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Intouchables paradis fiscaux

par Akram Belkaid, Paris

A entendre le président français Nicolas Sarkozy, on croyait qu’ils avaient disparu et que leur cas était définitivement réglé. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et qu’ils vont figurer dans l’agenda du G20 présidé par Paris. Vous l’aurez compris, il s’agit des fameux paradis fiscaux dont la triste réputation n’est plus à faire. Bien entendu, personne n’a jamais pensé un seul instant que ces places off-shore puissent ne plus exister et cela pour la bonne et simple raison qu’aucun pays n’a vraiment intérêt à ce que cela arrive.
 

Argent sale et optimisation fiscale
 

Pour le grand public, la notion de paradis fiscal est liée à l’argent sale. Il est vrai que ces centres financiers ne sont guère regardants quant à l’origine des fonds qui y sont déposés. Trafiquants de drogue et mafias en tous genres y blanchissent leur magot et, surtout, le font fructifier. Qu’il s’agisse des micro-Etats des Caraïbes ou du Pacifique, discrétion et hermétisme sont les maîtres mots du fonctionnement de ces places. Ces dernières sont aussi le refuge idéal pour les investissements des dictateurs et de leurs clientèles. Certes, il y a la Suisse et ses comptes anonymes mais l’Etat helvétique a signé nombre de conventions et récupérer les fonds détournés par un tyran ou des dirigeants indélicats n’est plus chose impossible. A l’inverse, il est pratiquement exclu de remettre la main sur de l’argent qui aurait été déposé dans les Caraïbes comme le montre par exemple les difficultés qu’éprouve le Nigéria pour récupérer toutes les sommes colossales détournées par l’ancien président Abacha.

Mais contrairement à une idée reçue, le paradis fiscal ne sert pas uniquement à accueillir et à blanchir de l’argent sale. Ce rôle de « lessiveuse » est même secondaire par rapport à son activité principale qui est l’évasion fiscale. Pour les particuliers qui veulent tromper le fisc ou pour les entreprises qui entendent payer moins d’impôts sur leurs bénéfices, le paradis fiscal est un élément incontournable. Quand un citoyen étasunien tente de soustraire à l’impôt un certain nombre de ses revenus, c’est dans les Caraïbes qu’il place cet argent. Le phénomène n’est pas négligeable et les estimations avancent le chiffre prudent de 20 milliards de dollars qui échapperaient chaque année aux collecteurs d’impôts américains.

Mais c’est surtout pour les grandes multinationales que le paradis fiscal est nécessaire. En effet, il fait partie d’une machinerie complexe destinée avant tout à réduire au maximum les impôts et taxes à payer. Pour simplifier, les transnationales organisent leurs flux financiers entre filiales, les unes facturant aux autres, l’argent circulant des pays qui taxent le plus vers ceux qui taxent le moins. Et même si elles ne sont pas dupes, les administrations fiscales ont toujours du mal à démêler l’entrelacs constitué par ces filiales et autres holdings en cascade. Dès lors, on comprend pourquoi nombre de pays sont opposés à la suppression des paradis fiscaux car cela reviendrait à remettre en cause la mondialisation financière telle qu’elle se développe depuis une quinzaine d’année.
 

Le poids des marchés financiers
 

L’affaire est d’autant plus compliquée que les paradis fiscaux sont aussi devenus indispensables aux acteurs de marchés financiers. Hedge funds, banques d’affaires, fonds mutuels de retraite, ont souvent besoin de passer par une telle place pour mener des opérations grises c’est-à-dire à la limite de la légalité ou bien encore de discrètes opérations de placement ou de paiement. L’objectif principal est toujours le même : réduire l’impôt et ne pas se faire repérer. Voilà pourquoi on voit mal le G20 réussir ne serait-ce qu’à adopter une déclaration de principe visant à réguler le fonctionnement des paradis fiscaux. Comme le disent souvent les banquiers : on ne régule pas les courants d’air...