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Convergences républicaines

par Mohamed Bensalah

« La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics », stipule la Déclaration universelle des droits de l'homme.

L'idéal démocratique, serait-il devenu un enjeu politique au sein du monde arabe? A voir l'ampleur de la mobilisation de la société civile sous toutes les latitudes, on serait enclin de répondre par l'affirmative à cette question pertinente. Avec courage et dignité, le peuple tunisien a, en 23 jours, renversé un régime dictatorial qui lui a volé 23 ans de son existence. Reprenant le témoin, le peuple égyptien, longtemps écrasé et humilié, affiche aux yeux du monde sa détermination. L'insurrection qu'il mène n'est pas seulement celle des pauvres, qui n'ont rien à manger ou celle des classes moyennes, qui souffrent des bas salaires ou de l'inflation. Elle a une connotation hautement politique. Elle revendique plus de justice sociale, plus de démocratie et plus de dignité. Le mot d'ordre a fait le tour des capitales arabes. Certes, la démocratie ne s'exporte pas. Il revient aux forces vives de chaque pays de la construire lentement, progressivement, difficilement. Les tyrans doivent se rendre à l'évidence. La démocratie en gestation, sera fondée sur le droit, le respect du pluralisme et de l'alternance au pouvoir.

 Depuis Machiavel, on n'a cessé de gloser sur les qualités du Prince, mais aussi sur ses ruses et ses roueries et sur l'art dont il fait montre pour séduire et tromper. Longtemps pion insignifiant manipulé au gré des caprices du prince, le peuple, trop longtemps soumis à un populisme exacerbé par toutes les démagogies, a décidé de faire émerger ses frustrations et ses rancœurs au grand jour. Ce qui est certain, c'est que le mouvement qui est en marche va s'étendre à l'ensemble des pays où le feu est depuis longtemps sous la cendre. Les dirigeants dynastiques corrompus, à l'orgueil démesuré, font mine de ne pas comprendre ce qui se passe. Même honnis par leurs peuples, ils continuent à jouer aux pères protecteurs de la nation, en se posant comme les garants de l'indépendance et de la souveraineté alors que, tout ce qu'ils font est contraire à l'essence de la démocratie. Le spectre de la révolte hante tous les pays qui refusent d'ouvrir le jeu politique. Evidemment du Yémen au Soudan, les problèmes ne sont pas exactement identiques. Mais tous ces pays ont beaucoup de point communs et une même préoccupation : respirer, ouvrir de nouvelles perspectives.

 Les Tunisiens ont ouvert le chemin, suivi des Egyptiens, des Jordaniens, des Syriens et des Yéménites. Le changement total sera difficile et peut-être sanglant. Si les « leaders » arabes quasi-paranoïaques qui s'arc-boutent sur leurs privilèges menacés ont perduré jusqu'à ce jour, c'est par la répression directe ou indirecte qu'ils ont exercée sur leurs peuples, par le contrôle permanent de leurs concitoyens et leur maillage subtil. Croyant qu'ils peuvent tout se permettre, éternellement, ils dépassent souvent les bornes d'une certaine retenue. Mais au fil du temps, ils ont fini par perdre toute légitimité, tant au niveau des discours que des projets sociaux. Et ce sont ces dirigeants centrés sur eux-mêmes, peu soucieux de l'intérêt de leurs concitoyens, qui sont considérés par l'Occident comme des pôles de sérieux et de stabilité, des remparts aux islamistes. Le diagnostic a été porté de façon pertinente, récurrente et sans appel par des politologues, des économistes, des sociologues et des journalistes. Même amoindris par l'âge et la maladie, et sérieusement ébranlés par les séismes sociaux, ils ne lâchent pas prise. Ils ne voient d'ailleurs même plus le décalage générationnel, et encore moins la lente et irréversible agonie de leurs régimes détestables. Le vent de révolte qui souffle a pour conséquence immédiate, d'alerter sur les injustices manifestes ressenties depuis des décennies, sur les défaillances des systèmes et sur les rancœurs longtemps accumulées par les citoyens. Le cocktail détonnant, fait de peur, de perte de confiance et de frustration, a longtemps poussé les peuples à se replier sur eux mêmes. Peur de tout. Peur de la violence des Etats assurés de l'impunité, des décideurs politiques, des chefs spirituels, des supérieurs, des policiers, des gendarmes, des terroristes, de la prison, de la torture, de l'Etat d'urgence, mais aussi, peur du lendemain, du chômage, de l'avenir des enfants et enfin, peur d'une absence d'alternative politique et des pressions croissantes qui poussent à une montée en flèche des révoltes et à l'explosion. La prise de conscience généralisée des peuples qui n'hésitent plus à manifester fait qu'aujourd'hui le changement est à leur portée. Le pessimisme et la peur ont cédé la place à l'espoir. L'exemple tunisien a fracassé cette barrière psychologique qui les poussait à se résigner à vivre sous des régimes de terreur. Les dernières révoltes marquent un tournant décisif d'abord au niveau des mentalités. Les manifestations politiques qui, jusqu'à une date récente, étaient impensables dans le monde arabe, sont aujourd'hui envisageables, même interdites par les pouvoirs politiques. A terme, elles mettront à genoux tous les systèmes iniques et tous les dirigeants gérontocrates illégitimes inféodés aux grandes puissances qui ne cessent de manipuler les consciences pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Ces régimes, à l'est comme à l'ouest du Caire, qui ont trop longtemps dupé et piétiné leur peuple n'ont, en fin de compte, réussi à léguer aux générations futures que des angoisses et des doutes sur leur avenir.

Lever de l'état d'urgence : un trompe-l'œil démocratique ?

L'Algérie ne fait pas exception à la règle. Voilà des années que les nuages s'amoncellent au dessus de la présidence et sur son locataire. Mais la grogne, qui n'a pas été prise au sérieux, s'amplifie de jour en jour, et ses développements peuvent devenir incertains voir dangereux. A nouveau, tous les éléments de la tempête sont réunis. Les Algériens, qui ont très tôt pris conscience de la dérive de leur pays, se mobilisent à nouveau en masse pour exprimer leur indignation, malgré la répression féroce qui s'annonce. La population défie le mur de la peur qui vient de céder dans sa partie tunisienne et égyptienne. Les lézardes sont visibles.

 Couplée à un contexte régional en pleine ébullition, notre pays qui a traversé l'une de ses plus graves crises politiques, économiques et sociales se trouve, encore une fois, prise dans un tourbillon explosif. Les organisations de la société civile et des partis qui réclament le « départ du système », paraissent plus que jamais déterminées à se faire entendre du Président. Lors du dernier conseil des ministres, l'espace d'un instant, certains ont cru au miracle. Et puis, brutalement, cette sensation s'évapora.

 L'annonce, par le chef de l'Etat de la décision de lever «dans un très proche avenir», l'état d'urgence et de permettre aux partis politiques de l'opposition « un plus grand accès aux médias lourds en dehors des périodes électorales », n'a finalement suscité aucune joie particulière en raison de l'ambiguïté de l'effet d'annonce. Une loi anti-terroriste étant prévue en remplacement de l'état d'urgence et l'ouverture totale des champs politique et médiatique étant hors projet.

 Cette dernière posture politique montre à quel point le pouvoir incarné exclusivement par le seul président n'est pas prêt à lâcher du lest. En fait, l'annonce avait pour but d'inciter les citoyens à ne pas manifester ce 12 février. Mais, loin de les démobiliser, elle n'a fait qu'accentuer leur détermination. Il faut donc s'attendre à des mesures plus coercitives. Lors des précédentes manifestations pacifiques, le pouvoir a répondu par le mépris, la matraque et le tribunal.

 Comment va-t-il sanctionner les manifestants de la CNDC (Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie) et de l'ANC (Alliance Nationale pour le Changement) ? Ce qui est certain, c'est le régime, inquiet de sa pérennité et obsédé par la conservation du pouvoir à tout prix, ne va plus s'encombrer de subtilités. Il fera tout son possible pour brider les volontés et parasiter l'expression. Les citoyens de leur côté, déterminés à manifester pour exiger le changement radical du système politique en place, n'ont pas d'autres alternatives pour faire entendre leurs voix que les marches puisque tous les espaces publics sont réquisitionnés et tous les médias interdit d'accès.

 Face à une situation bloquée que l'on peut qualifier de désespérée, que faire ? Au lieu de rester les bras croisés et d'avouer leur impuissance, les citoyens ont décidé de poursuivre la lutte. Ça peut donner le meilleur comme le pire. Tout dépendra du prolongement qui sera donné au mécontentement populaire par les divers acteurs et intervenants politiques.

 L'Algérie, décrite comme pays préinsurrectionnel, est en train de changer. Ca fait mal de voir son pays classé parmi les 14 pays les plus corrompus de la planète. Ca fait mal aussi de voir que nous sommes au 110e rang au classement du chômage. Qu'a-t-on fait de la dignité de ce peuple avec ces scandales à répétition, cette corruption massive et généralisée, cet avilissement de la pensée, ce mépris des jeunes à qui ne sont offertes que la Harga, le suicide et la désespérance ? Ceux qui ont fait main-basse sur le pays et qui considèrent que le pays leur appartient doivent payer.

 La politique de l'illusion, des urnes truquées et de la démocratie de façade ne fonctionnera plus désormais. De l'Atlantique à la mer Rouge, l'exaspération et la désespérance des masses arabes sont à leur comble. Le mépris sans borne et l'indignité dans lesquels les maintiennent leurs dirigeants sont devenus insupportables.

 L'amertume a ouvert la voie à la colère, l'indignation se meut en révolte. Face à la prédation quasi généralisée des richesses nationales les populations clament haut et fort la transparence et la liberté du choix du peuple.

 Dommage pour le monde arabe et dommage pour ses dirigeants qui auraient pu sortir par la grande porte de l'Histoire. Le souffle démocratique qui mettra fin au verrouillage, à la dilapidation des deniers publics, à la corruption et au blanchiment de l'argent, amènera la démocratie véritable, qui a toujours été un vœu pieu. Avant que les citoyens sortis de leur ghetto ne hurlent leur mal vie, rares étaient ceux qui croyaient en des jours meilleurs. Le changement, qui relevait du miracle il y a à peine quelques mois, est aujourd'hui envisageable.

 Ce qui est sans précédent dans la situation actuelle ce n'est donc pas la convergence des forces du changement, mais leur ampleur. Pour clore cette réflexion bien incomplète, laissons la parole à Zohra Drif-Bitat, l'ancienne moudjahida et sénatrice qui s'adressait au Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui, encore une fois, venait d'asséner des chiffres mirobolants : ?Je ne comprends pas pourquoi est-ce que les chiffres indiquant la bonne santé du pays ne se répercutent pas positivement sur la situation des citoyens algériens ? Pourquoi malgré ces chiffres, les Algériens ne sont pas heureux et ne vivent pas dans la quiétude ?? Elle s'est dite ?intriguée? par le fait que ?le peuple ne semble pas être heureux et comblé malgré les sommes colossales que réserve l'État au développement à tous les niveaux?. ?En dehors des chiffres, a-t-elle ajouté, il faut s'interroger sur la mal-vie des Algériens et les problèmes qu'ils vivent au quotidien ». Et de préciser : ?il ne faut pas éviter les problèmes en disant on a fait ceci et cela, mais plutôt prendre en charge cette question de mal-vie de façon très sérieuse?. ?Il y a de vrais problèmes qui se posent aux Algériens?.