger, l'indignation s'amplifie contre le pouvoir libyen, de plus en plus isolé après avoir été lâché par ses pairs arabes et plusieurs proches et diplomates, dont les ambassadeurs libyens à Paris et à l'Unesco, ainsi que Kadhaf al-Dam, proche conseiller et cousin de M. Kadhafi.

L'UE et l'OTAN accentuent la pression

Hier, l'Union européenne (UE) et l'Otan ont accentué la pression sur le régime libyen en se concertant sur l'évacuation des étrangers encore en Libye, voire sur les moyens de faire respecter une zone d'exclusion aérienne, si l'ONU l'autorise. Les pays européens préparent des «plans d'urgence» pour contrôler l'espace aérien libyen mais «l'Union européenne a d'abord besoin d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies» donnant son aval, a déclaré un diplomate européen à la presse, en marge d'une réunion des ministres de la Défense de l'UE en Hongrie. «C'est l'une des options» sur la table, a confirmé le ministre hongrois de la Défense, Csaba Hende, à propos d'une zone d'exclusion aérienne, en évoquant les «moyens» dont disposait l'Otan, sans préciser lesquels, pour interdire à l'aviation libyenne de bombarder les opposants. L'idée d'une telle zone avait été évoquée dès mercredi par Washington et jeudi par Paris. Tout comme les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, au niveau national, l'Alliance atlantique dispose de sa propre flotte d'avions-radars AWACS, basée en Allemagne. De son côté, le secrétaire général de l'Alliance atlantique, le Danois Anders Fogh Rasmussen, venu discuter de la coopération UE-Otan, n'a pas écarté une telle option mais il s'est refusé, devant la presse, à «tout commentaire à ce stade», soulignant qu'il a appelé à une réunion d'urgence, aujourd'hui, du Conseil de l'Atlantique Nord, qui regroupe les ambassadeurs des 28 pays alliés, «afin de discuter de la Libye», a-t-il dit, par ailleurs. Il restait encore, hier, en Libye «de 2.000 à 3.000» citoyens des pays de l'UE, selon la responsable de la diplomatie européenne, la Britannique Catherine Ashton. «L'UE va accélérer la mise au point des sanctions, visant le régime de Mouammar Kadhafi pour stopper les violences en Libye aussi vite que possible», a-t-elle déclaré. Ces sanctions vont d'un embargo sur les armes aux interdictions de séjour de dirigeants libyens, en passant par un gel de leurs avoirs. La haute représentante de l'UE a tenu à souligner cependant, que «personne jusqu'à présent ne parlait d'une action militaire» contre la Libye, bien qu'une zone d'exclusion aérienne nécessite, à l'évidence, de recourir à des moyens militaires. Le principe des sanctions avait été adopté cette semaine par les Européens, mais il reste à en fixer les modalités. A la demande de Paris et Londres, le Conseil de sécurité de l'ONU devait examiner un train de sanctions contre la Libye hier, à partir de 20H00 GMT, et l'UE souhaitait d'abord en attendre les résultats. Paris et Londres ont proposé au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution prévoyant «un embargo total sur les armes, des sanctions et une saisine de la CPI pour crime contre l'humanité», selon la chef de la diplomatie française Michèle Alliot-Marie. Face au chaos, les évacuations dans des conditions difficiles par terre, mer et air continuent, plusieurs pays européens, au premier rang desquels l'Italie s'inquiétant d'une crise humanitaire du fait de l'exode de dizaines de milliers d'étrangers et de Libyens. Le Programme alimentaire mondial de l'ONU a averti que la chaîne d'approvisionnement en nourriture en Libye «était en danger de s'effondrer». Les importations alimentaires n'arrivent plus dans les ports et la distribution en est compromise en raison des violences.