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Libye : un régime autoritaire fondé sur une gestion privative de la rente

par Saïd Mekki

Le régime libyen fait face à la plus grande contestation depuis l'arrivée au pouvoir de Kadhafi. Un pays peu peuplé mais riche dont le développement est bloqué par un régime autoritaire fondé sur une gestion privative de la rente.

La bestialité de la répression des manifestations pacifiques à Al Bayda et à Benghazi par les forces de sécurité libyenne, d'une brutalité inouïe, est le révélateur le plus éloquent de la nature du régime du colonel Kadhafi. Tirer sur un cortège funéraire est un acte obscène, le régime de Kadhafi n'a pas hésité à l'ordonner. Le clan au pouvoir composé de quelques dizaines de personnes autour du Guide a préféré la stratégie du gant de fer à l'ouverture vers les revendications exprimées pacifiquement par la population. Les massacres perpétrés par les milices ? les comités populaires ?, les unités spéciales et même des mercenaires, a frappé d'horreur les libyens au point que des éléments de l'armée régulière ont pris fait et cause pour les manifestants à Benghazi. La Libye, pays riche et peu peuplé, tout juste 6,5 millions d'habitants, est un pays paradoxal. Malgré un revenu par tête supérieur à 22 000 dollars par ans, la répartition est très inégalitaire et de très nombreux Libyens vivent avec moins de deux dollars par jour. Les proclamations justicialistes d'un Leader dont les foucades ont fini par faire partie du folklore politique international cachent mal les inégalités structurelles qui caractérisent la gestion privative de la rente par le clan Kadhafi. Le grand Leader, roi des rois d'Afrique autoproclamé, appuyé sur un entourage opaque dirige le pays depuis quarante et un ans, sans aucune contestation significative. Le clan familial qui contrôle très étroitement les richesses et les forces de sécurité a instauré un régime policier et de contrôle très maillé dans une société coupée du monde. De ce point de vue, les manifestations de ces derniers jours dans ce pays fermé depuis des décennies sont tout à fait inédites et montrent que le peuple libyen est en phase avec le reste du monde et exprime les mêmes demandes démocratiques que ses voisins tunisien et égyptien. La répression sanglante qui est en cours est un traumatisme majeur et signe la rupture irrémédiable avec un ordre autoritaire jusqu'à l'absurde. Mouammar Kadhafi le plus ancien dirigeant arabe au pouvoir pensait-il échapper à la vague populaire de revendication démocratique qui déferle sur le monde arabe depuis la mort de Mohamed Bouazizi en décembre dernier ? Ce régime qui fait de la Libye un véritable royaume ermite au nord de l'Afrique peut-il se maintenir en l'état sans modifications radicales ? La personnalité «complexe» du dirigeant est une donnée importante dans une transition chaque jour plus inévitable. Le régime ne sortira pas indemne de l'effusion de sang qu'il assume. Mais l'équation personnelle de Kadhafi ne domine plus la réalité libyenne, l'irruption du peuple sur la scène politique ouvre une page nouvelle dans l'histoire libyenne. Même la réforme «Be-Saïf» - (par l'épée en arabe) à travers Saïf Al-Islam, hériter putatif de son paternel, risque de se révéler insuffisante en raison du sang abondant que le régime est en train de faire couler.