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La libéralisation privatisée

par Akram Belkaid, Paris

Depuis la révolution tunisienne et la révolte égyptienne, et cela en attendant d’autres ébullitions à venir, il ne se passe pas un jour sans que la santé économique du monde arabe ne soit auscultée. Il est vrai que les dégradations des niveaux de vie ainsi que les difficultés quotidiennes des populations contribuent beaucoup à cette aspiration au changement. Cela explique d’ailleurs pourquoi l’une des réactions préventives les plus communes de Rabat à Mascate a été de diminuer les prix des denrées alimentaires de base. Ouvrons tout de même une parenthèse pour rappeler que l’économie n’explique pas tout et que ces mouvements de protestation relèvent aussi de l’exigence d’une dignité longtemps bafouée. Fin de la parenthèse. 

La libéralisation dévoyée 

L’un des grands enseignements de ce qui se passe actuellement est l’insuccès des politiques de libéralisation économique. Est-ce à dire que c’était une fausse voie ou faut-il nuancer le jugement et expliquer d’où est venu cet échec ? Personne ne conteste que les pays arabes devaient se réformer. La marche du monde, les exigences de modernisation et les attentes des populations étaient telles que le modèle de l’Etat centralisateur et omniprésent ne pouvait subsister.

C’est à ce moment-là que sont intervenues les politiques d’ajustement structurel conduites sous la houlette de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). En s’y résignant, les Etats arabes ont marqué des points sur le plan extérieur en s’assurant notamment de la bienveillance des grands de ce monde. Qu’importe que les libertés ne soient pas respectées, tant que le consensus de Washington avait prise à Rabat, Alger, Tunis ou Le Caire. Mais dans le même temps, des pans entiers des populations se sont retrouvés face à la précarité voire à la pauvreté. A cet effet, souvenons-nous des dizaines de milliers d’Algériens qui se sont retrouvés sans emploi après la dissolution des entreprises publiques locales.

On aurait pu penser que la libéralisation de l’économie aurait décuplé les énergies et permis la création de nouveaux emplois. Pourtant, les résultats n’ont guère été à la hauteur et aucun pays arabe n’a pu accéder au stade d’économie émergente quoi qu’en disent les propagandes des uns et des autres à commencer par celle du gouvernement égyptien qui n’a cessé de multiplier les effets d’annonce en ce sens. La raison est simple : la libéralisation a été privatisée. Pour dire les choses plus clairement, cela signifie que des intérêts privés se sont substitués à la mainmise de l’Etat, empêchant en cela d’autres acteurs économiques d’émerger. 

Monopoles privés 

Il suffit de regarder qui détient quoi, dans n’importe quel pays arabe, pour le comprendre. Ici, la licence téléphonique a été accordée à tel clan, là-bas, c’est l’importation de tel type de véhicule. Ailleurs, c’est l’agroalimentaire qui est tenu d’une main de fer. Partout, des monopoles privés verrouillent l’activité économique, empêchent une libre concurrence et font obstacle à de nouvelles réformes et au progrès. En Tunisie, de nombreux projets énergétiques ont ainsi dû être annulés car le clan Trabelsi prétendait être l’acteur incontournable de ce secteur. En économie comme en politique, les façades formalistes du monde arabe ne doivent plus tromper personne. Il n’y a pas plus de démocratie qu’il n’y a de libéralisme économique. C’est ce qui a perdu le régime de Ben Ali. C’est ce qui en perdra d’autres...