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Le zèle déplacé de Moody’s

par Akram Belkaid, Paris

L’affaire a fait couler beaucoup d’encre alors que la révolution tunisienne battait son plein et que débutait la révolte légitime des Egyptiens contre l’ordre dictatorial du président Moubarak. De quoi s’agit-il ? Il y a dix jours, l’agence de notation financière Moody’s a abaissé d’un cran la note souveraine de la Tunisie « en raison des incertitudes économiques et politiques qui pèsent sur le pays en proie à de graves troubles depuis le changement inattendu de régime ». Dans le détail, Moody’s a dégradé de Baa2 à Baa3 la note de la dette souveraine de la Tunisie et a changé la perspective de stable à négative. De leur côté, Fitch et Standard & Poors ont placé la note de la dette souveraine de la Tunisie sous «surveillance négative», ce qui est un moindre mal. 

Du zèle formaliste 

Moody’s a donc déclenché un tollé général un peu partout dans le monde à commencer par la Tunisie où de nombreux cadres et officiels, notamment ceux de la Banque centrale, ont critiqué une mesure jugée à la fois honteuse et provocatrice. Il est vrai que la première conclusion que l’on peut tirer de cette affaire est que cette agence de notation préfère les dictatures aux démocraties. Pour se défendre, les analystes de Moody’s avancent un seul et même argument. Leur travail n’est pas de faire de la politique ou de juger de la qualité démocratique de tel ou tel pays mais bien de défendre les intérêts des prêteurs. En clair, pour l’agence, il était urgent de signaler à tous ceux qui détiennent de la dette tunisienne que le risque de non-remboursement augmentait du fait des événements et de l’instabilité provoquée par la chute de Ben Ali.

 On peut comprendre que Moody’s cherche à démontrer sa capacité d’anticipation et sa volonté de ne pas être débordée par les événements. Souvenons-nous que les agences de notation n’ont rien vu venir des grandes crises récentes à commencer par celle des subprimes dont l’économie mondiale paie encore le prix. En dégradant la note de la Tunisie, Moody’s joue donc pleinement son rôle qui est celui d’être une vigie pour les marchés obligataires internationaux quitte à paraître jeter de l’huile sur le feu.

 Reste que cette attitude relève plus du pur formalisme zélé que d’une quelconque rigueur professionnelle. Dans cette affaire, la Tunisie a bon dos, elle qui paie Moody’s pour être notée comme le font tous les Etats qui émettent de la dette. Il y a plusieurs éléments qui auraient dû inciter l’agence de notation à être plus prudente et à se contenter de mettre la note souveraine de la Tunisie sous surveillance sans aller à une dégradation. Il y a d’abord le fait que ce pays a toujours remboursé sa dette et n’a jamais fait défaut. De plus, la proximité avec l’Union européenne et l’existence d’un accord d’association aurait dû plaider pour plus de retenue.

Quel rôle pour les agences de notation ? 

Cette affaire remet donc sur le tapis le débat sur la pertinence des agences de notation. Certes, elles sont essentielles car elles permettent à l’investisseur de savoir quel risque il prend quand il acquiert l’obligation souveraine d’un pays. Mais dans le même temps, on voit bien qu’elles ne sont pratiquement jamais à la hauteur dès lors que l’on sort du ronron quotidien de la vie des marchés. Une révolution en Tunisie, demain en Egypte, ne sont pas des événements neutres et mériteraient des procédures exceptionnelles - et plus prudentes - de la part des agences. La chute d’un régime implique peut-être des turbulences à court terme mais dessine de véritables perspectives à long terme. En l’ignorant, Moody’s a fait une erreur d’appréciation qui réduit la portée de son zèle professionnel. Et le marché et les investisseurs le lui reprocheront tôt ou tard.