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Après la Tunisie, la Chine ?

par Akram Belkaid, Paris

Il peut paraître démesuré, voire hors de propos, de comparer la Tunisie à la Chine. Les deux pays n’ont pas grand-chose à voir sur le plan économique et social. Le second est non seulement l’usine du monde mais son laboratoire de recherche de pointe de demain tandis que le premier atteint difficilement le rang de « dragon méditerranéen », expression désormais suspecte car le régime de Ben Ali en a usé et abusé. Il y a pourtant un point commun qui intéresse au plus haut point les autres pays arabes dont on imagine bien qu’ils sont très attentifs à la situation tunisienne.

Démocratie et développement vont ensemble

La Tunisie vient de démontrer que la dictature n’est jamais bonne pour l’économie. Pour dire les choses autrement, quitte à donner l’impression de se répéter, il n’y a pas de développement économique pérenne sans libertés et Etat de droit. La Tunisie qui a affiché des taux de croissance importants au cours des dernières années (de 3 à 4% en moyenne pour le Produit intérieur brut) a été pénalisée par l’autoritarisme devenu, en quelques années, le premier ennemi du monde des affaires. Quand un appareil répressif servant à museler les contestataires devient aussi tentaculaire, il ne faut pas s’étonner qu’il puisse être utilisé pour semer la terreur parmi les entrepreneurs qui réalisent soudain que c’est leur bien qui peut leur être confisqué par tel ou tel proche du pouvoir.

On peut espérer que la Tunisie soit définitivement débarrassée de ce type de comportement. Il lui reste surtout à confirmer l’essai et à prouver au reste du monde qu’un pays arabe peut très bien s’engager dans la démocratie. Cela aurait le mérite de balayer les habituelles élucubrations d’intellectuels occidentaux qui ont toujours excusé le régime de Ben Ali en ayant recours à l’argument culturaliste. « Vous savez, disaient-ils, la démocratie n’est pas faite pour ces gens-là (comprendre les Arabes), c’est une question de culture. » Cette semaine, on a encore entendu des analyses favorables à la révolution des jasmins sous le prétexte d’une certaine proximité entre la société tunisienne et l’Occident.

Mais l’autre enseignement, c’est que la Tunisie nous annonce peut-être ce qui va arriver tôt ou tard en Chine. Dans ce pays, l’économie est étincelante mais le système politique est verrouillé. La Chine est ainsi l’argument majeur, à la fois culturaliste mais aussi politique, pour celles et ceux qui défendent l’idée que l’on peut faire du développement économique dans un environnement politique autoritariste pour ne pas dire dictatorial. Bien sûr, encore une fois, la Chine n’est pas la Tunisie. C’est un gigantesque marché et les marges de manœuvre et les moyens du Parti communiste chinois n’ont rien à voir avec ceux dont disposait l’ancien maître du Palais de Carthage. Il n’empêche, tôt ou tard la machine répressive craquera car elle aura été minée par ses propres contradictions et les Chinois connaîtront le goût agréable de l’euphorie démocratique.

L’éducation : un facteur de changement

Il y a un élément qui conforte ce raisonnement. La Tunisie, comme la Chine, n’ont jamais lésiné sur les politiques d’éducation. Chaque année, des milliers de jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail. Nombre d’entre eux, que cela soit en Tunisie ou en Chine, en sont réduits au chômage. Il fut un temps où leur désespérance serait restée muette mais aujourd’hui, Internet et les réseaux sociaux leur offrent une formidable caisse de résonnance et un moyen puissant de mobilisation. L’avenir dira si la « révolution des jasmins » a été le modeste annonciateur de l’éveil démocratique de l’empire du Milieu mais le pari mérite d’être pris dès maintenant…